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Chronique financière

Financements étrangers

L’opinion publique commence à se rendre compte qu’il est à peu près impossible de redresser l’économie française sans l’aide de l’étranger, et plus particulièrement des États-Unis. Constatation désagréable, dont nous faisions déjà part dans ces colonnes il y a plus d’un an, à une époque où notre aveuglement habituel nous berçait au rôle d’arbitre entre les blocs rivaux, et nous laissait croire en des « plans » quinquennaux mirifiques, sans rapports avec nos possibilités réelles.

Depuis, des plans d’un autre genre ont vu le jour, et en particulier le plan Marshall d’aide à l’Europe. Il est certain que, pour de nombreuses raisons, dont les politiques ne sont pas les moindres, l’économie non seulement française, mais européenne, est mal en point et qu’il lui sera très difficile de passer le printemps prochain sans avaries graves, à moins qu’une aide providentielle ... C’est justement cette providence que le plan Marshall laisse entrevoir. Mais une providence, cela se paie. Or nous n’avons plus d’argent, et, quoi qu’on en dise, nous produisons de moins en moins de marchandises absolument recherchées, même de grand luxe : le goût de Paris n’est pas celui de Chicago. Alors, comment payer ? Peut-être bien un jour par des bases stratégiques qui font bien envie à l’oncle Sam, ou encore par une plus grande souplesse diplomatique ... mais tout cela ne mènera pas bien loin, et surtout ne pourra guère constituer une contre-partie suffisante aux besoins énormes que nous avons. On ne voit plus guère qu’un seul payeur possible : le contribuable américain, qui, ainsi que tous les contribuables de partout, fera finalement les frais de la politique de son gouvernement.

Mais quelles seront ses réactions devant une perspective aussi peu séduisante pour lui ? Il ne faut pas perdre de vue qu’il souffre fortement de l’augmentation du prix de la vie, presque 50 p. 100 par rapport à l’avant-guerre. Et qu’il n’est pas loin de rendre l’Europe responsable, par ses demandes « déraisonnables », de la hausse spectaculaire de ces derniers mois des principaux produits de base : en un an, indice des produits de ferme de 150 à 182, de l’alimentation en général de 131 à 174.

Cette hausse de la vie, combinée avec la progression des impôts — doublés depuis 1939— font que Babbitt, avec un revenu inchangé de 25.000 dollars, ne jouit plus guère que d’un pouvoir d’achat correspondant à un revenu de 10.000 dollars avant guerre. Et on lui demande de l’amenuiser encore en faveur d’Européens, somme toute fort peu sympathiques ; de payer pour renflouer des économies socialo-étatiques, lui qui est antisocialiste et anti-étatique ; de se priver pour permettre à des Européens de ne travailler que quarante heures, ou de profiter de luxes sociaux ruineux comme les Assurances sociales ou les rentes de tous genres, lui qui ignore tout cela et fait face personnellement à tous les aléas de l’existence ...

Cela sera peut-être difficile à lui faire avaler. Déjà l’« isolationnisme » reprend du poil de la bête, tout comme en 1919. Déjà les caricatures pleuvent de tous les coins des États-Unis montrant les peuples européens en train de sombrer dans un océan invariablement appelé « Socialisme ». Il y a là une tournure d’esprit profonde dont les dirigeants américains, aussi bien intentionnés soient-ils à notre égard, seront bien obligés de tenir compte. Et c’est pourquoi, en fait, il semble peu prudent de tabler exclusivement sur des aides de caractère politique pour opérer notre redressement économique, d’autant plus que notre convalescence demandera plusieurs années.

Reste la voie classique du financement étranger privé, par emprunts publics ou autrement. À cet égard, il est curieux de connaître l’état d’esprit régnant chez des prêteurs éventuels, en l’occurrence la Suisse, qui possède encore de très grosses possibilités financières internationales.

Voici en résumé, d’après le récent rapport annuel d’une des principales banques de ce pays, les conditions de sécurité mises à l’absorption d’emprunts étrangers : « assurance de stabilité politique intérieure et de stabilité sociale respectant les droits du capital en général et ceux du capital étranger en particulier, la maxime « le travail passe avant le capital » étant inacceptable pour le prêteur ; — rétablissement de l’ordre dans les finances publiques, afin de sauvegarder la monnaie ; — simplification de l’Administration, et de ses formalités, pour soulager le budget des entreprises privées, dont les prix de revient sont grevés de frais inutiles par l’entretien d’employés non producteurs ; — système équilibré de prix et des salaires, ne permettant pas au volume des salaires et de la consommation en général de dépasser une quote-part du revenu national incompatible avec la constitution régulière d’une épargne intérieure ;— rétablir au plus tôt la bonne foi, l’honnêteté et le respect du droit, en particulier pour les États qui ont un peu trop tendance à se mettre au-dessus des lois et du droit ; — s’interdire par des garanties juridiques formelles tous procédés malhonnêtes, même sanctionnés par des lois de circonstance, ayant pour but d’exproprier et de spolier les prêteurs par voie oblique : abrogations de clause. Or dévaluation, impôts spéciaux, clauses élastiques d’utilité publique ou sociale, nationalisations ou dirigisme imposent des tarifs non rentables (ceci nous vise tout particulièrement, les Suisses, probablement les premiers spécialistes du monde en électricité, ayant été intimement liés à l’équipement électrique de notre pays, technique et finance, et ayant été particulièrement touchés par nos récentes mesures de nationalisation de l’électricité).

Nos amis et voisins d’outre-Jura parlent d’or, c’est le cas de le dire. Et ce ne sont certainement pas les malheureux épargnants français qui les contrediront !

Marcel LAMBERT.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 645