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Quand les trains s’arrêtent tout seuls !

L’augmentation du trafic ferroviaire et l’accroissement parallèle de la vitesse des trains ont conduit les compagnies, dans les différents pays du monde, à étudier des systèmes de sécurité automatique. Déjà considérables en France, le tonnage et la vitesse deviendront formidables sur les lignes importantes après les grandes électrifications, telles que celle de Paris à Lyon et Marseille.

Qu’est-ce que le « block » ?

— Aux bifurcations et dans les gares, les trains sont protégés par des signaux d’aiguillage chargés d’interdire les mouvements coupants. Aux abords des très grandes gares (Lyon, Dijon, Bordeaux), les signaux et les commandes d’aiguilles forment un gigantesque ensemble où sont prévus des « itinéraires ». Il suffit à l’aiguilleur-chef d’abaisser un seul levier, commandant les moteurs individuels des signaux et des aiguilles, pour que toutes les aiguilles « se fassent » et que le train traverse, obliquement ou non, en toute sécurité, le vaste champ de rails, protégé par des signaux à droite et à gauche.

Le problème de « pleine voie » est autre ; il s’agit ici uniquement d’empêcher les trains de se rattraper et de se télescoper. À cet effet, la voie est divisée en cantons successifs de longueur suffisante, et le problème s’énonce ainsi : « Entre deux trains consécutifs doit subsister toujours au moins un canton vide. »

Avant 1914, ce résultat était obtenu par l’emploi du « block mécanique ». Les signaux étant normalement ouverts, les roues de la locomotive, appuyant au passage sur une pédale, provoquaient le décrochement du signal, qui se mettait à l’arrêt (panneau rouge et feux rouges) sous l’action d’un contrepoids. Le signal était rouvert, au moment voulu, à la main, grâce à ces fils de traction en acier que nous avons tous vu courir sur des roulettes le long des voies.

Sur toutes les grandes lignes, ce système primitif a fait place au « block ». Les deux rails sont reliés à une source électrique à très basse tension (batterie de piles ou d’accumulateurs) ; les essieux du train court-circuitent ce « circuit de rails », provoquant le fonctionnement automatique des signaux du block. La conductibilité des traverses en bois est absolument négligeable pour ces courants à basse tension ; des joints isolants aux éclisses sont prévus aux limites de chaque canton.

Les pétards et le « crocodile » ... fable !

— Le block ainsi conçu s’est révélé capable de faire face aux trafics les plus lourds et les plus rapides. La sécurité demeure néanmoins tributaire de la vigilance du mécanicien et de la visibilité des signaux. Un supplément de sécurité très appréciable a été introduit avec la répétition de ces signaux à bord de la locomotive. Ce rôle est dévolu, en France, au fameux « crocodile », cette poutre métallique longue de quatre mètres que tous les voyageurs ont remarquée entre les rails. Relié au circuit électrique du block, le crocodile est « caressé » au passage par une brosse métallique suspendue sous la locomotive. Si le signal correspondant est à l’arrêt, un sifflet d’alarme se trouve mis en marche.

Au crocodile répétiteur s’ajoutent les classiques pétards qui viennent se placer sur le rail par le jeu d’une tringlerie reliée au signal. Malheureusement, la sécurité n’est pas encore complète. Les pétards avertissent trop tardivement et — fait difficilement explicable, mais fréquent — il arrive qu’ils ne soient pas entendus par le mécanicien. Malgré des pétrolages soignés par temps de gel, le crocodile peut se trouver isolé par du verglas ; c’est à un concours de circonstances de cet ordre que l’on attribue le tamponnement de Lagny, qui est encore dans toutes les mémoires et qui fit 214 morts.

Faillite de l’« œil électrique ».

— En Allemagne, le Dr Bæseler a expérimenté, sur la ligne du Fliegender-Hamburger, un barrage lumineux formé par des rayons qui traversent la voie et qui viennent agir sur un œil électrique (cellule photo-électrique). Les différents barrages séparant les cantons agissent sur le fonctionnement des signaux, ainsi que sur un dispositif contrôlant les moteurs et les freins de la locomotive. Ce système ne semble pas irréprochable au-dessus de 100 kilomètres à l’heure.

Il en est de même du système autrichien Koffler, dont la simplicité et le bon marché sont par ailleurs remarquables. L’appareillage comporte un bras monté en potence mobile sur un mât de voie ; quand le signal correspondant est fermé, la potence s’abaisse, présentant un étrier élastique au-dessus du train. Cet étrier accroche un levier de commande mobile placé sur le toit de la locomotive, puis il rencontre une rampe inclinée fixe qui le soulève et l’envoie en dehors du « gabarit » ; ceci afin d’éviter des heurts contre le chargement des wagons. Le levier mobile coupe le courant et serre les freins.

« Cab signal » et « train control ».

— Aux États-Unis, deux systèmes différents sont appliqués :

Le cab signal est une répétition des signaux sur la locomotive. Devant le mécanicien, se trouve un pupitre portant des voyants lumineux, qui reproduisent fidèlement la couleur du signal qu’on vient de passer. Si le mécanicien n’a pas vu l’indication d’un signal, peu importe : il n’a qu’à regarder son pupitre pour avoir sous les yeux l’indication.

La machinerie du cab signal est assez compliquée. Un courant « ondé », circulant dans les rails, agit à distance, par induction, sur un cadre récepteur suspendu horizontalement à l’avant de la machine. Quand la voie est libre, la fréquence du courant ondé est de 180 périodes par seconde ; elle est de 120 périodes quand le signal est « à l’avertissement », et 80 périodes quand la voie est fermée ; ces rythmes sont fournis par de simples vibreurs électriques. À bord de la locomotive, le courant venant du cadre agit sur un sélecteur à trois relais qui allume la lampe voulue.

Un essai de cab signal avait été fait en France sur le réseau de l’État, sous la direction de M. Dautry. Une Pacific, équipée d’un cab signal à quatre indications (voie libre, préavertissement, avertissement, arrêt), a roulé dans de très bonnes conditions de sécurité.

Outre le cab signal, consistant en une simple répétition des signaux, les Américains possèdent le train control, véritable « robot » capable d’agir sur les freins sans demander l’opinion du mécanicien ! C’est un « arrêt automatique ménagé ». Supposons que vous « brûliez » un signal à la position « avertissement » ; si, cinq secondes après votre erreur, vous n’avez pas tenu compte de l’indication, le robot intervient pour ralentir d’autorité l’allure du convoi. Si, malgré cette intervention, vous persistez dans votre inaction et laissez le convoi franchir le signal d’arrêt absolu, le train control entre à nouveau en action et stoppe définitivement le convoi.

Cab signal ou train control ? Il est équitable de souligner que les réseaux américains qui avaient été mis en demeure par le gouvernement d’installer le « train control » ont été relevés de cette obligation sur un grand nombre de lignes pourvues du cab signal. Même au pays de l’automatisme à outrance, les techniciens ont été conduits à faire confiance dans la plus large mesure possible à la conscience professionnelle des cheminots.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 604