On a observé, à propos de Swift, qui a férocement caricaturé
ses semblables dans Les Voyages de Gulliver, qu’il fallait qu’il eût un
bien grand amour du genre humain pour s’emporter ainsi contre lui. La seule
consolation que puissent trouver les transports aériens dans l’attention
particulière qui a été prêtée aux accidents d’aviation sera peut-être qu’elle
refléta l’emprise tenace exercée par l’aviation sur l’imagination mondiale.
Pour se faire une image exacte des accidents de l’aviation
commerciale, il nous faut d’abord définir nos termes et fixer notre
perspective. Il faut mettre à part, dans la liste des accidents, ceux qui ne se
sont pas produits au cours de transports aériens réguliers ; il est
regrettable que le terme « avion de transport régulier » ait été trop
souvent appliqué au taxi aérien, à l’avion affrété, à l’avion de transport
militaire, et même, dans certains cas, à l’avion de chasse ou de bombardement.
Les entreprises de transport aérien régulier, par suite des règlements de
l’Administration et de leur propre volonté, se conforment à des règles de
sécurité rigoureuses, qui ne sont pas toujours observées par d’autres.
L’importance de ce facteur est mise en lumière par les statistiques
aéronautiques des États-Unis, dans lesquelles les aéronefs non réguliers
représentent près de la moitié des accidents de l’air survenus à des civils en
1946.
Il est essentiel, pour voir les accidents dans leur
perspective exacte, de les replacer dans l’ensemble des conditions de la
circulation où ils se sont produits. Alors que l’on a monté en épingle la perte
d’un ou deux appareils sur une route importante, on n’a pas insisté sur le fait
qu’une seule entreprise a transporté en moyenne près de cent passagers par jour
sur cette route, tous les jours et pendant l’année entière.
Dans ces conditions, les premières statistiques véritables
de la sécurité des transports aériens internationaux, qui viennent d’être
dressées par l’I. A. T. A. (International Air Transport
Association), sont particulièrement révélatrices.
Soixante entreprises de transport aérien, dans toutes les
parties du monde, ont signalé qu’elles avaient parcouru, au total,
13.498.000.000 kilomètres-passagers en 1946, soit de quoi transporter en
Afrique du Nord toute la population de la ville de Londres. Au cours de ces
services, elles ont eu à déplorer 33 accidents mortels, qui ont coûté la
vie de 298 personnes. Dans le langage de la comparaison statistique
classique, elles ont parcouru 45.302.000 kilomètres-passagers par décès de
voyageur.
Étant donné que des statistiques internationales n’ont
jamais été dressées sur une pareille échelle, il est impossible de faire des
comparaisons. Mais on peut souligner le fait que le chiffre de 45.301.000
kilomètres, qui, pour ainsi dire, séparent les accidents survenus sur les
routes aériennes du monde, représente près de quatre-vingts années de voyage à
raison de 1.600 kilomètres par jour.
Mais l’aspect le plus intéressant des chiffres recueillis
par l’I. A. T. A. est le fait que quarante-deux des entreprises intéressées,
soit plus des deux tiers, ont une statistique de sécurité absolue pour 1946.
Ces quarante-deux entreprises, à elles seules, assurent environ la moitié des
transports aériens du monde. Outre leur sécurité 100 p. 100 atteinte en
1946, plusieurs entreprises membres de l’I. A. T. A. n’ont pas
eu un seul accident pendant des périodes allant de six à dix-sept ans.
Tout bien considéré, ce résultat peut causer une certaine
satisfaction aux entreprises. Mais elles ne s’en contentent pas. Il faut donc
étudier un autre facteur, qui est l’action menée pour diminuer les accidents.
Il n’existe nulle part, dans aucun domaine relatif aux
transports, un effort si continu, si concerté et si général, que dans
l’aviation sur le plan de la sécurité. Sans tenir compte du fait que la voie
aérienne est un moyen de transport que l’on peut considérer comme plus sûr que
d’autres, la sécurité est la préoccupation primordiale de toutes les
entreprises de navigation aérienne, de tous les fabricants, de presque tous les
gouvernements et des organisations d’aviation internationale. Le montant en
dollars des dépenses pour les salaires, les laboratoires et les épreuves, ainsi
que des services administratifs de ces diverses activités, atteint amplement
plusieurs millions par an.
Dans le domaine international qui est celui de l’I. A. T. A.,
les entreprises de navigation aérienne régulières ont établi un organisme
consultatif comprenant plus de 150 experts techniques choisis parmi les
plus qualifiés et les plus actifs qui se puissent trouver. Répartis en
sous-comités, qui s’occupent de chaque aspect des opérations d’entreprises de
navigation aérienne, ils travaillent toute l’année avec deux objectifs
principaux en vue :
— parvenir à une uniformité complète de pratiques et de
méthodes, sans laquelle le transport aérien international ne saurait réaliser
une sécurité complète ;
— assurer une révision de plus en plus exigeante des
standards qu’ils imposent à leurs propres entreprises et qu’ils recommandent à
l’Organisation de l’aviation civile internationale (O. A. C. I.)
en vue de leur mise en vigueur ultérieure par les législations nationales.
Le résultat de leurs travaux, joints à ceux de l’O. A. C. I.
et des autres organismes qui recherchent activement la sécurité, est déjà
éloquent. Les statistiques de la circulation — le registre quotidien des
voyageurs et des marchandises transportés — prouvent qu’un public mondial
témoigne de sa foi dans les transports aériens par l’existence d’une clientèle
dont l’importance s’accroît régulièrement.
Cependant, ceci ne suffit pas à contenter ceux qui
s’occupent de transports aériens. L’objectif de toutes les entreprises de
navigation aérienne régulières est une sécurité de 110 p. 100. Tout
résultat inférieur à celui-là ne sera jamais qu’un pis aller insuffisant.
Armand AVRONSART.
|