Il est autant de gens à reconnaître les bienfaits de
l’exercice physique qu’il en est peu à le pratiquer suffisamment pour se
maintenir vigoureux et bien portants. Car on trouve toujours d’excellentes
raisons pour se soustraire à ce « devoir corporel ». Même les
enfants, dont la croissance ne peut se faire convenablement que sous le
stimulant d’une importante activité physique, sont cruellement privés de
mouvement, sous prétexte que la fréquentation de l’école et leurs leçons et
devoirs à domicile accaparent tout leur temps. Les études des jeunes gens, leur
préparation aux examens et concours paraissent aussi d’impérieuses raisons de
sacrifier la santé du corps à la culture de l’esprit. Plus tard, les
occupations professionnelles et les obligations de famille empêchent de
pratiquer cet exercice qui, on l’admet volontiers, ferait tant de bien. De
telle façon que les conditions de la vie actuelle ajoutent aux méfaits du
surmenage nerveux ceux de l’inaction corporelle, même chez beaucoup d’ouvriers
dont le machinisme a considérablement réduit ou étroitement spécialisé le
travail musculaire.
On se trompe volontiers sur cette « paresse
physique » qui s’étend de plus en plus sur notre pays. On aime à croire
que les sports et la culture physique, dont on parle tant, ont conquis la
majeure partie de la population. Mais il n’est pas difficile de remarquer que
les sports ne sont pratiqués, régulièrement et énergiquement, c’est-à-dire de
façon efficace, que par une minorité de jeunes gens. Est-ce que quelques milliers
de professionnels et, peut-être, deux ou trois fois plus d’amateurs doivent
nous donner le change sur la facilité avec laquelle la plupart de nos
concitoyens renoncent à entretenir leur forme et leur vigueur ?
S’ils s’abandonnent ainsi à l’inertie destructrice, ce n’est
point qu’ils n’aient le sentiment du préjudice qu’ils subissent ; et,
surtout, ce n’est pas que nombre d’hygiénistes et de zélateurs de la culture
physique ne leur rappellent la nécessité de l’exercice. Mais ces apôtres, trop
convaincus des vérités qu’ils prêchent, leur représentent généralement cet
exercice sous des formes trop compliquées et trop accaparantes ; aussi
l’on s’y dérobe, faute de pouvoir lui consacrer le temps qu’il paraît exiger.
On peut faire de l’exercice de bien des façons ; et
toutes, dans certaines circonstances et conditions, peuvent faire du bien. On
recommande donc comme ayant d’excellents effets les sports, les mouvements
naturels, les gymnastiques méthodiques, les diverses « séries » de
culture physique. Mais c’est précisément devant cet énorme répertoire
d’exercices que reculent les gens qu’on voudrait convaincre.
Le sport, de par son caractère de compétition, est un
divertissement que l’on ne goûte que si l’on est apte à le pratiquer avec
succès. C’est, pour quelques jeunes gens, le complément, ou plutôt le
couronnement d’une bonne éducation physique. Il faut autre chose à tous ceux
qui, jeunes, doivent développer leur corps ; adultes, l’entretenir en bon
état. Ce n’est que par la gymnastique méthodique qu’ils peuvent atteindre ces
buts sûrement et commodément. Sûrement, si la méthode est
efficace ; commodément, si elle est simple et n’exige pas trop de temps.
Pour satisfaire ces conditions, il faut limiter les exercices à ce qui est
strictement indispensable au développement du corps en belle structure et à son
entretien en bon état de fonctionnement. Il s’agit donc de faire agir tous les
jours, ou tout au moins trois fois par semaine, tous les groupes musculaires
qui président à notre activité. Par des mouvements qui fassent jouer
successivement, dans toute leur étendue, toutes les grandes articulations, on
mettra donc successivement en action bras, épaules, cou, thorax, abdomen, dos
et reins, cuisses et jambes. Chez les jeunes, cet exercice de tous les muscles,
qui, rappelons-le, représentent, en poids et volume, les trois quarts du corps,
entraînera une croissance vigoureuse et bien équilibrée. Chez les adultes, il
s’opposera victorieusement à l’enraidissement progressif des articulations et
la perte de la vigueur et de l’adresse, qui sont les stigmates visibles de la
vieillesse prématurée. D’autre part, l’ensemble des mouvements et leur mode
d’exécution doivent aboutir à une dépense d’énergie qui amplifie suffisamment
le « métabolisme ». On entend par ce mot savant les transformations
que subissent les matières nutritives dans notre organisme pour être d’abord
assimilées — c’est-à-dire pour devenir vivantes, — puis
désassimilées, c’est-à-dire rejetées à l’extérieur quand elles sont mortes. Le
rythme du métabolisme règle la vitalité. Ce rythme est de plus en plus ralenti
par l’inaction physique, de telle sorte que l’organisme s’encombre de matériaux
usés, vieillis, toxiques. Il est considérablement accéléré par l’exercice, ou,
autrement dit, par nos dépenses d’énergie. Le travail musculaire brûle, oxyde,
désassimile les matières nutritives usées et fait ainsi place à l’assimilation
de matières neuves.
Le défaut de beaucoup de gymnastiques méthodiques est
d’avoir perdu de vue l’utilité de la dépense d’énergie. Gestes lents et
fréquents arrêts permettent sans doute la correction des mouvements et assurent
bien l’étendue des jeux articulaires : mais la dépense d’énergie trop
faible n’augmente pas suffisamment le métabolisme.
La gymnastique fondamentale que nous avons décrite et
figurée, outre qu’elle passe en revue toutes les régions corporelles, accumule
en un minimum de temps tous les mouvements, qui doivent être exécutés à allure
assez vive, et chacun à 20 répétitions. Ainsi, en trente minutes, durée
normale de la séance, les fonctions respiratoires et circulatoires sont
nettement stimulées, ce que prouve l’accélération du rythme de la respiration
et des battements du cœur ; la légère sudation obtenue indique aussi que
la désassimilation des matériaux usés se trouve augmentée. Rappelons d’ailleurs
que c’est par entraînement progressif que l’on parvient à cette exécution
rapide de la série complète des trente-cinq exercices.
Assez souvent, on préconise le changement et la variété des
mouvements de culture physique, ce qui les rendrait plus attrayants.
Quelquefois aussi, après les exercices simples et élémentaires pour débutants,
on en recommande de plus en plus difficiles, jusqu’à nécessiter la virtuosité
acrobatique. Poussée aussi loin, la culture physique devient une sorte de sport
et même un art, dont la plupart des gens n’ont que faire. Il importe, au
contraire, de s’en tenir aux méthodes simples et précises, à une série de
mouvements que l’on connaît bien, que l’on arrive à exécuter parfaitement et
« dont on prend l’habitude ».
Car il faut considérer la séance de culture physique comme
une habitude à prendre, une habitude impérieuse à laquelle on n’a aucune envie
de se soustraire. Ce doit être une habitude du même ordre que celle de procéder
à sa toilette, qui n’exige effort ni de volonté, ni d’attention, parce qu’elle
est satisfaite par des gestes simples, précis, réflexes auxquels on s’est
depuis longtemps accoutumé. Si l’on devait, chaque matin, se débarbouiller, se
raser et faire son nœud de cravate suivant une technique différente, il n’y
aurait que les virtuoses de la propreté et de l’élégance à se soumettre à une
telle tyrannie. La toilette des muscles doit se faire de même par habitude, et
la culture physique ne se généralisera que par la simplicité de méthodes
efficaces.
Dr RUFFIER.
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