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Technologie vinicole

LES EAUX-DE-VIN.

— Ce sera la gloire du vignoble français d’avoir produit, soit par la distillation de ses vins, soit par celle de ses marcs de raisin, des eaux-de-vie qui sont sur toutes les bonnes tables du monde entier.

Si elles complètent et améliorent un bon repas, elles améliorent aussi, selon l’expression de la Presse, notre balance commerciale.

Que ce soient nos cognacs, nos armagnacs ou nos marcs, le résultat est le même, ces produits ne soulèvent aucune critique et ne méritent que des compliments.

Nous savons que nos cognacs, qui ont pris le nom de leur centre commercial, sont le résultat de la distillation des vins blancs produits par le cépage : La folle blanche. Le cépage pousse dans des terrains arides, peu profonds, apparentés à ceux de Champagne. Les vins sont légers, fortement acides, peu commerciaux ; par contre, ils donnent des produits qui prennent avec l’âge un parfum merveilleux.

Il est, du reste, remarquable de constater qu’un étage géologique de calcaire bien déterminé produit des vins de qualité supérieure, citons à titre d’exemple : la Champagne, la Bourgogne, l’Auxerrois, le Saumurois, etc. ...

En Charente, ce n’est pas le vin qui profite de cette qualité du calcaire, mais l’eau-de-vie.

La fabrication des eaux-de-vie de Cognac est fort ancienne, elle se fait ou se faisait avec un alambic un peu spécial qui a quelquefois pris le nom de Charentais.

Le mode opératoire est succinctement le suivant : du distillat on met de côté ce qui passe du début de l’opération et qui constitue les mauvais goûts de tête, ainsi que ce qui passe en fin de distillation et forme les mauvais goûts de queue, on ne conserve que le milieu de la distillation, qu’on appelle le cœur.

Les produits de tête et de queue réunis sont redistillés dans l’opération suivante.

Il ne faut pas croire que l’opération fut aussi simple avec l’alambic charentais, elle était longue et compliquée, mais elle a produit une eau-de-vie qui a une réputation mondiale. Actuellement, il existe des appareils à la fois plus simples et plus perfectionnés qui permettent une bonne rectification des produits distillés.

Il n’est pas indifférent de voir quels sont les produits qui constituent les mauvais goûts de tête et de queue.

En tête, il passe des corps dont le point d’ébullition est inférieur à celui de l’alcool éthylique, ce sont surtout des éthers, des aldéhydes et, accidentellement, de l’alcool méthylique.

En queue distillent des corps dont le point d’ébullition est supérieur à celui de l’alcool, et qu’on appelle : alcools supérieurs. Ce sont les alcools propylique, butylique, amylique, caproïque, œnanthylique, caprylique.

Le premier distille à 97 ,4, le dernier à 179°.

Il est de notre devoir d’ajouter que les produits ci-dessus sont nocifs pour l’organisme humain, ils attaquent de préférence le système nerveux.

Si nous nous transportons maintenant dans le département du Gers, au pays de l’Armagnac, nous y trouvons le même cépage : la folle blanche, mais elle a changé d’état civil, et s’appelle le Picquepoul, nom bien gascon.

Lorsqu’on traverse cette région, on constate la présence d’un terrain très différent de celui des Charentes. Ici, ce sont les formations tertiaires provenant des débris du massif pyrénéen, encombrées de dépôts glaciaires. Cette région est parcourue du sud au nord par des rivières formant éventail et coulant dans des alluvions quaternaires.

Le pays est peu accidenté, les terres sont en général de couleur brune, profondes. Les vignobles n’attirent pas particulièrement l’attention. Le voyageur non averti ne se doute pas que ceux-ci donnent un vin comestible, lequel distillé fournit une eau-de-vie de grande réputation.

Nous n’avons rien à ajouter à la technologie de l’armagnac, à part le vieillissement. Alors qu’en Charente les eaux-de-vie sont colorées, ce qui indique le vieillissement dans le bois, l’armagnac est coloré ou non, ce qui suppose, dans ce dernier cas, un vieillissement dans le verre comme le kirsch.

Il est bien difficile à un connaisseur impartial de donner la préférence, soit à l’eau-de-vie des Charentes, soit à celle de l’armagnac, à qualité égale s’entend. Nous citerons pour mémoire le Trois-Six du Midi.

Parmi les produits de la distillation des marcs de raisin, les plus réputés sont ceux de Champagne et de Bourgogne.

Ces eaux-de-vie ont un goût particulier, apprécié des connaisseurs, dû à la présence d’une certaine quantité de produits passant en tête et en queue, et qui ont donné, grâce au vieillissement, ce bouquet qui fait leur caractéristique.

À côté des eaux-de-vie de qualité, il y a tous les produits obtenus par les bouilleurs de cru, lesquels sont innombrables, si on estime grosso modo qu’ils sont répartis sur plus de la moitié du territoire français.

Ce sont les distillateurs ambulants qui travaillent les produits du bouilleur de cru. Leur matériel, constitué par des appareils de diverses origines, est généralement bien construit et permet d’obtenir des produits de bonne qualité. Mais le producteur exige le plus souvent, sinon toujours, de tirer de son vin ou de son marc le plus d’alcool possible.

Que se passe-t-il ? on récupère tout ce qui est distillé, y compris les mauvais goûts de tête et de queue, dont nous avons parlé plus haut, ceux-ci étant moins nombreux dans l’eau-de-vie de vin que dans celle du marc.

Il y aurait peut-être beaucoup à faire pour obtenir des produits meilleurs en sacrifiant la quantité à la qualité ; la santé du consommateur y gagnerait.

On ne fait pas seulement de l’alcool avec du vin, mais avec beaucoup d’autres matières.

D’abord avec les fruits qui donnent quelquefois d’excellents produits. Ensuite avec la betterave sucrière, la pomme de terre, le topinambour. L’alcool de pomme de terre est riche en alcool amylique, qui lui communique un goût détestable. Les grains : blé, orge, maïs, riz, etc., ces alcools surtout celui de riz, sont parmi les plus purs. Enfin les celluloses, après traitement spécial. Les alcools de betterave sont consommés dans le Nord, les autres servent à des fabrications diverses.

Nous concluons en souhaitant que nos eaux-de-vie nationales maintiennent leur réputation, car un produit de qualité trouve toujours preneur à un prix intéressant.

V. ARNOULD,

Ingénieur-agronome.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 542