L’effort paysan est grand, il est continu, il est
persévérant. L’effort est grand, à la mesure du moment ; il s’exerce avec
les moyens anciens et il va falloir le continuer ainsi, parce que les moyens
nouveaux font défaut ; il s’exerce aussi avec les moyens nouveaux lorsque
ceux-ci existent, et la coordination des deux méthodes n’est pas l’un des
moindres problèmes à résoudre.
L’effort paysan est continu parce qu’en agriculture les
saisons commandent l’enchaînement des opérations ; une rotation de
cultures, orientée par l’assolement, oblige à prévoir longtemps à l’avance les
travaux à effectuer, les engrais à se procurer, les semences à employer, les
élevages à faire. L’atelier agricole ne peut pas être fermé ; d’ailleurs,
même si l’homme arrêtait son intervention, la nature continuerait le sien et la
mauvaise herbe remplacerait la bonne.
L’effort paysan est persévérant parce que la vie commande,
et le paysan lie son sort à celui de la nature ; on ne peut suspendre les
opérations parce que la vache doit être traite, parce que la saison des
semailles est arrivée, parce que la moisson attend la faux.
Alors, dans les circonstances présentes, il importe que tout
soit mis en œuvre pour seconder cet effort, pour l’encourager, pour accroître
son efficience. Sans doute escomptait-on, après plusieurs années de contrainte,
de dirigisme oppresseur, que des moyens puissants permettraient la remise en
état des terres et l’accroissement de la production. Les mêmes problèmes se
posaient qu’après 1918 ; mais le sol n’avait pas, il y a un quart de
siècle, connu les mêmes privations, l’emploi des engrais n’avait pas subi une
telle chute, et notamment les facilités de mise en état étaient alors plus
grandes. La participation du monde civilisé, imposée à tous pour mettre à bas
la bête malfaisante, a détourné les courants normaux de leur saine direction.
Le plan de 5 ans mis en avant en 1946 ne peut pas être
réalisé dans le temps espéré, des circonstances financières impérieuses ne le
permettent pas ; dans la mesure du possible, il serait intéressant qu’un
ajustement eût lieu de manière à maintenir, s’il y a lieu, des procédés que
l’on croyait périmés, à glisser progressivement les améliorations possibles
dans le cycle entrevu. Il n’est pas douteux que les aliments de la plante et du
bétail doivent avoir un rang prioritaire à ce sujet.
Il convient d’encourager l’effort. Qui dit encouragement
pense immédiatement à la forme très matérielle qui est le prix. Certes, celui
qui a des paiements à effectuer, des investissements à réaliser, ne peut pas
être indifférent aux recettes qui conditionnent l’équilibre. Dans le tourbillon
des prix, il est bien difficile de fixer les éléments d’un budget ;
néanmoins, il faut essayer de voir clair ; plus près de sa caisse que ne
peut l’être l’État tentaculaire, à la fois dispersé et de plus en plus
sollicité, le paysan pense à son équilibre financier ; le renouvellement
incessant des formes de son capital d’exploitation lui commande d’avoir en
marge des réserves, ou du moins une sorte de masse de manœuvre constituée par
des produits végétaux ou animaux dont la vente procure rapidement les
ressources nécessaires. Dans une période troublée, les uns achètent de l’or,
d’autres des choses précieuses et facilement dissimulables, ces réserves
cachées ne choquant pas l’homme de la rue ; le paysan est bien obligé de
conserver son blé en meules ou en grenier, de conserver ses animaux dans les
prés, et l’on comprend l’exaspération des gens qui ont faim : situation
bien délicate, qui impose un tact permanent.
Conclusion : pour que les capitaux agricoles circulent
et accomplissent toutes leurs fonctions, il est indispensable qu’il y ait
quelque apparence de sécurité dans les opérations. Emblaver en blé, garnir
l’étable de vaches supplémentaires doit avoir pour corollaire une sorte de
garantie dans le prix du quintal de blé ou du litre de lait. Voilà
l’encouragement.
En vue d’accroître l’efficience de l’effort, il est utile de
rendre celui-ci plus intelligent. On n’a pas plus de mal à mettre en terre une
semence de qualité qu’un blé ou qu’une orge quelconques, quelques quintaux de
plus par hectare sont certains si la variété est bien choisie ; la seule
peine supplémentaire résidera dans les travaux de récolte et de battage ;
encore faudra-t-il à ce moment qu’il y ait une hiérarchie des prix. À l’étable,
la vache donne un peu de lait en plus, parce qu’elle a une meilleure origine,
ne coûte pas plus à exploiter qu’une bête sans généalogie établie ; là
encore, les frais de traite allongée devront être compensés par le prix de la
marchandise produite. En dehors de cela, l’efficience résulte d’une
distribution d’engrais, d’aliments et, surtout, de conseils judicieux donnés à
cette occasion.
Nous touchons là un côté important de la question. Aux
anciennes coutumes consistant à laisser à la terre les moins intelligents, les
moins doués d’un groupe, qu’il soit familial ou scolaire, il faut substituer
d’autres principes. L’enfant qui reste chez ses parents, garçon ou fille, doit
être guidé, et un apprentissage intelligent, souple, adapté, est à organiser.
Pourquoi instituer à grands frais des centres d’apprentissage pour former un
maçon, un peintre, un charron, défrayer la famille de tout, instituer même un
pécule, ce qui est fort bien, alors que l’on ne fait rien ou si peu de chose pour
le petit paysan ? Certes, des tentatives existent, mais il convient de
renouveler d’imagination.
Conclusion, l’effort du paysan mérite le respect ; si
le pain est rare sur nos tables, c’est parce que le blé a gelé ; si le
lait manque, c’est parce que la sécheresse sévit ; mais les hectares ont
été labourés, emblavés et moissonnés, les vaches ont été soignées et traites.
Souhaitons la pénétration des activités et des pensées dans notre société
moderne, si paisible aux temps euphoriques, si nerveuse aux temps de disette,
et beaucoup de choses pourraient aller mieux.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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