Notre nouveau billet de 50 francs commémore la
découverte, voici cent ans, de la planète Neptune — dieu des mers dans la
mythologie, toujours armé de son trident, — découverte qui consacra le
génie mathématique de l’astronome Leverrier.
Le centenaire a été l’occasion de brillantes manifestations
scientifiques à l’Observatoire de Paris, dont Leverrier fut le directeur et
dont une statue orne la cour d’entrée.
Tout en parlant de Neptune, voyons comment ont été connues
les planètes de notre système solaire.
Les cinq premières, visibles à l’œil nu, sont connues dès la
plus haute antiquité — dès que le premier homme méditatif, épris d’infini,
eut repéré, élevant ses regards vers la voûte constellée, la marche sautillante (1)
des planètes et leurs périodes de visibilité et d’invisibilité : Mercure,
fugitif messager des dieux, peu visible le soir ou le matin ; Vénus,
déesse de l’amour, éclatante « étoile du berger », qui, tantôt à
l’aube, tantôt au crépuscule, attire les regards les plus indifférents ; Mars,
l’énigmatique, le rouge dieu de la guerre ; Jupiter, reine des
planètes, le dieu tonnant de l’Olympe ; Saturne, l’ancêtre Chronos
qui dévorait ses enfants, et son anneau, véritable auréole argentée ...
Ces étoiles errantes formaient, avec le Soleil et la Lune,
les sept astres qui eurent une influence considérable dans la vie de nos pères.
Ainsi, les noms des jours viennent du ciel : lundi. Lune ; mardi.
Mars ; mercredi. Mercure ; jeudi, Jupiter ; vendredi,
Vénus ; samedi, Saturne ; dimanche, Soleil. Les Égyptiens, les Incas,
les Assyriens et bien d’autres peuples adoraient les astres et les associaient
à leurs travaux ; l’astrologie couvrit d’obscurantisme et de sortilèges le
moyen âge et une partie des temps modernes.
Actuellement, nous avons ajouté trois autres vassales au
Soleil, globes obéissants qui le suivent dans l’éther, à des distances de plus
en plus grandes, et sont invisibles à l’œil nu (2) : Uranus, Neptune
et Pluton.
Découverte d’Uranus.
— Vers 1770, en Angleterre, un organiste allemand, William
Herschell, épris d’astronomie, se mit à fabriquer de toutes pièces des
télescopes, et de plus en plus grands ; finalement, il réussit un
instrument gigantesque de 12 mètres de long, de 1m,47 de
diamètre, dont le maniement exigeait une véritable forêt de mâts et de
cordages.
Le 13 mars 1781, dans les Gémeaux, parmi un groupe
d’astres, il remarqua une étoile dont le diamètre augmentait avec le
grossissement ; l’ayant suivie, il constata qu’elle glissait, se déplaçait
sur le rideau fixe des étoiles. Il crut à une comète, tant était forte l’idée
qu’il ne pouvait y avoir d’autres planètes que celles connues depuis des
siècles ; mais les observations et les calculs prouvèrent le contraire, et
l’astre fut appelé Uranus (père de Saturne).
Le rayon du système solaire était doublé de ce fait.
Découverte de Neptune.
— Les planètes, dans leurs courses autour du Soleil,
suivent une orbite, un trajet bien déterminé, et leurs positions dans le ciel
sont connues avec précision, par calcul, très longtemps à l’avance.
Or, dès 1820, les astronomes constatèrent que la marche
d’Uranus était perturbée et que ses positions ne cadraient pas avec celles
assignées par la théorie ; les influences de Jupiter et de Saturne
s’avéraient insuffisantes pour causer ces anomalies.
En 1845, un jeune calculateur, Leverrier, fut chargé de
résoudre le problème, qui lui coûta un an de calculs ...
Il avança que ces perturbations étaient le fait d’une
planète éloignée inconnue, et il en donna la masse, la position, même le
diamètre apparent dans les instruments, ce qui devait permettre de la
reconnaître parmi les étoiles ... L’Observatoire de Paris était pauvre en
cartes, et ce fut un astronome allemand, Galle, qui, au reçu d’une lettre de
Leverrier, le 23 septembre 1846, au grand équatorial de Berlin, à très peu
de distance de la position annoncée, dans le Capricorne, trouvait une étoile
non figurée sur la carte ; Galle répondit, après vérifications, le
25 : « Monsieur, la planète dont vous avez indiqué la position,
réellement existe ... »
L’événement fit grand bruit et même dépassa les sphères
scientifiques ; car un jeune Anglais, Adams, avait lui aussi abordé et
résolu le problème en même temps que Leverrier, mais son directeur
d’observatoire ne prit pas les prévisions au sérieux et ne reconnut son erreur
qu’après coup. L’honneur national d’outre-Manche fut en jeu, la presse
française, la caricature s’en mêlèrent, peu courtoisement parfois pour nos
voisins ...
Quoi qu’il en soit, la nouvelle planète fut appelée Neptune,
et son existence reculait d’un pas de géant les limites de notre système :
à 4.500 millions de kilomètres du Soleil, Neptune mettait plus d’un siècle et
demi à faire le tour de son orbite.
Cet astre fut retrouvé dans les anciennes observations de
divers astronomes, qui, s’ils avaient été plus méticuleux, auraient pu eux
aussi découvrir la planète ; mais l’un d’eux n’avait-il pas noté la
position de l’étoile sur un sachet vide de poudre à cheveux ... O
bienheureux temps des perruques !
Découverte de Pluton.
— L’existence de planètes transneptuniennes a été
envisagée déjà par Leverrier aussitôt après la découverte de Neptune, en 1846.
C’est surtout, à une certaine distance du Soleil, par les perturbations
apportées dans la marche de comètes et la « capture ‘ » de
quelques-uns de ces astres que l’hypothèse d’une nouvelle planète prit
corps ; ces éléments et les perturbations subies par Uranus (la présence
de Neptune ne suffisant pas à expliquer les irrégularités de son mouvement)
permirent aux chercheurs de situer sa position. Mais des années
s’écoulèrent ...
L’honneur de la découverte revient à Percival Lowell,
diplomate américain qui, enflammé par la lecture d’un ouvrage de C. Flammarion,
se consacra désormais à Uranie, érigea un puissant observatoire sur une
montagne de l’Arizona et orienta ses recherches sur la planète Mars et les
transneptuniennes.
Il mourut en 1916, sans avoir connu la réalisation de son
rêve, mais ses travaux furent continués, et, en 1928, on assignait à l’objet
une position dans les Gémeaux, à la distance 45 ; c’est un jeune assistant
de l’observatoire Lowell, Clyde W. Tombangh, qui, dès janvier 1929, aidé
d’un télescope, prenant des clichés de zones où devait se trouver la planète,
remarqua, le 21 janvier 1930, dans les Gémeaux, un nouvel astre ;
après enquête, l’étoile fut reconnue comme la planète cherchée. Pluton, c’est
le nom de cet astre, n’est visible qu’avec de très puissants instruments et
roule sur une orbite située à près de 6.000 millions de kilomètres du Soleil.
Désormais, la lumière mettrait douze heures, à la
vitesse de 300.000 kilomètres à la seconde, pour traverser de part en part le
domaine connu de l’étoile Soleil — je dis connu, car les astronomes, gens
insatisfaits, pensent à d’autres planètes, que peut-être le télescope de 5 mètres
du mont Palomar (3) permettra de déceler.
R. MIETTE.
(1) Sur laquelle les pèlerins d’Echternach ont dû copier.
(2) Sauf Uranus, en certaines circonstances.
(3) Voir Le Chasseur Français d’octobre-novembre 1946.
|