Dans le numéro d’août-septembre du Chasseur Français,
le Dr J. S ... nous fait part de ses impressions sur la
chasse aux bécassines en 1946.
Grand amateur de cette chasse, que je pratique dans la Somme
(qu’il ne mentionne pas comme un des édens de la sauvagine), j’ai lu son
article avec d’autant plus d’intérêt que je ne partage pas entièrement sa
manière de voir.
Il est vrai que, selon les régions, le tir de cet
incomparable oiseau varie extrêmement, ne serait-ce que lorsqu’il s’agit
d’oiseaux « d’arrivage », dont le vol capricieux ne peut être mis en
parallèle avec celui des bécassines qui hivernent et s’engraissent sur les placiaux.
En Picardie, les premiers arrivages des bécassines se
produisent dans la dernière semaine de juillet, et jusqu’aux fortes gelées on
en voit, plus ou moins, mais presque toujours. Puis, après l’hiver, elles
reparaissent sitôt les gros frimas passés et repassent jusqu’à la mi-avril.
Elles tombent dans les marais, les pâturages humides, où les
défoncements produits par les pieds des bestiaux leur préparent les plus belles
« platières » que l’on puisse souhaiter. C’est là que les Picards les
chassent, et on peut compter, parmi eux, bon nombre de fusils, pour lesquels ce
tir est le plus merveilleux des entraînements.
Nous partageons entièrement, en Picardie, l’avis des
chasseurs qui vont en Brière chasser la bécassine au chien d’arrêt. Celui qui
n’utilise pas ce compagnon ne sait pas de combien de jouissances il se prive
bénévolement. Évidemment, il convient d’avoir un très bon, un excellent chien
même. Mais s’il possède un animal de grand nez et bien routiné, le chasseur ne
voudrait pour aucune raison se passer de ses services.
Cela simplifie, par conséquent, les discussions plus ou
moins byzantines sur la manière d’aborder l’oiseau, vent dans le nez ou dans le
dos. Avec un chien d’arrêt, il n’existe qu’une méthode raisonnable, c’est de
prendre le vent et aller contre. Ainsi seulement, l’animal pourra donner le
maximum de rendement et chassera utilement.
Qu’ensuite — quand le chien relève l’émanation du
gibier, qu’il commence ces longs arrêts coulés, qui sont la gloire des bons
chiens — le chasseur essaie de se placer de telle sorte que l’oiseau lui
parte de la droite allant vers la gauche ; la chose est parfois possible.
Mais la vraie chasse sportive est de laisser à la bécassine
toutes ses chances et de la tirer telle qu’elle se présente, au milieu de ses
crochets, sans s’être placé afin de mettre de son côté toutes les facilités.
Car il est incontestable qu’épaulant du côté droit le chasseur a infiniment
plus d’aisance à suivre une pièce qui file de droite à gauche que vice versa.
Quant à la race de chiens qu’il convient d’adopter, on peut
répondre que tous les bons chiens d’arrêt, vraiment bien dressés,
sont susceptibles de faire de bons bécassiniers. Personnellement, je connais
des chasseurs qui emploient le laverack, d’autres l’épagneul breton, l’épagneul
picard, l’irlandais, quelques-uns le griffon, d’autres des chiens sans race
bien définie, produit d’alliances de hasard ou cherchées, et dont leurs maîtres
ont fait d’excellents chasseurs. Tous doivent avoir du nez, un grand nez, si
c’est possible, et ils donnent au chasseur des joies qu’on ne peut trouver dans
l’action du retriever, qui se contente de mettre le nez sur la pièce quand elle
est tombée.
C’est là qu’on peut admirer le travail d’un bon chien :
quand il évente doucement le fumet tentateur, quand il se coule à travers les
lacis de joncs ou les fourrés de roseaux, étouffant le bruit de ses pas
(c’est réel).
J’ai eu une chienne épagneul breton qui possédait un nez
remarquable ; elle est morte à presque quinze ans, et jamais, je le crains
bien, je ne retrouverai une telle bête. Fougueuse, emportée, inattentive au
rappel, en plaine, elle me faisait partir plus de gibier qu’elle ne m’en
arrêtait. Mais si je l’emmenais au marais, sa chasse de prédilection, comme la
mienne, alors tout changeait.
Il fallait partir à bon vent, sinon elle cherchait en
prenant les grands devants à aller trouver le vent favorable, ce qui rendait la
chasse très compliquée. Mais dès qu’elle avait le sentiment d’être sur la voie,
elle humait l’air en se haussant sur ses petites pattes, puis commençait une
série de longs chassés-croisés, qui allaient se rétrécissant, parfois même,
éventant droit, elle avançait directement sur le gibier ; elle coulait
alors doucement, réglant son allure sur la mienne, jetant de temps en temps un
petit coup d’œil de côté pour voir si je suivais bien, si j’étais prêt. Je lui
ai vu faire des approches de plus de 80 mètres, et, si j’étais seul à le
dire, on pourrait croire que l’amour de mon chien me déforme les choses ;
mais combien de mes amis ont pu constater ces performances ... Quand elle
approchait du gibier, cette chienne si fougueuse n’avançait plus que pas à pas,
attendant le mot « allez » que je prononçais à voix basse. Quand
l’oiseau s’envolait dans ces rapides zigzags qui sont la caractéristique de son
vol, elle fléchissait une seconde sur ses jarrets, comme si le départ la
surprenait, et à peine commençait-il sa chute, ce qui n’était pas long, car je
tirais très vite, qu’elle avait déjà bondi pour le prendre. C’était peut-être
un peu trop vite, pour se conformer au règlement du dressage, qui veut qu’on
dise « apporte » au chien ... Mais nous nous entendions si bien,
elle et moi, que je n’avais pas le courage de réprimer cet élan. Si je tentais
le doublé, il y avait comme un accord tacite, elle bondissait sur la première
tuée et me laissait le soin de repérer le point de chute de la seconde.
Elle tenait l’arrêt avec une fixité remarquable : je
l’ai vu certains hivers, figée dans un arrêt cataleptique, l’eau découlant
doucement le long de sa patte levée ... Ses yeux, alors, brillaient d’un
éclat vraiment féroce, on sentait l’instinct, à peine réprimé par le dressage,
de l’animal qui sent l’hallali et la curée proches ...
Je pense que le Dr J. S ... n’a pas eu
la chance d’avoir vu chasser des chiens de cette classe ; et en Picardie
ils n’étaient pas rares, avant la première guerre mondiale et avant celle-ci.
Quelques grands spécialistes de la bécassine y élevaient des chiens
sélectionnés dans cette chasse ; tous les vrais chasseurs se souviennent
du marquis de G ..., dont les setters rouges avaient une réputation plus
que régionale ... Dans les marais qui bordurent la baie de Somme, et
plusieurs sont célèbres, on chassait, on chasse encore la bécassine selon ces
rites, on a même vu organiser des field-trials sur bécassines, comme d’ailleurs
cela se passe aussi en Gironde, où les chiens rivalisent d’intelligence et de
sagesse.
Il me semble que je devais à nos auxiliaires à quatre pattes
cette réhabilitation, car vraiment c’est faire trop bon marché de leur
entraînement que de laisser croire qu’ils ne sont bons qu’à ramasser le gibier
tombé. Ils font plus et mieux, ils le font trouver, ils avertissent le chasseur
de la présence imminente de l’oiseau ; parfois, ils en relèvent un second
là où l’on croyait en avoir fini.
J’ai connu des chiens qui restaient à l’arrêt après la
première pièce tombée ! C’est qu’une sourde était là, qui n’avait pas
bougé, et que le chien bloquait, attendant que le chasseur soit prêt, à
nouveau, à tirer. De tels auxiliaires sont irremplaçables ; mais quand on
les possède, on ne voudrait pour rien au monde se priver de leurs
services ; il n’est pas question de les faire marcher sur vos talons.
Je suis entièrement de l’avis du Dr J.
S ... quant au calibre ; j’apprécie vivement le calibre 20 pour
la bécassine (pour toute chasse d’ailleurs, peut-être le dois-je aux forces
déclinantes ...), mais j’utilise le plomb no 9 durci
(série de Paris), qui descend merveilleusement bien sa sarcelle et même son
canard, et souvent je n’emploie, à gauche, que du 8, sauf si je compte tirer en
arrière-saison des colverts ; en pareil cas, le 7 ou le 6 s’impose.
Je souhaite au Dr J.S ... de connaître
des chiens comme ceux dont je parle, et il ne pensera plus à les réduire au
rôle de retrievers.
J. DE VALICOURT,
Président de l’Association de Huttiers et Chasseurs de gibier d’eau.
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