Dès le commencement de la guerre, la mobilisation de la
flotte marchande, l’appel des réservistes et la réquisition de presque toutes
les matières premières bouleversèrent l’économie coloniale. À mesure de
l’arrivée des récoltes sur les marchés, les commerçants les achetaient pour le
compte de l’Intendance.
L’appel des réservistes indigènes, le recrutement des
contingents formant les nouvelles troupes ou les détachements de travailleurs
destinés à la métropole augmentèrent encore le bouleversement économique.
La réduction de plus en plus grande des transports maritimes
aggrava rapidement la situation. Puis le désastre de 1940 bloqua à peu près
tout. L’État continua de faire acheter les produits pour sauver les producteurs
et le commerce. Si on n’exportait plus, on n’importait plus, tant par suite de
la réduction des transports que de l’impossibilité de se procurer les
marchandises, en particulier les tissus, les usines étant requises, ainsi
qu’une grande partie des stocks fabriqués.
Il fallut orienter le commerce colonial vers d’autres
directions, par suite de l’impossibilité de communiquer avec la métropole
bloquée. La période la plus pénible fut 1941 et le début de 1942.
On chercha de nouveaux fournisseurs ; ce fut dur, mais
on arriva tout de même à subsister.
Les colonies qui se rallièrent tout de suite à la résistance
furent les plus avantagées. Presque tous les produits furent utilisés par les
Alliés et payés à des prix avantageux. Le Cameroun et l’A.-É. F. furent
les premiers à bénéficier de cet état de choses ; plus tard, l’A.-O. F.
et les autres colonies, à mesure de leur ralliement à la France Libre.
Tous les efforts furent portés, d’une part, sur la
préparation de l’offensive africaine, et d’autre part, sur le transit en
traversant l’Afrique d’ouest en est, pour ravitailler les armées alliées du
Levant.
Oléagineux et bois africains, minerais de l’A.-É. F. et du
Cameroun, puis de Madagascar, l’industrie alliée absorbait tout.
Des travaux considérables furent faits pour aménager les
ports, routes et pistes joignant la côte occidentale à l’Égypte, puis à
l’Afrique du Nord, établir l’infrastructure des grands aérodromes des lignes
d’aviation assurant les mêmes services.
Dès qu’elle fut dégagée, la côte française des Somalis
reprit le transit pour l’Éthiopie.
Dans le Pacifique, la Nouvelle-Calédonie servit de base à
l’armée américaine, qui consomma toute la production locale.
Les établissements français d’Océanie envoyèrent tout ce
qu’ils purent en Amérique.
Les Antilles le firent aussi dans la mesure du possible. La
Réunion fit de même avec l’Union sud-africaine. Les établissements français de
l’Inde vécurent de la vie de l’Inde britannique.
Quant à l’Indochine, dès 1940, elle dut subir l’occupation
du Nippon, qui alla en augmentant ses exigences jusqu’au 9 mars 1945, où
il supprima purement et simplement nos services. Il avait absorbé toute la
production locale et fourni en échange un peu de marchandises diverses, surtout
des tissus, en utilisant en grand le système du marché noir. Pour les médicaments,
il fournissait des contrefaçons grossières et inférieures des grands produits
pharmaceutiques. Aujourd’hui, partout le système des achats par l’État est
toujours en vigueur. Le commerce local n’est en sorte que l’acheteur de
l’Administration. De temps en temps, quelques produits secondaires (comme le
kapok) sont rendus au commerce libre.
Pour ce qui est de l’importation, on ne peut introduire de
marchandises qu’en obtenant des licences d’importation, et les tissus, en
particulier, sont bien loin de suffire aux besoins des populations. Partout on
a remis en action les industries artisanales locales. En Afrique, les
tisserands se sont remis à faire leurs étroites bandes de grossières
cotonnades. Les objets fabriqués sont toujours très rares. Quelques usines
furent montées, huileries, savonneries : en A.-O. F., une tannerie et
une fabrique de chaussures, par Bata, pour fournir aux troupes.
Quant aux produits alimentaires, dont l’importation était
assez considérable dans beaucoup de colonies, il a fallu revenir à une
production locale de fortune pour arriver à faire vivre tout le monde. Des
pêcheries et sécheries nouvelles furent créées.
Bien entendu, les prix nouveaux sont en grande hausse, et le
coût de la vie est très élevé pour tous.
D’autre part, on se plaint que l’indigène ne veut pas
travailler. Que peut-il faire de ses billets s’il ne peut les utiliser en
achetant des vivres, des tissus et quelques articles à la mode locale ?
Cette situation générale s’améliore petit à petit, mais elle
ne cessera qu’avec la suppression des contingentements, ou au moins leur
augmentation considérable, et avec le rétablissement de services maritimes
suffisants.
Pour l’agriculture européenne, les concessions ne sont
accordées qu’après une sérieuse enquête sur les moyens du postulant, portant
sur son aptitude physique, sa capacité technique professionnelle et les
capitaux dont il dispose. En francs métropolitains, il faut compter, en
général, sur un minimum de deux millions pour l’Afrique noire, un million sept
cent mille pour Madagascar et un million pour la Nouvelle-Calédonie, selon les
cas et plans présentés.
Victor TILLINAC.
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