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Que fut l’ouverture ?

Médiocre, en général fut l’ouverture de la chasse de 1947. La date en était fixée au 7 septembre dans la majorité des départements ; date raisonnable, sauf pour le lièvre, dont, à cette période préautomnale, bon nombre de femelles allaitent : ce fut le cas de deux hases que j’ai vu tuer le 14 septembre dans une propriété cependant bien organisée pour l’exercice de notre sport. Le tir du lièvre est difficile à prohiber, je le reconnais, au début de la campagne cynégétique, tout comme le serait le tir de la perdrix lors des premières semaines, et il en avait été question jadis en vue d’une ouverture spéciale à la caille. Les lièvres, fortement décimés en 1945, année de leur relative abondance, m’ont paru un peu plus nombreux cette saison que la précédente. Quant au lapin, il ne manquait pas.

Il n’en est malheureusement pas de même pour les perdrix, surtout pour la grise. L’extrême sécheresse, les grandes chaleurs de l’été dernier avaient, je crois, fait périr beaucoup de petits perdreaux dans les plaines arides, dépourvues de rivières et où ne perlait pas une goutte de rosée. Tandis que, parmi vallées et vallons, au voisinage des sources ou de simples ruisseaux, d’assez fortes compagnies s’offraient aux yeux des chasseurs.

Je dis à la vue et non pas à portée : le fait même de la sécheresse et de la rareté des couverts rendait le gibier très fuyard. Il fallait, pour disperser un volier de perdreaux, s’astreindre à des marches forcées et en ligne. Il va de soi que ce ratissage d’une plaine sans abris ne devrait jamais tendre à l’extermination, et qu’une fois les perdreaux dispersés tout chasseur sportif doit savoir limiter son tableau ; sinon ce n’est plus un nemrod, c’est un tueur.

Autre constatation s’appliquant à la zone fort intéressante de notre territoire où voisinent perdrix grises et perdrix rouges : ces dernières tendent de plus en plus à prendre le dessus comme nombre et dissémination ; l’on tue des rouges en certaines plaines où naguère la grise dominait presque exclusivement. Cela doit tenir à la meilleure défense de la perdrix rouge contre la destruction des couvées, soit du fait des fauchaisons, soit de par les oiseaux nuisibles, rapaces et corvidés. La rouge s’abrite dans les buissons, les vignes, les lisières ; elle niche moins volontiers que la grise dans les prairies artificielles où tant et tant de couvées trouvent leur perte. Marquons à ce propos d’une pierre blanche la réalisation de centres de sauvetage d’œufs de perdrix, tels que celui de Chambord, pour ne citer qu’un exemple ; car il en est d’autres, fort bien dirigés, en de simples groupements communaux ou particuliers ; les résultats sont excellents, à la condition que le sauvetage ne masque aucun dénichage. L’accroissement escompté des emblavures en seigle devrait être favorable à la protection des couvées de perdrix grises : le seigle pousse de bonne heure, et l’on attribuait jadis à son couvert précoce le salut de nombreuses compagnies, grâce à l’abri sûr que ce couvert offre aux pariades.

Faut-il s’étonner que les cailles aient été plutôt rares et se soient vendues aux Halles à des prix qui, dès le lendemain de l’ouverture, atteignaient trois cents fois ceux de 1900 ? Les semailles de printemps pour remplacer les blés gelés sur un bon tiers de notre pays n’avaient pas donné à ce gibier délicat, aimant ses aises et prenant volontiers la poudre d’escampette, des remises suffisantes. Seules quelques compagnies s’étaient attardées. Les râles de genêts aussi n’étaient plus que rarement rencontrés : il leur manquait d’épais regains. Par contre, les courlis de terre — pardon, les œdicnèmes, de leur nom scientifique — piétaient allègrement, puis s’envolaient à large envergure des sols les plus secs. Oiseau maigre, supportable en salmis et que de mauvaises langues qualifiaient de « gibier de belle-mère » à l’époque où il était de mode que gendres et belles-mamans fussent en bisbille.

La question du faisan mérite une étude spéciale. Nous reviendrons quelque jour sur l’opportunité très discutée de cette ouverture à retardement ; discussion qui ne saurait viser les régions d’élevage, pratique avicole donnant toujours des sujets moins développés que ceux issus de dame Nature.

Je ne parle pas du gros gibier, qu’il est prématuré, selon moi, de pourchasser au début de septembre ; les grands animaux bénéficiaient d’ailleurs d’une date spéciale d’ouverture, le 28 septembre, la même que pour le faisan.

Et je termine cette causerie sur une vision consolante qui m’est rapportée par de jeunes touristes ayant vu et compté, vers 3.000 mètres d’altitude, 21 isards traversant à la file indienne et très rapidement un névé dans les Pyrénées.

Heureuses les régions où l’effet de réserves bien situées, dûment surveillées, donne semblables résultats !

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 610