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Chronique financière

Problèmes actuels

Avec une monnaie du type errant comme l’est la nôtre, la question des prix est l’une des plus difficiles à résoudre qui soit. Et, en particulier, en ce qui concerne les valeurs mobilières, lesquelles subissent nombre d’influences contradictoires. À la mi-juillet, l’indice de l’ensemble des valeurs françaises à revenu variable s’établissait à 11,40 fois celui de 1938, les pétroles étant à 16, la mécanique à près de 13, les textiles à 20, etc. Comme les dividendes distribués sont très loin d’avoir subi pareille progression, les acheteurs à ces niveaux estiment donc que la situation intrinsèque des affaires, leur potentiel justifient ces cotations optimistes. Pourquoi ? À cette même date, l’industrie française travaillait au grand maximum à 75 p. 100 de son activité d’avant guerre, à des prix — sauf pour les textiles — s’échelonnant entre cinq et huit fois ceux de 1938, avec des charges et des impôts accrus. La Bourse fait donc beaucoup plus qu’anticiper. Des gens sérieux voient encore plus haut : la hausse de misère, disent-ils — c’est-à-dire la fuite devant le franc. Encore une fois, si la catastrophe monétaire doit vraiment se produire, est-ce que les valeurs mobilières ne risquent pas d’être emportées avec beaucoup d’autres choses ? La vérité, c’est que les grosses affaires françaises — et les petites aussi — ont sérieusement besoin de capitaux frais : la perte de substance depuis sept ans est sérieuse, et il faut la réparer. De là toutes ces campagnes boursières à la hausse préparant des appels de fonds. Reste à savoir si les capitaux frais ont un intérêt quelconque à se risquer à de pareils niveaux ...

Il deviendra, d’ailleurs, de plus en plus difficile d’intéresser l’épargne aux placements industriels, car, pour les raisons politiques et sociales que nous avons maintes fois évoquées ici, l’épargne se transforme peu à peu en thésaurisation. La démagogie produit ses fruits habituels, les mêmes que dans l’antiquité et dans le courant de notre histoire. Or l’expérience prouve que de tels courants, qui sont avant tout psychologiques, sont très longs et très difficiles à remonter. Et nos « réformateurs » modernes ont beaucoup à apprendre au point de vue psychologique, d’autant plus qu’ils sont tous plus ou moins des gens à systèmes. Cette thésaurisation est, à notre avis, le phénomène social le plus grave pour l’avenir immédiat du pays. D’autant plus que, dans bien des cas, elle s’accompagne de cette sorte de thésaurisation du risque que constitue le refus délibéré d’entreprendre et de créer, ce malthusianisme étant d’ailleurs, lui aussi, le fruit des mêmes causes démagogiques, et plus particulièrement de la progressivité exagérée des impôts. Aussi croyons-nous qu’il est peu prudent de compter sur la thésaurisation pour remettre la machine économique en marche. Elle ne se dissoudra que peu à peu, dans une ambiance politique et sociale meilleure.

Cet état de fait est d’autant plus désastreux pour le pays qu’on estime rien que le stock d’or de notre bas de laine national à plus de 3.000 tonnes d’or, soit plus de 500 millions de napoléons ! Et il ne fait que s’accroître. Rien que pour la période de 1941 à 1946, des données précises à la source permettent d’affirmer que la contrebande fit passer de Suisse en France plus de 200 tonnes d’or (35 millions de pièces). Excellente illustration, en passant, de l’efficacité des mesures de contrainte ! À rapprocher de l’histoire des avoirs français à l’étranger, les avoirs « officiels » en dollars, par exemple, se montant à peine à 100 millions, tandis que 450 à 750 millions — on ne sait au juste — se sont évanouis en route. Et ce probablement de façon définitive, les confiscations, les amendes, les impôts, tout étant ligué pour empêcher leur retour dans l’économie nationale, qui en aurait pourtant un besoin urgent.

Le dégel de la thésaurisation sera d’autant plus ardu à obtenir que l’écart entre le niveau normal des prix et la valeur des « biens réels » aux marchés libres a tendance à se combler. Au point de vue des prix— ou, si l’on préfère, de la dépréciation de la monnaie, — le taux de 1938 multiplié par 8 mis en avant par la C. G. T. semble répondre à la réalité et aux possibilités de défense monétaire qui nous restent. Ce qui mettrait le louis d’or à 2.200 environ, ce qui, avec la prime de thésaurisation, se rapprocherait dangereusement des prix pratiqués au marché parallèle. (Depuis notre mise en garde, d’il y a quelques mois, au sujet des prix exagérés de l’or libre, la valeur des pièces a sensiblement diminué.) Aussi nous nous demandons jusqu’à quel point il est intéressant d’appuyer sur les cours libres maintenant que l’expérience Blum à la baisse est abandonnée, et surtout de publier ces cours comme autant de bulletins de victoires ! La tendance du jour n’est déjà que trop portée vers les placements occultes. Il est peu opportun, au point de vue de l’intérêt national, de laisser réduire dangereusement la prime de risque que ces placements devraient comporter.

Marcel LAMBERT.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 601