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Automobile

La tourbe carburant

La tourbe, cette cousine pauvre de la brillante et éclatante houille, fait reparler d’elle, ou plutôt les hommes, privés de combustible et de carburant pendant et après les guerres, se rappellent tout à coup qu’il existe de par le monde une matière végétale, et non minérale, qui présente de réelles qualités. Dans les moments de malheur et de misère, on pense à faire appel à son concours, puis, le danger passé, adieu le saint. Et pourtant quelle auxiliaire précieuse et modeste, d’un prix de revient modique et très commune sur notre terre de France, puisqu’on compte plus de 2.000 tourbières réparties sur une soixantaine de départements ; 500.000 hectares de tourbe constituant une réserve de 2 milliards de tonnes. Quelle richesse ! quel nombre prodigieux de chevaux-vapeur à l’état potentiel, et comme ils seraient les bienvenus pour chauffer nos foyers et actionner nos gazogènes, tout au moins ceux qui restent encore en service, ou ceux que l’emploi de la tourbe pourrait inciter à reprendre la route en suppléant à l’essence, rare et réglementée.

Certes, la fin de la guerre a vu le gazogène arrêté dans son effort. Pourtant, même avec tous ses défauts, il serait imprudent, dans le véhicule industriel surtout, d’abandonner brutalement cet appareil qui nous a rendu de précieux services durant les hostilités. La tourbe aidera, dans cet ordre d’idées, le charbon de bois, plus coûteux, et le bois de chauffage, qui nécessite des gazogènes volumineux et lourds. On aimerait voir les constructeurs continuer leurs efforts passés en construisant des véhicules industriels prévus spécialement pour la marche au gazogène. Enfin les gazogènes pour moteurs fixes peuvent avoir recours avec fruit au gaz de tourbe. La pénurie de charbon que nous subissons en ce moment, et qui risque de compromettre notre relèvement, ne peut que porter au premier plan cette vieille question de la mise en valeur des tourbières.

Il y a bientôt cent ans que Challeton de Brughat entreprit d’intéressantes études sur la tourbe. Cette dernière, à l’état naturel ou encore carbonisée (correspondant alors au charbon de bois), a des usages multiples. Combustible, on fait appel à elle pour des usages domestiques et industriels. Distillée, elle donne les goudrons dont on tire les sous-produits les plus précieux et les plus divers. Citons les engrais, l’alcool, le caoutchouc, la pâte à papier, les matières colorantes, les teintures, etc. Tout à tour, la tourbe est combustible, carburant, lubrifiant, engrais, antiseptique, isolant.

En France, on a toujours négligé les tourbières ; quelques exploitations, en période difficile, ont vu le jour, prospéré un instant, vivoté, pour bientôt disparaître une fois la crise passée. À l’étranger pourtant, on trouve de nombreuses et florissantes tourbières : en Allemagne, en Italie, en U.R.S.S., en Norvège, au Canada, au Danemark. En France, nous attendons toujours la publication d’une carte des tourbières de notre pays. Une première carte a bien été publiée en 1940, mais il apparaît que les documents dont se sont servis les éditeurs manquent quelque peu de précisions. La tourbe, comme tous les végétaux, contient des cendres, celles-ci sont de l’ordre de 5 à 6 p. 100. Malheureusement, à côté de ces cendres proprement dites, il y a les impuretés, sable, argile, provenant des alluvions. Ces impuretés font passer la teneur en cendres de 6 à 30 p. 100. Décendrer la tourbe, c’est permettre son emploi pratique dans la traction automobile en accroissant son rendement thermique. Fraîchement extraite, la tourbe contient 85 p. 100 d’eau. Elle est néanmoins lavée et malaxée, les racines végétales sont extraites et les matières terreuses éliminées. Un séchage artificiel peut ramener, en vingt-quatre heures, le combustible à 20 p. 100 d’humidité, taux assimilable. L’abondance des impuretés donne naissance à la formation d’un volume important de mâchefer, ennemi public no 1, dans les foyers de gazogènes. L’ennemi public no 2, c’est le goudron, dont la tourbe contient un poids respectable et qu’il importe d’arrêter ou de dissocier. De nombreuses entreprises se sont lancées dans l’exploitation de la tourbe-carburant vers la fin de la dernière guerre, et leur effort présente un réel intérêt. On s’est attaqué au problème de l’agglomération de la tourbe, pure ou alliée au poussier de charbon de bois. La manipulation aisée de ces comprimés généralisera, à n’en pas douter, l’emploi de la tourbe dans les gazogènes. Tous les gazogènes à bois peuvent supporter, en principe, la tourbe. Quelques modifications de détail seront pourtant à prévoir : notamment un dispositif pour évacuer les mâchefers. Avec certains appareils comportant des épurations efficaces, il ne sera pas nécessaire de craindre le goudron. Avec d’autres, au contraire, chez qui ces éléments sont à l’état par trop embryonnaire pour une raison quelconque, il sera nécessaire de prévoir un épurateur supplémentaire si l’on veut arrêter tous les goudrons.

On a fait également des essais avec des gazos prévus, à l’origine, pour la marche au charbon de bois. Les résultats ont été satisfaisants. Il va sans dire qu’avec de tels modèles, non prévus pour lutter contre les goudrons, il était indispensable de prévoir un épurateur secondaire et que les toiles d’épuration, s’il y en a, risquent d’être mises à rude épreuve du fait de la puissance du soufre. On a vu des constructeurs présenter au public des équipements spéciaux avec alimentation à la tourbe : le gazo-tourbe. On emploie la tourbe crue, séchée (eau, 20 p. 100), le semi-coke de tourbe, ou la tourbe comprimée en grains. Les résultats ont été excellents puisque, du fait de la richesse exceptionnelle du gaz, la tenue générale est meilleure en côte, notamment, qu’avec l’alimentation au gaz de charbon de bois. Les départs sur gaz demandent quatre à cinq minutes. Il est toutefois nécessaire, au premier allumage, de déposer une petite quantité de charbon de bois dans le four du foyer.

Le prix de la tourbe pour gazogène est assez mal défini et très variable, surtout en regard de son degré de décendrage. La fin de la guerre a jeté une grande perturbation sur ce marché.

À titre indicatif, voici quelques consommations : une voiture de 2 litres de cylindrée peut parcourir 60 kilomètres avec 20 kilogrammes de tourbe ; un camion de 2 tonnes et demie brûle 50 kilogrammes aux 100 kilomètres. Il va sans dire que le prix des comprimés et briquettes est notablement plus élevé que la tourbe. Quoi qu’il en soit, on se rend compte de l’économie de marche du gazo-tourbe.

Pour terminer, signalons que la mise en valeur des tourbières peut être entreprise avec le minimum de frais et d’outillage, et dans le cadre de l’exploitation familiale ou artisanale. C’est un point qui a son importance si l’on considère le nombre considérable de tourbières existant en France et qui nous tendent les bras.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 534