E touriste ou le voyageur qui s’arrête à Biskra est
surtout attiré par les nombreuses oasis de la région des Ziban : Zab
Sahraoui ou Zab du Nord, Zab Guelbi ou Zab du Sud.
Les pittoresques palmeraies de Tolga, d’Oumache, d’Ourelall,
retiennent tout d’abord l’attention et permettent, sans grande fatigue, de
visiter ces petites cités de sédentaires pour lesquelles la culture du palmier
constitue le but principal de leur activité.
Il existe cependant une région moins connue et fréquentée
seulement par les officiers et les fonctionnaires des Territoires du Sud que
leurs fonctions appellent à se rendre en tournée à cheval ou en
automobile : c’est l’immense plaine semi-désertique du Zab Chergui ou Zab
de l’Est, qui s’étend depuis Sidi-Okba jusqu’à Zéribet-el-Oued et Khanga-Sidi-Nadju.
C’est là qu’on trouve encore quelques troupeaux de gazelles
qui cherchent leur nourriture dans la steppe, entre les derniers contreforts
des monts de l’Aurès et le chott Melghir.
Parcourant chaque mois cette région, seul ou en compagnie
d’un des officiers de l’Annexe, j’ai eu souvent l’occasion d’observer les
mouvements des troupeaux qui se déplacent à la recherche des pâturages
sahariens et qui laissent leurs traces menues sur l’étendue argileuse ou sur le
sable.
En compagnie du médecin-capitaine B ..., chef de l’A. M. I.
de l’Annexe, j’ai eu la chance de rencontrer, en deux jours, une trentaine de
gazelles et d’en abattre trois après une poursuite assez mouvementée en
automobile.
Voici la description de cette chasse, telle que je l’ai
notée à la manière d’un film cinématographique.
Partis de Biskra dans une vieille conduite intérieure
Chenard, à l’aube d’une belle journée de décembre, nous nous dirigeons vers Zéribet-el-Oued
pour faire une tournée d’assistance dans le secteur du Zab Chergui. Au volant,
le fidèle chauffeur Hocine, qui conduit depuis bientôt huit ans, et qui connaît
toutes les pistes et toutes les traverses de l’Annexe, aussi étendue qu’un
département français et peuplée de 87.000 habitants.
Les parcours dans la région orientale offrent des étapes
généralement à grandes distances les unes des autres, parce que presque
exclusivement sahariennes et partant dans des territoires moins peuplés que
ceux des oasis proprement dites.
De Biskra à Sidi-Okba, la route est connue, relativement
bonne pour les véhicules automobiles. Après avoir parcouru vingt kilomètres
dans une plaine coupée de touffes et de buttes argileuses, on aperçoit la
palmeraie et bientôt le village de Sidi-Okba, petite cité sainte, avec sa
mosquée célèbre où repose le conquérant de l’Islam.
À partir de Sidi-Okba, c’est la piste à sol d’argile et de
sable avec, par endroits, des coupures dues aux oueds qui descendent de la
montagne et dont les lits, à sec une grande partie du temps, sillonnent la
plaine et présentent parfois des berges abruptes atteignant dix mètres de
hauteur.
On admire, sans jamais se lasser, l’imposant massif des
montagnes de l’Aurès, dont les derniers contreforts portent le nom bien
caractéristique d’Ahmar Khadour : la joue rose.
Le versant saharien est raviné par l’érosion et présente
l’aspect des montagnes lunaires, où le monde minéral est roi.
Nous franchissons les berges d’argile rouge de l’oued Biraz,
les dunes de l’oued Bou-Yabès, puis nous gagnons l’oasis d’Ain-Naga (la source
de la chamelle), aux palmiers desséchés et dépouillés. L’étape s’achève à 44
kilomètres de Biskra, au vieux bordj militaire.
Jusqu’ici, pas de trace de gibier, si ce n’est quelques vols
de « cangas » ou perdrix grises à la chair coriace et dont le
sifflement mélancolique frappe l’oreille du voyageur. Reste une longue étape de
45 kilomètres d’Ain-Naga à Zéribet-el-Oued. C’est dans cette zone que nous
trouverons les terrains de prédilection des gazelles.
À notre gauche se déroulent, tel un gigantesque décor de théâtre,
les escarpements arides et les éboulis du Djebel-Chechar. La plaine s’étend
inlassablement, à perte de vue. On dirait un vaste plan nivelé au cylindre d’où
émergent ici un bouquet de thérébinte sauvage, là un bétoum ou pistachier, plus
loin des tamaris, des jujubiers aux baies rouge brun, tandis que les
lauriers-roses jalonnent les lits des oueds.
Le sol est coupé d’innombrables ravines et, en certains
points, paraît fileté comme une résille. Sur ce plan si uniforme en apparence,
s’amoncellent des dunes arrondies, couvertes de végétation, ce qui a permis à
J. Brunhes de donner à ces régions le nom si expressif de « Sahara
des touffes ».
À mi-chemin entre Ain-Naga et Zéribet-el-Oued, s’étend une
vaste dépression couverte d’une végétation assez abondante, du moins pour ces
régions subdésertiques, et que l’on nomme l’Oglat Djenane, terrain de parcours
des Ouled Abderrahman, fraction nomade dont les tentes noires émergent à
travers les buttes sablonneuses. C’est dans cette partie de notre itinéraire
que nous quittons la piste pour nous diriger vers la montagne située à une
quinzaine de kilomètres environ.
Nous sommes armés d’un Idéal, calibre 12, et d’une
carabine Winchester 1886, semi-automatique, que je braque à la portière en
attendant le moment favorable pour tirer. Il ne se fait guère attendre. Après
avoir roulé pendant vingt minutes parmi les touffes de « gtaff »,
notre chauffeur, dont la vue est remarquablement perçante, nous signale deux
gazelles.
De fait, sur l’horizon, au milieu des buissons épineux, se
détachent deux silhouettes, minuscules points blancs qui s’éloignent
déjà ...
À la jumelle, je m’efforce de les suivre, tandis que Hocine
accélère et fonce droit devant lui.
Nous assurons nos armes et nous essayons, au milieu des
cahots et des heurts, de nous maintenir en bonne position. Ce n’est pas chose
aisée. Le terrain est souvent coupé de caniveaux et de petites coupures qui ne
se décèlent qu’au dernier moment.
Il faut les contourner ; on freine brusquement, au
grand dam des occupants de la voiture.
Mais la distance entre les poursuivants et le gibier
diminue. On aperçoit plus nettement les deux bêtes traquées qui détalent à
grandes foulées, faisant parfois des sauts impressionnants. Leur vitesse est
d’environ 60 kilomètres à l’heure. Il s’agit de couper leur route, et, pour
cela, notre chauffeur décrit un grand cercle qui nous amène insensiblement plus
près des fugitives.
De leur côté, elles redoublent d’efforts, mais nous voici
bientôt à 100 mètres du mâle, qui tente de couper notre route. À environ
60 mètres, il se présente bien et je presse la détente, sans trop avoir le
loisir d’ajuster. Au troisième coup, il trébuche et roule, touché au défaut de
l’épaule.
Stoppant quelques instants, je laisse sur place mon cavalier
Ali et nous repartons de plus belle à la poursuite de la jeune femelle, qui a
déjà gagné du terrain.
Il faut reprendre de la vitesse et décrire une vaste ellipse
en terrain assez accidenté pour la rejoindre.
Elle bondit d’une façon presque fantastique tant la
poursuite est serrée. Mais bientôt elle se présente de flanc à 50 mètres.
Au passage, je lâche mon coup, et elle roule à son tour, fauchée par la
redoutable balle W. C-F. 45-90.
Après cette partie de chasse couronnée de succès, nous
regagnons la piste et reprenons notre route en direction de Zéribet-el-Oued, où
nous arrivons à 11 heures.
André LEBERT.
|