Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°616 Octobre 1947  > Page 569 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Dans le sud algérien

Une chasse à la gazelle

E touriste ou le voyageur qui s’arrête à Biskra est surtout attiré par les nombreuses oasis de la région des Ziban : Zab Sahraoui ou Zab du Nord, Zab Guelbi ou Zab du Sud.

Les pittoresques palmeraies de Tolga, d’Oumache, d’Ourelall, retiennent tout d’abord l’attention et permettent, sans grande fatigue, de visiter ces petites cités de sédentaires pour lesquelles la culture du palmier constitue le but principal de leur activité.

Il existe cependant une région moins connue et fréquentée seulement par les officiers et les fonctionnaires des Territoires du Sud que leurs fonctions appellent à se rendre en tournée à cheval ou en automobile : c’est l’immense plaine semi-désertique du Zab Chergui ou Zab de l’Est, qui s’étend depuis Sidi-Okba jusqu’à Zéribet-el-Oued et Khanga-Sidi-Nadju.

C’est là qu’on trouve encore quelques troupeaux de gazelles qui cherchent leur nourriture dans la steppe, entre les derniers contreforts des monts de l’Aurès et le chott Melghir.

Parcourant chaque mois cette région, seul ou en compagnie d’un des officiers de l’Annexe, j’ai eu souvent l’occasion d’observer les mouvements des troupeaux qui se déplacent à la recherche des pâturages sahariens et qui laissent leurs traces menues sur l’étendue argileuse ou sur le sable.

En compagnie du médecin-capitaine B ..., chef de l’A. M. I. de l’Annexe, j’ai eu la chance de rencontrer, en deux jours, une trentaine de gazelles et d’en abattre trois après une poursuite assez mouvementée en automobile.

Voici la description de cette chasse, telle que je l’ai notée à la manière d’un film cinématographique.

Partis de Biskra dans une vieille conduite intérieure Chenard, à l’aube d’une belle journée de décembre, nous nous dirigeons vers Zéribet-el-Oued pour faire une tournée d’assistance dans le secteur du Zab Chergui. Au volant, le fidèle chauffeur Hocine, qui conduit depuis bientôt huit ans, et qui connaît toutes les pistes et toutes les traverses de l’Annexe, aussi étendue qu’un département français et peuplée de 87.000 habitants.

Les parcours dans la région orientale offrent des étapes généralement à grandes distances les unes des autres, parce que presque exclusivement sahariennes et partant dans des territoires moins peuplés que ceux des oasis proprement dites.

De Biskra à Sidi-Okba, la route est connue, relativement bonne pour les véhicules automobiles. Après avoir parcouru vingt kilomètres dans une plaine coupée de touffes et de buttes argileuses, on aperçoit la palmeraie et bientôt le village de Sidi-Okba, petite cité sainte, avec sa mosquée célèbre où repose le conquérant de l’Islam.

À partir de Sidi-Okba, c’est la piste à sol d’argile et de sable avec, par endroits, des coupures dues aux oueds qui descendent de la montagne et dont les lits, à sec une grande partie du temps, sillonnent la plaine et présentent parfois des berges abruptes atteignant dix mètres de hauteur.

On admire, sans jamais se lasser, l’imposant massif des montagnes de l’Aurès, dont les derniers contreforts portent le nom bien caractéristique d’Ahmar Khadour : la joue rose.

Le versant saharien est raviné par l’érosion et présente l’aspect des montagnes lunaires, où le monde minéral est roi.

Nous franchissons les berges d’argile rouge de l’oued Biraz, les dunes de l’oued Bou-Yabès, puis nous gagnons l’oasis d’Ain-Naga (la source de la chamelle), aux palmiers desséchés et dépouillés. L’étape s’achève à 44 kilomètres de Biskra, au vieux bordj militaire.

Jusqu’ici, pas de trace de gibier, si ce n’est quelques vols de « cangas » ou perdrix grises à la chair coriace et dont le sifflement mélancolique frappe l’oreille du voyageur. Reste une longue étape de 45 kilomètres d’Ain-Naga à Zéribet-el-Oued. C’est dans cette zone que nous trouverons les terrains de prédilection des gazelles.

À notre gauche se déroulent, tel un gigantesque décor de théâtre, les escarpements arides et les éboulis du Djebel-Chechar. La plaine s’étend inlassablement, à perte de vue. On dirait un vaste plan nivelé au cylindre d’où émergent ici un bouquet de thérébinte sauvage, là un bétoum ou pistachier, plus loin des tamaris, des jujubiers aux baies rouge brun, tandis que les lauriers-roses jalonnent les lits des oueds.

Le sol est coupé d’innombrables ravines et, en certains points, paraît fileté comme une résille. Sur ce plan si uniforme en apparence, s’amoncellent des dunes arrondies, couvertes de végétation, ce qui a permis à J. Brunhes de donner à ces régions le nom si expressif de « Sahara des touffes ».

À mi-chemin entre Ain-Naga et Zéribet-el-Oued, s’étend une vaste dépression couverte d’une végétation assez abondante, du moins pour ces régions subdésertiques, et que l’on nomme l’Oglat Djenane, terrain de parcours des Ouled Abderrahman, fraction nomade dont les tentes noires émergent à travers les buttes sablonneuses. C’est dans cette partie de notre itinéraire que nous quittons la piste pour nous diriger vers la montagne située à une quinzaine de kilomètres environ.

Nous sommes armés d’un Idéal, calibre 12, et d’une carabine Winchester 1886, semi-automatique, que je braque à la portière en attendant le moment favorable pour tirer. Il ne se fait guère attendre. Après avoir roulé pendant vingt minutes parmi les touffes de « gtaff », notre chauffeur, dont la vue est remarquablement perçante, nous signale deux gazelles.

De fait, sur l’horizon, au milieu des buissons épineux, se détachent deux silhouettes, minuscules points blancs qui s’éloignent déjà ...

À la jumelle, je m’efforce de les suivre, tandis que Hocine accélère et fonce droit devant lui.

Nous assurons nos armes et nous essayons, au milieu des cahots et des heurts, de nous maintenir en bonne position. Ce n’est pas chose aisée. Le terrain est souvent coupé de caniveaux et de petites coupures qui ne se décèlent qu’au dernier moment.

Il faut les contourner ; on freine brusquement, au grand dam des occupants de la voiture.

Mais la distance entre les poursuivants et le gibier diminue. On aperçoit plus nettement les deux bêtes traquées qui détalent à grandes foulées, faisant parfois des sauts impressionnants. Leur vitesse est d’environ 60 kilomètres à l’heure. Il s’agit de couper leur route, et, pour cela, notre chauffeur décrit un grand cercle qui nous amène insensiblement plus près des fugitives.

De leur côté, elles redoublent d’efforts, mais nous voici bientôt à 100 mètres du mâle, qui tente de couper notre route. À environ 60 mètres, il se présente bien et je presse la détente, sans trop avoir le loisir d’ajuster. Au troisième coup, il trébuche et roule, touché au défaut de l’épaule.

Stoppant quelques instants, je laisse sur place mon cavalier Ali et nous repartons de plus belle à la poursuite de la jeune femelle, qui a déjà gagné du terrain.

Il faut reprendre de la vitesse et décrire une vaste ellipse en terrain assez accidenté pour la rejoindre.

Elle bondit d’une façon presque fantastique tant la poursuite est serrée. Mais bientôt elle se présente de flanc à 50 mètres. Au passage, je lâche mon coup, et elle roule à son tour, fauchée par la redoutable balle W. C-F. 45-90.

Après cette partie de chasse couronnée de succès, nous regagnons la piste et reprenons notre route en direction de Zéribet-el-Oued, où nous arrivons à 11 heures.

André LEBERT.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 569