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En marge du sport

Droitiers et gauchers

Parmi les nombreuses théories s’efforçant de préciser comment on devient droitier ou gaucher, et qui sortent du cadre de ce journal, on peut en retenir une qui semble incontestable : l’asymétrie du corps de l’homme.

En effet, avant que le petit de l’homme ne se tienne debout, tant que son jeune corps est couché sur le dos et n’a pas à lutter contre la pesanteur, il se sert aussi bien d’une main que de l’autre.

À partir du moment où l’homme doit se tenir debout, il est handicapé vis-à-vis des autres animaux supérieurs parce que, seul parmi ceux-ci, il est bipède. Or il n’est pas rigoureusement équilibré par rapport à son axe vertical. La moitié droite est plus lourde à cause de la présence du plus lourd des viscères : le foie. La preuve en est fournie par M. Salomon (Roumanie), qui, entre autres observations, a noté que les scaphandriers sont obligés de rétablir leur équilibre dans l’eau en mettant des plaques plus légères sous le pied droit que sous le pied gauche.

Or, pour faire tourner une corde au bout de laquelle est attaché un poids, il faut moins d’efforts que pour faire tourner une corde sans poids. De même, il faut à l’homme plus d’efforts pour continuer un mouvement vers la droite, car la force centrifuge résultant de la rotation du foie n’intervient pas, note M. Salomon.

Il suffit de regarder la plupart des gestes sportifs, ou ceux du travailleur manuel, pour confirmer cette opinion.

On s’appuie à droite sur une canne, neuf sur dix des humains ont l’épaule droite plus basse que la gauche, on porte plus facilement un fardeau sur l’épaule gauche. Le cou-de-pied droit est plus puissant que le gauche, à cause de l’impulsion donnée par le balancement de la masse du foie. On dort mieux sur le côté droit, on y nage plus facilement.

La rotation à gauche est la plus habituelle, elle s’explique par la force centrifuge, le poids du côté droit pivotant autour de l’axe vers le gauche plus léger. Le plus grand développement des muscles à droite est une conséquence, et non une cause, du travail par prédilection des membres droits. En effet, une série de mouvements qui ne demandent pas l’apport de la main sont exécutés de préférence dans un sens, bien qu’à première vue rien ne s’oppose à ce qu’ils soient exécutés avec la même facilité dans l’un et l’autre sens.

C’est ainsi que le demi-tour s’exécute sur le talon gauche, que le soldat s’incline sur son genou gauche pour mettre en joue. On monte en selle et à bicyclette en élevant le pied gauche point d’appui, on vire plus facilement à gauche. Sur les porte-avions, la superstructure est toujours située à tribord (côté droit du pont), parce que les pilotes virent toujours à gauche. Sur le stade, comme sur le vélodrome, on tourne à gauche. Les chevaux, pourtant quadrupèdes, au manège ou en liberté tournent à gauche. On a adapté le volant à gauche dans les pays où l’on roule à droite. Les pirouettes des danseurs, les virages des skieurs se font dans le même sens.

On peut enfin noter que, lorsqu’on s’égare, on tourne en cercle pour revenir au point de départ après avoir décrit un grand cercle sur sa gauche.

Si le nombre des droitiers est très supérieur à celui des gauchers, ce n’est pas une question d’éducation ou d’habitude, puisque cette généralisation est commune à toutes les races et à tous les climats. Et le fait d’être gaucher indique une manière d’être particulière qu’il faut accepter quand elle existe, mais qu’il ne faut pas provoquer de force. Il y a toujours — sauf cas d’exception — danger à contrarier les indications de la nature. On en trouve précisément une preuve dans le cas qui nous occupe ici. On connaît un certain nombre de cas dans lesquels le passage forcé (parfois justifié, chez des amputés ou mutilés, par exemple) et trop rapide de la situation de droitier à celle de gaucher, ou inversement, a provoqué des troubles moteurs et psychiques graves, entre autres du bégaiement, chez des enfants, ou même chez des adultes pour lesquels on a employé pour obtenir ce changement — qui entraîne dans les habitudes et dans l’équilibre général des perturbations très importantes — des méthodes trop intenses ou trop rapides.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 584