l y avait une fois un homme, dans un pays assez vif
en lièvres et en perdrix, qui n’avait de goût que pour la chasse. Toutes ses
idées étaient là, dans les lièvres et les collets, dans l’arbalète et la
bartavelle. Au vieux temps des seigneurs, alors qu’on se mouchait sur la manche
et qu’on n’avait encore inventé que l’arc et la flèche, la chasse était libre.
Mais, ensuite, elle ne le fut plus : et les nobles ne faisaient pas de ces
délits un badinage. Lui, cependant, ne pouvait se tenir de braconner ; et
il était adroit compère et bon chasseur, mais il allait quelque peu trop à
l’étourdie. Il lui manquait, lorsqu’il entreprenait une chose, d’en bien
considérer la fin. Et oublier cela, c’est un tort qui se paie cher.
Un jour, comme l’homme relevait ses lacets dans la fougère,
à la minute même où, accroupi dans la trouée, il soulevait son lièvre par les
oreilles, lui tombe dessus le garde-chasse.
— Et voilà ! Arrive en une heure ce qui n’était
arrivé en cent. Tu t’es assez moqué de moi devant ceux du village. Tu leur
disais que je ne t’aurais pas : et je t’ai, je te tiens !
— Te suffit-il pas de tenir le lièvre ?
— Je prends le lièvre, et je prends celui qui l’a pris.
— Écoute, qu’est-ce que tu gagneras à me faire avoir
des peines ?
— J’y gagne ma vie. Je la gagne de ma bandoulière de
garde. Il faut que je fasse mon office.
— Ne sois pas si regardant, pour une pauvre fois.
Sais-tu, je t’enverrai tous les lièvres que je pourrai !
— Ça non ! Si le seigneur, ou même si les gens te
voyaient m’apporter un lièvre ...
— Eh bête ! Je ne te dis pas que je te
l’apporterai : je te dis que je te l’enverrai !
— Sur ce pied, alors, oui, peut-être. Mais prends bien
garde de ne pas oublier ce que tu promets.
— C’est promis.
— Bon, décampe.
L’un prend, d’un côté, l’autre prend de l’autre, dans toute
cette affaire de verte fougère. Et ni vu ni connu.
Mais chacun, dans les jours qui suivirent, pensait à la
promesse.
Moins d’une semaine après, comme il allait semer le seigle
dans son champ le plus haut, d’un tas de pierres, sous un roncier, l’homme ne
fait-il pas lever un beau gros capucin ?
Les lièvres, si vous leur arrivez droit dessus dans leur
gîte, ils font le mort. Ils sont là tapis, qui vous regardent — cet œil
bombé sur vous, c’est quelque chose ... Ils ne bougent ni pied ni patte,
ils se confondent avec les bourres de l’herbe morte, avec les brandes ...
Mais, s’ils vous entendent arriver de derrière, oh ! alors, ils détalent.
Celui-là, il se trouva qu’il tournait au survenant sa
houppette de queue et il en profita pour détaler aussi grand train qu’il put.
L’homme portait son semoir, son sac de seigle, mais il ne portait pas son
arbalète. Il ne perdit pas le nord, cependant.
— Lièvre, cria-t-il, cours vite chez le garde ! Tu
lui diras que c’est moi qui t’envoie et que je lui souhaite le bonjour.
« Bon, se dit-il, je tiens donc ma promesse. Et voir
que je la tiens, pour un homme fait comme moi, c’est un contentement. »
Avant l’autre dimanche, il la tint encore deux fois.
La première, il avait l’arbalète, et il allait se coulant le
long de haies. Il tira bien le lièvre, mais il le manqua. Ce sont des choses
qui arrivent, et plus souvent qu’on voudrait, si adroit qu’on soit au tir.
Mais il n’oublia pas ! Ce lièvre-là aussi, lui donnant
la même commission de donner le bonjour de sa part, il l’envoya dare-dare au
garde-chasse.
Et un autre, trois jours après.
Puis un autre sur la fin du mois. Ainsi de tous les lièvres
soit qu’il tira et ne put tuer, soit qu’il vit sans pouvoir les tirer, le long
du bois ou bien dans le pacage. Sans manquer, il les envoya tous au garde du
seigneur.
Mais, comme il était discret compère, et que les
remerciements l’auraient gêné, il fuyait l’abord du garde comme il aurait fui
la bête noire.
Reste que deux hommes se rencontrent plus tôt que deux
montagnes. Un beau matin, à la rosée, dans la fougère, le garde encore tomba
sur l’homme.
Il fallut s’expliquer.
— Je te dis que je t’en ai envoyé juste treize !
— Ah ! c’est ce que tu appelles m’envoyer des
lièvres ? Eh bien ! ces treize-là ne te porteront pas bonheur.
Suffit : tu vas me suivre !
Il l’emmena devant le seigneur, un seigneur qui ne badinait
pas avec la chasse.
— Ou bien, dit le seigneur à l’homme, tu vas donner
trente écus d’argent ...
— Mais je ne les ai pas !
— ... Ou bien tu vas croquer trente têtes d’ail, ou
bien tu vas recevoir trente coups de verge de pommier. Voilà, choisis.
— Je choisis l’ail, dit l’homme.
Et il le dit sans doute un peu trop vite, sans assez
considérer s’il pourrait mener les choses jusqu’au bout.
À la dixième tête, il avait déjà la bouche tout en feu. Et
l’estomac et les boyaux. Il n’aurait jamais cru que ce pouvait être cela.
Il alla jusqu’à la vingtième.
— Ah ! je renonce, je prends les verges.
Mais ces verges de pommier, ces coups de baguette que lui
appliquait sec et dru le palefrenier du seigneur, qui était pourtant un compère
de la taverne, c’était encore un autre cas. Au douzième, il n’en pouvait plus.
— Plus haut ! Non, assez là ! Plus bas, plus
bas ! Ah ! criait-il au palefrenier, plus haut ... non,
non ! plus bas ! L’autre pestait, envoyant les coups de tout son
cœur.
— Je fais ce que je peux, compère ; mais tu sais,
toi, tu n’es pas facile à contenter !
Et les cris repartaient de plus belle, des cris à fendre les
murailles du château.
Au vingtième, l’homme n’y tint pas davantage.
— Je choisis les écus !
Il donna en grimaçant les trente écus d’argent. Mais il
avait mangé vingt têtes d’ail, reçu vingt coups de verge ... Il fut guéri
de son goût pour la chasse — au moins pour trois semaines.
Par la suite, on dit qu’il sut en toutes choses considérer
la fin ; et d’abord s’arranger avec le garde autrement qu’en lui envoyant
les lièvres qu’il manquait.
Henri POURRAT.
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