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Les grandes baies de France

La France est un des pays bénis de la sauvagine. Cela tient à la grande étendue de ses côtes, voies naturelles de migration, à sa position géographique, à ses baies si bien réparties. Les eaux douces de ses fleuves, les eaux salées de ses marais sont, il est certain, appréciées du gibier de migration.

La Somme, la Seine, la Loire, la Garonne et le Rhône, et je ne cite que les plus fréquentés par la sauvagine, constituent pour les migrateurs les voies de tourisme les plus variées. La quantité respectable de nos étangs et de nos marais de la côte et de l’intérieur, dont le nombre, hélas ! a bien diminué depuis quelques années, forme, avec nos baies et nos fleuves, un ensemble rare de pose et de refuge pour la sauvagine sédentaire ou de migration.

J’ai beaucoup aimé les chasses de baies. L’émotion de l’approche en punt léger me paraît être un des plus beaux sports que l’on puisse pratiquer, avec un bon calibre 8 à deux coups. J’ai surtout fréquenté la baie de Seine, la baie de Paimpol, le golfe du Morbihan, la baie de Loire. Chacun de ces coins a son caractère bien à lui ; sa faune et sa flore particulières ..., l’un tenant l’autre.

La baie de Somme avait, il y a une vingtaine d’années, une réputation méritée ; il existe encore dans cette région d’excellents gabions de passage et de bons coins pour la bécassine. Le comte de Valicourt, dans son beau livre, La Picardie et ses chasses, vient de nous en conter magistralement les attraits.

La baie de Seine, rendez-vous de canards d’espèces variées, est, par grand froid, agréable aux oies de toutes sortes. Les nombreux gabions de l’intérieur permettent d’y faire encore de très beaux tableaux, malgré les sorties de canots à moteur qui, peut-être, le jour, éloignent quelques bandes de la baie, mais ne les empêchent pas de revenir, la nuit, se nourrir au marais. La baie de Paimpol et de Bréa, avec ses oies cravants si nombreuses, où j’ai eu l’occasion assez souvent de rencontrer de beaux canards : les eiders. Le golfe du Morbihan, aux siffleurs innombrables, qui y ont fixé leur rendez-vous. De la fin du mois d’octobre jusqu’à fin février, l’on peut chasser siffleurs et oies bernaches avec cette rare satisfaction d’avoir à choisir en préparant son approche entre une demi-douzaine de bandes de « penrus », dont l’importance, de 1922 à 1925, pouvait, par bandes, varier entre 5 et 10.000 pièces de gibier. Je n’ai jamais vu, en France, de plus grosse concentration de becs plats en une seule baie. J’ai beaucoup chassé en Loire, qui était à peu de distance de notre rendez-vous de chasse de La Brière. J’ai souvent réalisé de beaux coups sur les sarcelles et les canards à l’approche. Je me souviens avec émotion d’une réussite sur des cols-verts cantonnés dans une île de Loire. Ils revenaient en ce lieu plein d’attraits pour eux par petits groupes. Ce fut une belle chasse.

Je ne parle de la Gironde que par tendresse. Avec mes amis Lawton, j’y ai fait mes débuts de chasseur de bécassine. Cette année-ci, les tableaux ont été très médiocres, par suite d’une inondation de ces fameux marais. Toutefois, les huttiers des environs de Bordeaux ont très bien réussi sur les canards aux moments des grands froids.

La Camargue, pays de chasse admirable. Je l’aime pour son ambiance, pour ses traditions et son caractère. Je n’y ai jamais chassé dans la belle période des grands passages. C’est dans cette région qu’ont été réalisés, en France, les plus beaux records de sauvagine.

Aujourd’hui revient à mon esprit une chasse de grand hiver en baie de Seine, à Honfleur, le pays de mon vieil ami Ternier, le grand sauvaginier, Celui-ci m’avait donné le conseil d’arriver au plus vite, car, m’avait-il dit, la baie est pleine de canards. Le voyage aller, par temps de verglas, avait été mouvementé, agrémenté de nombreux tête à dos, pour parler correctement. Lefeuvre, mon excellent pilote, n’était pas libre. Je le regrettai. La chance voulut qu’en ce jour de chasse exceptionnelle j’aie pu rencontrer deux excellents pilotes. Nous embarquâmes immédiatement. Sans doute y avait-il en baie de Seine, ce jour-là, une énorme quantité de canards. Il y avait aussi une assez jolie cargaison de chasseurs, mais il y avait, par bonheur, beaucoup moins de chasseurs que de canards, ce qui n’est pas toujours le cas. Les oiseaux, matés par le froid très vif, se levaient au milieu des glaçons, à courte distance : 50 mètres au maximum. J’avais emporté mon canardier, calibre 8, à deux coups. Au-dessus du bateau, et trop haut pour être tirées, de grandes bandes d’oies passaient en triangles réguliers. Nous prîmes la direction de la Seine. Partout des glaçons flottaient. Entre les glaçons, partout des canards pilets. Pour quelle raison cette seule espèce de canards ? Je ne l’ai jamais compris. À trois heures, j’avais aligné, sur le pont, 39 pilets, une oie rieuse, et un pauvre oiseau noir, auquel j’envoie souvent un souvenir attristé, une macreuse aux ailes liées, victime du mazout et cueillie à l’épuisette.

J’ai bien aimé, dans ma vie de sauvaginier, les marais de l’intérieur, où j’ai usé tant de paires de bottes. En mon cœur de vieux chasseur, je leur ai réservé une place privilégiée. Peut-être la bécassine leur a-t-elle valu cette priorité. Toutefois, les baies de France, où, couché sur le dos dans mon punt, j’ai fait tant d’approches émouvantes, ont laissé en mon esprit, à cause de leur variété, d’inoubliables et précis souvenirs.

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 563