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La responsabilité des maréchaux ferrants

La pratique de la ferrure, qui est déjà par elle-même, au point de vue professionnel, une opération plus importante et plus délicate qu’on ne le croit généralement pour l’entretien et la conservation des sabots des chevaux, est susceptible d’occasionner pendant le travail des incidents ou accidents divers, portant préjudice aux personnes ou aux animaux.

Dans ce cas, la responsabilité civile du maréchal ferrant ou de ses aides peut se trouver plus ou moins engagée, mais, quand elle est mise en cause devant les tribunaux, les juges se montrent le plus souvent très indulgents et ils n’accordent les dommages-intérêts qui leur sont réclamés que s’il y a eu faute lourde, maladresse professionnelle évidente ou négligence impardonnable de la part du ou des opérateurs incriminés.

Dans son chapitre concernant « les délits et les quasi-délits », le Code civil prescrit les droits et devoirs de chacun dans une série d’articles où nous relevons spécialement ceux qui nous paraissent les plus adéquats à toutes les circonstances de fait pouvant se présenter.

D’ordre général, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (art. 1382).

Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence (cheval mal attaché, avec son bridon au lieu d’un licol ; sole brûlée par un fer trop chauffé ; ne pas employer de capote ou caveçon avec des chevaux impressionnables ou difficiles, etc.) (art. 1383).

Et, se rapportant davantage à notre propos, l’article 1384 spécifie : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou les choses que l’on a sous sa garde ... »

Et l’article 1385 vient ajouter : « Le propriétaire d’un animal ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fut sous sa garde, soit qu’il fut égaré ou échappé. »

Mais jusqu’à quel point un cheval amené à la forge se trouve-t-il sous la garde du maréchal, quand il y est conduit par son propriétaire, ou par un homme qu’il emploie à son service particulier ?

Les tribunaux ont mission d’en décider, mais la responsabilité d’un accident ne saurait être partagée ; elle est individuelle, alternative, c’est-à-dire que, selon les circonstances, elle sera encourue soit par le propriétaire du cheval, soit par le maréchal.

Pour que le propriétaire puisse se disculper, il est nécessaire qu’il prouve qu’au moment où l’accident s’est produit il avait abandonné la garde juridique de son cheval au maréchal, qui en faisait un usage intéressé, lucratif, conformément à l’exercice de sa profession. Cette manière de voir est admise sans conteste quand l’opération de la ferrure est faite à la forge du maréchal, par celui-ci, en l’absence du propriétaire.

Au contraire, si ce dernier assiste à l’application de la ferrure, il semble que sa seule présence indique son intention de conserver la garde juridique de son animal, et, de ce fait, il donne au maréchal l’assurance que le cheval reste sous sa surveillance, sa garde et sa sauvegarde, et que, par conséquent, il accepte la responsabilité des accidents qu’il peut provoquer.

Ces deux cas, bien définis, ne peuvent mettre les juges dans l’embarras, mais il n’en est plus de même quand le propriétaire du cheval, au lieu de se rendre à la forge, y envoie un de ses domestiques à sa place.

A priori, il ne semble pas qu’il y ait quelque chose de changé à la règle générale, formulée par l’article 1384 du Code civil, stipulant que les maîtres sont responsables des dommages causés par leurs domestiques.

Mais, au lieu d’être la cause d’un accident, le domestique peut aussi en être la victime, alors qu’il prêtait aide et assistance au maréchal, et, dans ce cas, c’est celui-ci qui encourt la responsabilité du dommage causé, parce que c’est de son consentement tacite, voire à sa demande, qu’il a bénéficié de l’aide de cette personne.

Cette manière de voir, généralement admise, a été confirmée, entre autres, par le tribunal civil de Troyes, dans un jugement où un maréchal ferrant et sa compagnie d’assurances ont été déclarés responsables d’un accident arrivé à un domestique ayant conduit à la forge le cheval de son patron, d’après les considérants ci-dessous :

« Attendu que le domestique aidait le maréchal dans son travail, en tenant le pied du cheval, et que, par suite d’un mouvement violent de l’animal, il fut projeté à terre et blessé ;

» Attendu que, d’après l’article 1385 du Code civil, la responsabilité incombe à la seule personne qui, au moment de l’accident, se sert de l’animal et en fait l’usage que comporte l’exercice de son métier ;

» Attendu que le propriétaire s’était momentanément dessaisi de la garde de son cheval au profit du maréchal, qui, moyennant salaire, ferrait cet animal dans son propre atelier ;

» Attendu que, si le domestique a apporté son aide au maréchal, cette aide était subordonnée à l’autorité de celui-ci, qui, aux termes du contrat, avait assumé la garde de cet animal pendant toute la durée du travail qu’il devait exécuter ;

» Qu’il lui appartenait, en conséquence, de prendre toute mesure de sécurité afin d’éviter un accident ;

» Que, dans ces conditions, le maréchal doit être déclaré seul responsable de l’accident de travail dont le domestique a été victime ... »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dont acte, avec approbation, car nous pensons qu’un métier ne peut être exercé avec « autorité » qu’autant qu’on sait en accepter toutes les « responsabilités ».

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 592