Le problème.
— Nous avons vu, dans notre dernière causerie,
l’intérêt pour un propriétaire à produire en bon sol du chêne de
qualité : nous soulignons les deux restrictions ; en effet, en
sol médiocre les résultats seront aléatoires et économiquement désastreux, et,
si la qualité des produits est insuffisante, la quantité ne compensera pas.
Dès 1750, Buffon et Duhamel du Monceau signalaient déjà la
supériorité du « pin » sur le chêne « pour les terres ingrates
où le bois refuse de croître » et pour fournir à cinquante ans « des
pièces de bois qu’on aurait peine à trouver dans les chênes de cent cinquante
ans ».
Ce sont les premiers travaux de ces précurseurs qui ont été
à l’origine des introductions massives de pins sylvestres, maritimes et autres,
réalisées au XIXe siècle dans la plupart des plaines
françaises.
Beau succès, puisque la plupart des Français n’imaginent pas
leur paysage familier sans ces « sapins » et comprennent
difficilement qu’aucun arbre vert ne rompait, au XVIIIe siècle,
la douce monotonie hivernale des forêts feuillues de la Touraine, de
l’Île-de-France ou de la Normandie ...
Après avoir rendu cet hommage aux pins, pionniers de la
reconstitution des forêts françaises, qui ont rendu et rendent encore de si
grands services à l’économie nationale, constatons qu’ils ont bénéficié,
autrefois, de conditions très favorables pour s’installer dans les massifs
clairiérés : souches épuisées par des exploitations répétées, sous-bois
rasé, sol mis à nu par le pâturage et l’enlèvement de la litière. Ils ont pu
être introduits par semis, croître sans grande concurrence, et d’ailleurs, si
celle-ci se manifestait, la main-d’œuvre abondante permettait les dégagements.
Ces conditions ne sont plus réalisées, et d’ailleurs
l’incontestable réussite économique de ces pins ne doit pas faire oublier leurs
graves inconvénients culturaux : sol mal protégé par leur couvert léger,
et, lorsqu’il manque de calcaire, rapidement dégradé par l’humus acide qu’ils
produisent.
Voici donc le problème posé : dans beaucoup de nos
forêts où les chênes sont l’essence dominante, leur culture n’est plus
rentable ; les pins utilisés autrefois ne peuvent plus l’être
rationnellement que dans des cas limités.
Les solutions.
1° Technique. — En aucun cas, la plantation ne
doit être précédée par une coupe à blanc étoc ; c’est une coupe modérée,
dite coupe d’abri, qui sera marquée ; en taillis sous futaie, elle
réalisera les plus gros arbres bas branchus et réservera des baliveaux et de
jeunes modernes de toutes essences, même sur souche, mais régulièrement
répartis ; en taillis simple, on réservera un brin vigoureux tire-sève
sur chaque cépée. Cette coupe, qui donnera des produits appréciables, permettra
le financement de la plantation et le couvert régulier qu’elle laissera aura de
très bons résultats.
D’abord sur la réussite : on peut considérer qu’une
plantation faite sous couvert aura une reprise totale, même si la saison n’est
pas favorable ; aucun regarni ne sera nécessaire, tandis que, dans la
plantation voisine, en plein découvert, les 10 ou 20 p. 100 de mortalité
normale peuvent devenir 50 p. 100 si la sécheresse survient.
Ensuite, sur l’importance des dégagements : en effet,
les plantes favorisées par les coupes, et qui encombreraient en deux ans un sol
brutalement découvert, ne pourront se développer ; les rejets eux-mêmes
seront plus rares et moins vigoureux.
La plantation sera faite immédiatement après la vidange, en
lignes distantes de 2 mètres, et à raison d’un plant tous les 2 mètres
également ; par suite de la présence des tiges laissées en place, il ne
faudra guère plus de 2.000 plants par hectare, sérieuse économie par
rapport à la plantation en terrain nu.
Lorsque quelques années se seront écoulées, les racines bien
développées permettront aux plants de commencer leur croissance en
hauteur ; à ce moment-là, même les essences dites d’ombre ont besoin de
lumière. Il faudra, en une ou deux opérations (la dernière ayant lieu au plus
tard une douzaine d’années après la plantation), réaliser les arbres formant le
couvert. Opérations qui causeront quelques dommages rapidement bouchés par
l’accélération de la croissance, mais qui donneront un revenu intéressant
permettant d’attendre les premières éclaircies.
Par la suite, les rejets feuillus mélangés aux jeunes
résineux faciliteront leur élagage, diminueront les risques d’invasions
parasitaires et, par leurs feuilles, maintiendront le sol en bon état.
2° Choix des essences. — Nous avons vu qu’il
faut réserver les pins aux terrains nus et aux vastes clairières ouvertes par
les cataclysmes (incendies, ouragans, cyclones) ; nous emploierons donc
des essences supportant l’abri dans le jeune âge.
a. En sols siliceux : caractérisés par la
présence des bruyères, des genêts, de la grande fougère — type Sologne,
Massif Central, Bretagne, etc.
Si le climat est humide, nébuleux (montagnes, Bretagne,
Normandie), le sapin pectiné est excellent, surtout aux altitudes un peu
élevées.
On utilisera aussi l’épicéa et, par petits bouquets, l’Abies
grandis et le Douglas (ce dernier si la neige n’est pas trop à craindre et
si le climat est doux).
Partout ailleurs, le Douglas, qui devra être rapidement
dégagé, le sapin de Nordmann et l’Abies grandis ; l’épicéa si le
sol est frais, et en prévoyant son exploitation dès cinquante ans.
De magnifiques exemples de ces enrésinements existent dans
le Massif Central (bois de Pionsat : Puy-de-Dôme) et dans le Bassigny
(forêt de l’Artembouchet : Vosges).
b. En sol calcaire : coteaux calcaires du
Nord-Est, du plateau de Langres, Préalpes.
En montagne, le sapin pectiné.
Dans la moitié Nord de la France, sapin de Nordmann,
Douglas, auxquels on peut ajouter, dans le Nord-Est, l’épicéa.
Dans la moitié Sud, là où le buis est abondant et où le
chêne pubescent ou chêne blanc remplace le rouvre, cèdre de l’Atlas, qu’il faut
découvrir rapidement, et sapins de Nordmann et de Céphalonie.
Conclusion.
— Par cette méthode d’enrésinement progressif de leurs
taillis, les propriétaires substitueront à une médiocre production de bois de
feu une intéressante récolte de bois de mines, puis de sciages résineux, sans
avoir à supporter une longue période sans revenus.
LE FORESTIER.
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