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Les cyclo-sportifs

pour ou contre le chronométrage

Le Dr Marre écrit dans Le Cycliste, qu’il dirige avec la compétence que l’on sait, et que fonda Velocio : « Il est hors de doute que trop souvent le chronométrage crée la compétition, et que celle-ci risque tôt ou tard de dégénérer. Nous en avons eu trop d’exemples récents pour ne pas applaudir aux décisions officielles de la F. F. C. T. de ne plus admettre le classement-temps dans les épreuves réservées aux cyclotouristes.

Qu’en pense le Dr Ruffier ?

Exactement le contraire, et il se gardera, lui, d’applaudir, j’en suis sûr.

Or, malgré ma grande sympathie et ma haute estime pour le Dr Marre, je me range entièrement du côté du Dr Ruffier, qui n’a pas caché qu’il était partisan, lui, du classement-temps, en donnant maintes raisons qui dénotent une parfaite connaissance de nos instincts et que l’on sent nées sous la plume d’un profond psychologue.

Je me garderai de faire mention des quelques plumitifs qui l’ont combattu à ce propos et ne nous ont présenté que des pirouettes littéraires, remplaçant la discussion par des mots d’esprit et négligeant totalement le fond de la question, qui est bien d’ordre psychologique, ce dont ils ne se doutent même pas.

Voici donc ce que dit le Dr Ruffier : « Si l’on veut que la Fédération de cyclotourisme recrute non des promeneurs que leur âge et la faiblesse de leurs moyens physiques vouent à la ... contemplation, mais des jeunes qui lui infuseront un sang neuf, augmenteront sensiblement ses effectifs, la rendront vraiment vigoureuse et dynamique tout en maintenant le fossé qui la sépare des groupements où s’exerce la compétition et où règne l’appât du gain, il faut non seulement admettre, mais développer les classements-temps, il faut y laisser ou y faire régner le chronomètre. Pourquoi ? Parce que, contrairement à ce qui se passe pour le piéton, le cavalier et tous ceux qui à un titre quelconque se déplacent pour se rendre d’un point à un autre, le cycliste, conscient de sa jeunesse ou de ses moyens physiques, a constamment tendance à vouloir dépasser les autres et se sent blessé dans son amour-propre s’il est dépassé par eux. D’où l’attrait qu’a pour lui tout ce qui ressemble à une course, tout ce qui comporte un classement. »

Ce ne sont pas là les termes exacts employés par le Dr Ruffier, mais je crois être le fidèle interprète de sa pensée.

Il ajoute, et voici l’essentiel, que cet instinct un peu bagarreur du cycliste ne comporte aucunement la hantise du gain, l’attrait de la prime ; et qu’on trouvera tant qu’on en voudra de ces jeunes gens qui, pour la seule joie légitimement vaniteuse de surclasser officiellement leurs camarades, s’aligneront dans de grandes épreuves de montagne sans que les organisateurs aient à puiser dans leur caisse. C’est pourquoi il voudrait convaincre la Fédération de cyclotourisme qu’elle aurait tout à gagner, sans avoir à craindre de rien perdre, en ne brisant pas ses chronomètres et en publiant des classements-temps ; car cela n’empêcherait personne de pédaler pour son plaisir. Je ne sais s’il ose ajouter qu’en agissant ainsi elle nous éviterait le spectacle touchant, mais peu glorieux, de ces arrivées de « touristes » de bonne volonté se présentant suant et soufflant, dans les délais, après avoir accompli le parcours imposé à une allure prêtant à sourire.

Là-dessus, des gens qui croient traiter un sujet avec des boutades ou des calembours lui répondent que, s’il s’imagine que des cyclistes ayant des aptitudes à la Vietto s’aligneront pour rien dans des B. R. A. ou des R. C. P., il peut les chercher ! que la qualité professionnelle se paye et, enfin, que si le chronomètre fonctionne sans l’attrait des prix en espèces, il sera tout seul pour le coup de pistolet au départ, ce pauvre docteur !

C’est d’ailleurs cette thèse qui semble avoir définitivement prévalu. La raison en est que l’on a totalement dédaigné le côté psychologique de l’affaire, simplifiant la question en ramenant tout à l’intérêt, au désir légitime qu’a le professionnel de tirer de ses exploits le meilleur profit, sans comprendre un seul instant que l’amour-propre du cycliste est d’un tout autre ordre, et qu’ils sont légion ceux qui n’ont soif que d’honnête bagarre et d’exploits contrôlés, mais totalement gratuits.

N’en avons-nous tous donné des preuves dans notre jeunesse ? Étendons le sujet : combien de concours littéraires sans le moindre prix en espèces au bout ? Combien même d’auteurs s’étant saignés aux quatre veines pour faire imprimer leurs premiers livres ? Non et non. L’intérêt n’est pas l’unique, ni même le premier mobile des actions humaines. L’émulation passe bien avant.

Je suis donc et je reste absolument partisan des épreuves genre journée Velocio ou montée du Puy-de-Dôme avec classement par catégories et par temps. Loin de nuire à l’esprit de la Fédération française de Cyclotourisme, elles ne peuvent qu’accroître le nombre de ses adhérents. Quant aux promeneurs et aux contemplatifs, dont je fais partie, eh bien ! ils seront là aussi, ne fût-ce que pour applaudir les autres, et sans se sentir le moins du monde humiliés par une petite leçon de modestie.

Henry DE LA TOMBELLE.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 625