Vous pouviez espérer que cette année 1947 amènerait, sinon
l’abondance nourricière, tout au moins des facilités que vous ne connaissiez
plus depuis 1940. Il n’en est fâcheusement rien. Les rigueurs de l’hiver, ces
gelées brutales et sans neige qui ont sévi à deux reprises ont anéanti maintes
cultures de blé et d’avoine d’hiver et amenuisé des stocks de grains qui
étaient déjà insuffisants. Et l’implacable sécheresse qui a sévi partout,
transformant les herbages en paillassons, a créé la pénurie de toutes les
ressources de grains et de fourrages.
Vous vous en tirerez assez facilement pour vos lapins et
chèvres, surtout si vous avez eu la bonne idée de faire une provision de
branches feuillues de frênes, saules, tilleuls, ormes, peupliers, ce que vous
pouvez encore réaliser et en utilisant largement les ressources de votre jardin
légumier, c’est-à-dire en tirant parti de tous les déchets, jusqu’aux troncs de
choux qui, fendus en quatre, sont rongés moelle comprise, les lapins ne
laissant que la partie par trop cellulosique. Sans doute leur croissance sera
quelque peu freinée faute de disposer de son, de sous-produits de moutures et
de temps à autre d’une poignée d’avoine, car il vaut mieux conserver cette
dernière pour vos pondeuses. Pour eux ; vous avez encore la ressource des
herbes vertes et du fourrage, dont vous avez sans doute constitué une
provision.
Il en va autrement pour vos poules si vous voulez en obtenir
une ponte raisonnable, faute de grains, de céréales secondaires et de
sous-produits de moutures de céréales en général.
Si vous avez semé un peu de ces céréales et notamment du
maïs, du sorgho et du grand tournesol, vous disposerez d’un peu de ces graines
et de l’avoine que vous pourrez peut-être acheter en petites quantités.
À ce propos, assurez-vous dès cet automne des semences de ces
céréales et du grand tournesol, dont vous pourrez plus difficilement vous
approvisionner au moment de les semer en fin d’hiver et au printemps prochain.
Ajoutez le sorgho à balai auquel les poules s’habituent très bien et du millet
pour vos poussins.
Pour le moment, vous allez disposer, comme aliments de
volume de son auquel le blutage de la farine à environ 95 p. 100 ne laisse
guère que l’écorce cellulosique ; de farines de légumineuses, luzerne et
trèfle riches en protéine végétale. Ne faites toutefois pas entrer celles-ci à
plus de 10 à 12 p. 100 dans les rations, en raison de leur teneur en
cellulose, car un dosage supérieur serait fait en pure perte.
Vous trouverez assez facilement de la farine de viande et de
poisson, que vous pouvez remplacer avantageusement par du sang frais si vous
vous trouvez à proximité d’un abattoir. Mais comme celui-ci se corrompt assez
vite, employez-en une partie frais et faites cuire le surplus, pour
l’incorporer aux rations suivantes.
Donnez beaucoup de verdures : choux, salades, oseille,
chicorée, et même des fruits si vous en avez beaucoup, y compris les dernières
tomates. Pour éviter que tous ces éléments soient gâchés, hachez-les et
incorporez-les dans les pâtées, de même que les épluchures et pépins de fruits
lorsque vous faites des compotes. Réservez les betteraves pour la seconde
partie de l’hiver, lorsque vos approvisionnements en verdures s’amenuiseront.
Enfin, faites entrer largement les légumes dans les
rations : petites pommes de terre, choux, betteraves, carottes et maïs
cuits, incorporés dans les pâtées de son, farines de légumineuses, en forçant
un peu les proportions de sang frais ou de farine de viande exceptionnellement
et de poisson jusqu’à 18 et 20 p. 100 pour compenser la faible richesse de
ce mélange en protéine. Cuisez en même temps les grains qui seront ainsi mieux
assimilés, ce qui fait par surcroît accepter des grains que les poules refusent
à l’état sec : vesces, pois gris (que dans beaucoup d’endroits on nomme
bisailles), etc.
Procédez ainsi que j’ai vu faire dans un grand élevage.
Lavez soigneusement les pommes de terre, faites-les cuire dans une chaudière,
une lessiveuse ou dans tout autre récipient avec beaucoup d’eau ; dès
qu’elles sont cuites, retirez-les de celui-ci avec une grande écumoire. Plongez
de suite les grains dans l’eau bouillante, tout en arrêtant le feu. Ces grains
cuisent suffisamment et se gonflent. À ce stade, enlevez-les pour les
distribuer de préférence aux repas du soir.
Par ailleurs, confectionnez vos pâtées en écrasant pommes de
terre et légumes, pour les mélanger intimement avec le son, la farine de
luzerne, les farines de poisson, de viande ou le sang, les coquilles d’huîtres
écrasées et si vous en disposez des farines de céréales secondaires, maïs
compris. Donnez le plus possible et très profitablement ces pâtées chaudes ou
tièdes surtout en hiver.
Compensez la faible teneur de ces mélanges cuits en
vitamines par une distribution de verdures fraîches : épluchures de
salades, de feuilles de choux, de carottes, d’épluchures de fruits, feuilles
d’orties, tout cela haché et incorporé dans les pâtées ; sinon par
l’ajouté de vitamines de synthèse. Distribuez les grains cuits au repas de fin
d’après-midi.
Donnez la même nourriture, même plus grossière, à vos canes
pondeuses.
Toutes ces nourritures sont remarquablement assimilées et
les grains cuits profitent fort bien aux poussins, canetons, oisons, etc.
Une source remarquablement agissante des vitamines est
constituée par les insectes, vers, larves d’insectes qui se terrent pour l’hiver.
Ramassez-les et distribuez-les journellement lorsque vous procédez aux labours
et façons du sol. Mieux encore, si vous disposez de peu de bêtes, en vous
faisant accompagner par quelques-unes de ces volailles, poules ou canes.
Également et surtout lorsque vous maniez ou épandez fumier, terreau, compost,
etc. Leur regard perçant distingue les moindres larves. Celles-ci sont
ingurgitées rapidement pour le profit sanitaire du sol, celui de la nutrition
de vos bêtes et pour leur ponte.
Semez aussi de l’orge, de l’avoine, du seigle ; vous
pourrez dans le sud-est et le sud-ouest surtout faire quelques coupes de
verdure fraîche en hiver et plusieurs au printemps avant l’épiage.
En tirant ainsi parti de tout, vous arriverez à passer le
cap de cette période de disette, en vous préparant à produire des grains pour
la saison d’élevage 1948-1949.
Claude AXEL.
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