On en a discuté et douté pendant bien longtemps et nombreux
sont encore ceux qui se refusent à le croire en pensant sans doute que la
devinette : Quelle était la couleur du cheval « blanc » de
Henri IV ? n’est pas aussi enfantine, ni paradoxale qu’elle en a
l’air.
Parmi ceux-ci, un homme de cheval aussi averti que M. de
Sainte-Preuve écrivait à ce sujet, dans un vieux numéro du journal L’Acclimatation,
en janvier 1906 :
« M. S. Arthur, éleveur canadien, offre de parier
5.000 francs contre 5 francs ... (c’était il y a quarante
ans !) à quiconque lui prouvera avoir vu un poulain naître blanc.
» Mais, avant, il s’agit de s’entendre.
» Est blanche la robe du cheval dont tout l’ensemble
(tête, encolure, crins, tronc et membres) est formé par la présence de poils
rigoureusement et exclusivement blancs.
» Par contre, la robe grise (si claire soit-elle) est
une robe de deux couleurs dans laquelle, sur toute les parties du corps, le
noir et le blanc se mélangent plus ou moins.
» Le gris n’est pas le blanc. Le cheval d’âge qualifié
blanc l’est-il devenu par suite de la disparition des poils noirs qui formaient
le gris auparavant ? Ou bien ce cheval est-il né blanc ?
» Eh bien ! il n’y a pas, à vrai dire, de cheval
blanc. Cherchez bien sur sa robe et vous trouverez quelque trace de gris.
Strictement parlant, il n’y a pas de chevaux blancs.
» Donc, a fortiori, aucun poulain ne peut naître
blanc. Voilà la vérité ! »
À la suite de cette affirmation catégorique, acceptée dans
presque tous les milieux hippiques, la rédaction du journal ajoutait néanmoins,
avec à-propos, l’observation suivante :
« Il nous a été donné de voir à Paris, il y a une
quinzaine d’années — environ 1890, — un attelage composé d’une paire
de chevaux entièrement blancs, même les sabots, avec les yeux vairon rose.
» Il n’est pas douteux que ces animaux pouvaient être
considérés comme des albinos, et nous pensons que des albinos peuvent donner
naissance à un poulain complètement blanc, dont le coloris ne changera pas avec
l’âge.
» Donc, le poulain blanc peut exister ; nous ne
l’avons pas vu, mais il est fort possible que cette note, qui sera portée à la
connaissance d’un grand nombre d’amateurs de chevaux, permette à l’un d’eux de
signaler ce « phénomène » vivant actuellement. »
Nous transmettons ce même souhait à l’intérêt ou à la
curiosité de nos lecteurs, bien que, d’ores et déjà, nous sachions de visu,
comme disait le gendarme de Courteline, qu’un poulain peut naître
blanc ... blanc d’une blancheur éclatante comme celle de la vérité sortant
de son puits ! ou celle de la liberté éclairant le Nouveau-Monde, d’où
nous vient justement cette opinion définitive.
Elle nous est fournie par M. Léon de Meldert, un
très savant hippologue, doublé d’un zootechnicien fort attaché à l’étude de
tous les problèmes ressortissant à l’hérédité, qui a publié, avant la dernière
guerre, dans le journal Le Trotteur, organe spécial des courses au trot,
un article intitulé « Les Chevaux albinos américains ».
Il écrivait, après avoir constaté et déploré la crise du cheval
léger d’attelage, conséquence immédiate du développement de la traction
automobile :
« Il y a bien encore des attelages de fantaisie ;
des hackneys de petite taille, des chevaux albinos, des chevaux
Isabelle, des chevaux pie, etc. ... Beaucoup de ces chevaux servent
également à la selle, où ils sont réservés comme montures aux jeunes gens et
jeunes filles.
» Il y a des collèges qui maintiennent une cavalerie,
et ces collèges se font concurrence par la beauté des chevaux qui sont utilisés
sous la selle. Il y a les collèges dont toute la cavalerie se compose de chevaux
albinos qui sont très en faveur chez la jeune fille américaine, un peu
snob ! (sic). »
Certains éleveurs ont récolté, par-ci par-là, leur matériel
d’élevage albinos. Les chevaux albinos sont rares, ils naissent blancs,
leur peau est rose et l’œil est rouge.
D’un étalon et d’une jument, tous deux albinos, on obtient
toujours un poulain albinos, parce que cette robe a une caractéristique
dominante, elle est donc facile à maintenir dans une race en voie de création.
On peut l’obtenir également par croisement, à la condition que l’un des parents
soit albinos et que l’on rejette de l’élevage tous les produits qui ne le sont
pas.
Actuellement, il existe un Stud-Book de chevaux albinos au
siège de l’American Albino, Horse, Club Association, à
Stuart, en Nebraska.
La cause est donc entendue, un poulain peut naître blanc, et
l’article de M. de Meldret était illustré de la photographie d’une
demi-douzaine de ces sujets tout à fait convaincante.
Mais, abstraction faite de toute question de mode ou de
snobisme, ou d’autres préoccupations d’ordre publicitaire ou commercial, il est
permis de dire que la création de cette nouvelle race ne répond à aucun besoin
pratique, au contraire. Ces chevaux réclament journellement de grands soins de
propreté, ils sont généralement très sensibles aux mouches ; au moment de
la mue, ils couvrent de poils blancs leurs cavaliers ou conducteurs ; leur
vue laisse le plus souvent à désirer ; et, enfin, ils sont exposés à
contracter de la « mélanose », maladie se manifestant par des tumeurs
d’aspect déplaisant et quelquefois répugnant.
Du reste, les chevaux blancs, en tant que couleur, n’ont
jamais eu bonne presse, depuis Virgile, qui a dit, dans ses Georgiques :
Des gris et des bais bruns, on estime le cœur,
Le blanc, l’alezan clair languissent sans vigueur.
Solleysel leur reprochait d’avoir un tempérament
« pituiteux, paresseux et mou », sauf exceptions qui confirment la
règle, puisqu’il « peut y avoir, de tous poils, bons chevaux », mais
celles-là se rencontrent principalement dans les races (anglo-arabe,
boulonnaise, percheronne) où la couleur claire, ou très claire, sinon tout à
fait blanche de la robe, est le résultat d’une sélection avertie et poursuivie
avec rigueur.
J.-H. BERNARD.
|