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Chiens courants du Moyen Âge et de la Renaissance

Abandonnant Gaston de Foix et son manuscrit, dont nous avons entretenu en août dernier les lecteurs de cette revue, nous tombons, avec du Fouilloux (1521-1580), dans la classification par couleur. Les images illustrant son récit, plein de vie et de verve, ne peuvent rien apprendre de la conformation des quatre races qu’il énumère.

Les Blancs, certainement les plus en honneur de son temps, étaient de haut nez, beaux chasseurs, preneurs d’animaux, sûrs de change, vrais chiens d’ordre. Ils étaient marqués de rouge ou de fauve. On sait leur alliance (probablement pas la seule) avec la lice rouge Baude. Comment étaient-ils bâtis ? Légers ou en force ? Du Fouilloux ne nous le dit pas. En tout cas, étant bons preneurs, ils n’étaient ni lourds ni lents. Jusqu’à ces dernières années, nous avons eu en France trois races différenciées de chiens blanc-orange descendant certainement de ces Blancs, plus tard appelés « chiens blancs du Roi ». Toutes étaient de haute qualité et pouvaient prétendre pour part plus ou moins étendue à cette illustre ascendance. Peut-être le chien de Montembœuf à la rare distinction, fondu depuis dans la race de Billy, était-il celui le plus représentatif ; mais il est difficile de le prouver.

Des Fauves, Fouilloux dit la hardiesse, la ténacité, l’indifférence aux rigueurs de la température, à l’eau, leur opiniâtre caractère, leur tendance à courir le bétail. À défaut d’une description de l’anatomie, cette analyse de la psychologie suffit à prouver qu’il s’agit bien du Fauve de Bretagne, devenu au cours des générations de plus en plus ingouvernable et pour ce abandonné. La disparition du loup y contribua. Intrépides et sans peur, aucun chien courant n’osait attaquer le loup avec autant de courage.

Sur le chien gris a été bâtie une légende, depuis percée à jour, à laquelle du Fouilloux ne fait aucune allusion. Peut-être fut-elle montée de toutes pièces après sa mort par l’auteur véritable du Livre de Chasse de Charles IX ? Il y avait des chiens gris bien avant le temps de saint Louis. Connus en Bourgogne dès la période gallo-romaine, existaient dans la région des « Ségusis », ou chiens courants gris-noir, ou gris de loup, ascendants plus que probables du véritable Nivernais moderne, race très ancienne qu’un long temps d’abandon n’est pas parvenu à détruire. Il n’est meilleure preuve de son ancienneté. Le moral des Gris du temps de Fouilloux était comme suit : « ardents et de grand cœur », « n’aimant pas une bête qui ruse et tournoie ». Ils « redoutent la foule des piqueurs », ce pourquoi « ils ne sont pas faits pour les équipages des princes ». Puis il vante leur ténacité en dehors de l’appui de l’homme.

C’est bien notre Nivernais, le meilleur et le plus courageux auxiliaire du chasseur du sanglier à tir, peu organisé pour figurer en meute nombreuse, en vertu de son tempérament, et depuis des siècles inchangé, au moral et au physique.

Les Noirs décrits par Fouilloux appartiennent certainement à la race en faveur au moyen âge. Ils « sont puissants de corsage : toutefois, ils ont les jambes basses et courtes ; aussi sont-ils pas vistes, combien qu’ils soient de haut nez, chassans de forlonge ... », etc. « Les limiers en sortent bons. » La race est « semée du Hainaut à la Bourgogne ». L’origine est dite ardennaise. Il s’agit bien du même chien, qui toutefois semble s’être encore alourdi, puisqu’il est surtout apprécié comme limier.

Était-il déjà à cette époque modifié par alliance avec celui de même robe, représenté de nos jours par le Bloodhound ? Cela, on ne le sait pas.

Dès le XVIe siècle existaient deux Bassets bien connus de du Fouilloux. L’un, à poil ras, est dit originaire d’Artois et à pattes torses, le plus réputé des deux pour la chasse sous terre de « tessons et vulpins ». L’autre est à pattes droites et gros poil. L’auteur ne dit pas son origine, peut-être parce que du bas Poitou, comme lui-même. Le Basset-Griffon serait donc très anciennement établi en Vendée, qui est partie du bas Poitou. Le véritable Basset d’Artois s’obstine à survivre, avec sa tête épanouie et son oreille plate, parce qu’il dérive par mutation d’une race bien fixée. Le Basset vendéen, préféré à jambes droites, se trouve donc d’accord avec la tradition. S’il a tendance à monter en hauteur, il le doit pour une large part à l’erreur qui l’a voulu de trop grande taille. Mais il est intéressant de savoir l’existence d’un Basset-Griffon à jambes droites il y a quatre siècles.

Parmi nos chiens courants modernes, nous voyons donc des survivances d’un lointain passé. Ce siècle en aura vu disparaître un certain nombre, et la liste n’est pas close de ces effondrements souvent très rapides.

On peut les attribuer soit au manque de connaissances des éleveurs, incapables de réaliser l’amélioration et l’adaptation aux besoins changeants ; soit à des fantaisies condamnant un physique qui a cessé de plaire. Il n’y a pas à évoquer la fatalité, mais nos erreurs. La résistance d’autres à un abandon prolongé est un vrai miracle. Les formes naturelles ont une vitalité compensatrice de nos maladresses.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 574