Dans un article antérieur, relatif à l’avenir des industries
du bois, nous exposions la pénurie de certains produits forestiers français,
pénurie susceptible d’être palliée de deux façons différentes :
augmentation de la production, diminution de la consommation.
Nous voudrions étudier dans le présent article, avec un peu
plus de détails, la question de l’augmentation immédiate de la
production.
Une grande partie des forêts françaises a été surexploitée
pendant l’occupation allemande et après la Libération. Ces forêts doivent
maintenant être ménagées, et il n’est pas question d’y continuer les
exploitations au rythme d’au moins une possibilité et demie qui fut imposé par
les circonstances, bien au contraire.
Par contre, certaines forêts, parce qu’on n’y trouvait pas
de main-d’œuvre ou parce qu’elles n’étaient desservies par aucun chemin de
vidange, n’ont pas connu ces exploitations intenses. C’est à elles qu’il faut
faire appel maintenant, et alors il se peut qu’on ait à résoudre ce double problème
de la main-d’œuvre et des transports.
La main-d’œuvre est raréfiée. C’est, en apparence, une règle
fatale que les jeunes abandonnent les durs travaux de la campagne ou des bois
et la monotonie des soirées du village pour la ville aux attraits multiples. Ce
n’est cependant pas un cas général ; il reste au village des bûcherons et
même des jeunes. Il faut organiser le travail pour ne pas les rebuter,
augmenter leur rendement et leur salaire sans grever le prix du bois façonné,
si on ne veut pas que des problèmes de concurrence se posent.
La mécanisation de l’abatage et du façonnage est-elle
possible, souhaitable et rentable ?
Dans tous les journaux forestiers on vante les mérites de
telle ou telle scie mécanique à abattre et à tronçonner qu’il ne nous appartient
pas de décrire ici. Nous les avons vues à l’œuvre dans diverses régions, en
face de taillis ou de grumes, devant des résineux ou des feuillus, en terrain
plat ou accidenté. Nous avons pu faire des chronométrages et des comparaisons
avec d’excellentes équipes de bûcherons travaillant à la main. Nous pouvons
donc déclarer que l’abatage mécanique est possible. Il est possible avec les
grumes, résineuses ou feuillues, et permet de réaliser, sur l’abatage à la
main, une économie de temps de près de 75 p. 100. Le travail est bien
fait. Tous les traits de scie donnés horizontalement, c’est-à-dire
perpendiculairement aux fibres, sont faits dans de bonnes conditions. Nous
réservons notre avis sur les entailles obliques, en particulier avec les bois
tendres, qui peuvent être aussi vite faites à la hache. Le tronçonnage se fait
depuis longtemps à l’usine avec des scies mécaniques. On peut le faire
instantanément, en forêt, en marquant les découpes. On peut gagner, par rapport
au tronçonnage au passe-partout ou à la scie mécanique, un temps considérable.
La scie mécanique se faufile assez mal dans les houppiers
pour aller couper les branches et surtout, les traits de scie obliques, donnés
raz tronc pour élaguer les arbres abattus, ont tendance à bourrer. Une mise au
point est à faire.
Nous n’avons pas été enthousiasmé par l’abatage du taillis à
la scie mécanique. Les scies à chaîne actuelles doivent attaquer les cépées par
l’extérieur, et les perches ont tendance à coincer ; il faut les repousser
vers l’intérieur de la cépée pour dégager les lames, et le gain de temps sur le
travail à la main est faible. Le travail est bien fait, les sections bien
nettes, et, partout, nous avons remarqué que le taillis rejetait tout aussi
bien que celui coupé à la hache. Là encore, des progrès restent à faire.
Des scies mécaniques sur chenillettes permettent de façonner
sur coupe le bois de feu, les bois de papeterie, les étais, dans des temps
records. Nous avons pu apprécier le travail remarquable fourni par des scies
circulaires à balancier, pour le façonnage sur coupe ou sur route.
La solution du problème est possible. L’outil de coupe est à
peu près au point, sauf les réserves qui viennent d’être faites. Nous voudrions
ajouter quelques mots sur la force motrice employée. Le plus souvent, en forêt,
c’est un moteur à essence à deux temps de quelques chevaux attaquant la scie
elle-même. D’autres fois, c’est un moteur électrique alimenté, au bout d’un
long fil souple, par un groupe électrogène sur traîneau ou sur chenillette.
La première solution est la plus répandue. Elle permet
d’aller un peu partout sans se faire suivre d’un groupe électrogène, et elle
nécessite une plus faible mise de fonds. Elle a quelques inconvénients :
poids élevé du moteur, trépidations, odeur d’essence sous le nez de l’ouvrier,
fatigue du moteur qui supporte directement les à-coups du sciage et qui
travaille souvent emballé, fragilité quand une perche mal dirigée vient
l’effleurer. Les moteurs électriques sont plus légers, sans trépidations ni
odeurs, le relais électrique absorbe les à-coups et le moteur est protégé par
un carter blindé peu fragile. Cette forme de mécanisation nous paraît assez
séduisante, un groupe électrogène peut alimenter deux scies et deux prises de
courant pour éclairage et machine à affûter. On peut le monter sur un tracteur
à chenille qui va partout, une belle longueur de câble facilite les opérations
d’abatage, élagage ou tronçonnage.
L’abatage mécanique est donc possible. Est-il
souhaitable ? Dans les régions où nous l’avons vu pratiquer, il y avait
pénurie de main-d’œuvre, et c’est grâce à lui que les coupes ont pu se
faire ; les bûcherons l’ont bien accepté. Leur salaire s’est trouvé
amélioré, et il n’est pas puéril de reconnaître que cette mécanisation de leur
travail leur a plu. Autrefois, l’homme était fier de son cheval. Cette noble
conquête de l’homme est un peu passée de mode, et aujourd’hui l’homme est fier
de son moteur. En tout cas, seule la mécanisation permettra de continuer les
exploitations dans les régions où il y a pénurie de main-d’œuvre bûcheronne.
Ailleurs, elle permettra de sélectionner les meilleurs bûcherons et d’aiguiller
vers une autre voie la main-d’œuvre non qualifiée qui coûte cher.
La mécanisation est-elle rentable ? C’est ici que le
bât blesse. Parler de prix à une époque où la monnaie est instable est assez
difficile ; Actuellement, les outils mécaniques, qui ne sont pas encore de
la grande série, coûtent cher, mais beaucoup de choses coûtent cher.
Nous avons vu de petits groupes de bûcherons s’acheter une scie
mécanique, ce qui prouve que leur prix est quand même abordable. Par ailleurs,
quand il s’agit d’exploiter des coupes qui, sans cela, seraient
inexploitables, le problème du prix passe au deuxième plan. De toute façon,
la rentabilité ne pourra être calculée avec précision que quand les prix seront
bien stabilisés. Actuellement, une scie à essence toute montée vaut 100.000 francs.
Elle peut travailler plusieurs années, suivant l’habileté de l’ouvrier qui la
manœuvre. Une scie électrique s’amortirait plus lentement qu’une scie avec
moteur à essence.
LE FORESTIER.
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