À partir de la mi-septembre et jusque vers la fin de
la première décade d’octobre, les cerfs brament.
Période de fièvre pour nos meilleurs fusils d’Alsace et de
Lorraine, qui cherchent à s’adjuger les ramures enviées d’un grand cerf portant
12 ou 14.
Les places de brame ont été soigneusement préparées dans des
clairières où l’on accède par sentiers d’approche et où le tireur, muni d’une
carabine avec lunette de visée, doit se glisser à pas feutrés, surtout à bon
vent.
Il a revêtu son costume le moins voyant, banni les teintes
claires du col et du couvre-chef, pris des gants de nuance neutre, relégué la
pipe, observé le silence absolu. S’il bruine, si le temps fraîchit, les cerfs
n’en brameront que mieux ; à commencer par les dix-cors qui, les premiers,
vont et viennent, cherchant la harde des biches, pourchassant les daguets,
provoquant d’autres grands cerfs, leurs rivaux.
Devant le guetteur immobile s’avance le roi de la
forêt : un meuglement profond éveille les échos. Dans la pénombre, on
aperçoit la splendide ramure couchée sur le dos du puissant animal, dont le
souffle exhale à la fois le désir, la fureur et la passion : o-rraoh ...
L’appel retentit à nouveau ; d’autres meuglements répondent. Des biches se
profilent à l’opposé de la clairière ; ne bougeons pas, à l’abri de cette
broussée de saules, sinon les sultanes au cou délié, aux oreilles dressées,
nous devineraient, sèmeraient l’effroi.
Une bécasse, celle de la Saint-Denis, passe
silencieuse ; la hulotte gémit. Le brame recommence ; il se poursuit
jusqu’au dénouement que marquent le coup de carabine et l’effondrement du grand
cerf, ou bien sa fuite à toute allure.
Chaque année, ou presque, le brame cesse pendant quelques
jours au début d’octobre ; il reprend et se prolonge une semaine environ,
quand les dix-cors ont cédé la place à leurs cadets. Je me souviens d’un très
beau brame, certain 20 octobre, au cœur même de la forêt d’Orléans, près
de Combreux ; cette date tardive est exceptionnelle. Aucune approche,
aucun trophée n’étaient en cause. Les veneurs se bornent à entendre bramer les
cerfs ; pour rien au monde ils ne consentiraient à les tirer.
Point de vue diamétralement opposé à celui des chasseurs
alsaciens et lorrains, mais parfaitement explicable puisqu’il s’agit de
réserver pour le courre les grands animaux. Le tireur savoure la joie d’une
balle bien placée sur un porteur de bois aux andouillers magnifiques, tandis
que le veneur escompte l’ardente chevauchée derrière les bâtards anglo-poitevins,
dans le dédale des futaies, aux sons joyeux des bien-aller.
Bien moins impressionnant que celui du cerf, le brame du
daim est aussi plus tardif, comme c’est de règle dans les parcs. Les appels
sont plus rauques, moins prolongés, plus répétés, sur une note basse évoquant
un grognement. Les daims brament dans la même posture que les cerfs, mufle
relevé, bois rejetés en arrière. Les luttes entre vieux daims aux larges
empaumures sont acharnées— moins tragiques en général que celles des
cerfs, dont les andouillers transpercent comme des poignards.
Dans ma prime jeunesse, il m’arrivait d’aller en Sologne
entendre bramer les cerfs : le parc de Chambord, les bois de Cheverny s’y
prêtaient à merveille. Nous partions de Blois en voiture légère, au trot de Coquette,
la jument bretonne. Je me souviens qu’un soir Coquette, étant d’humeur
folâtre, fut escortée pendant quelque cent mètres, le long de la route de Mont
à Bracieux, par un cerf qui bramait, haletait, soufflait, sans cependant sortir
du sous-bois.
À Tronçais, dans l’admirable futaie bourbonnaise, je me suis
laissé approcher avant l’aube par un cerf bramant sous un jeune perchis :
j’étais à bon vent, blotti dans les fougères ; le cerf est venu à moins de
dix pas de la cachette, puis, ayant enfin décelé ma présence, a fait un bond
formidable et heurté les perches de chêne avec ses bois dans un fracas pareil à
l’écroulement d’une pile de rondins.
Avant l’aube ... car le brame du matin ne le cède en
rien, parfois, à celui du soir. Il offre au tireur l’avantage d’une recherche
plus facile du cerf blessé : c’est à cela qu’excellent les « chiens
de rouge », si prisés par nos amis alsaciens.
Le même jour, je devrais dire la même nuit, à courte
distance de mon poste, deux cerfs se battaient : le cliquetis de leurs
ramures entrechoquées rompait le silence de la forêt avant que ne s’annonçât la
venue tumultueuse du grand cerf, peut-être le vainqueur de ce duel sans merci.
Tant il est vrai que le brame, violente expression du rut
des cerfs inassouvis, peut préluder à la mort comme à l’amour.
Pierre SALVAT.
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