Pour chasser un animal donné dans un grand massif forestier
où les espèces vivent en commun, il est nécessaire de faire le bois.
Même en opérant avec des chiens créancés dans une voie
unique, sans ce travail préliminaire le veneur s’exposerait à une perte de
temps et à toutes les incertitudes que comportent la billebaude et ses aléas.
La chasse commence donc avec l’aube ; ou, pour mieux
dire, et quand on le peut, la veille, dans ces longues promenades en forêt où,
suivant un bon chien sûr — un limier, — l’homme responsable cherche
les passages, les demeures, et essaye de cantonner les animaux dans des
enceintes de lui connues.
Les bêtes sauvages — comme les hommes — obéissent
à des obligations qui les font demeurer à proximité des nécessités inéluctables
de la vie, c’est-à-dire : l’eau, la nourriture et le couvert.
Suivant les saisons, ils gravitent autour d’une aire idéale
où ils trouveront à manger, à boire et à reposer avec le maximum de confort
pour le temps qu’il fait.
C’est pour cela que certains coteaux bien exposés, à l’abri
des vents du nord, trouvent aux jours froids de l’hiver une véritable clientèle
de bêtes qui, tels de douillets bourgeois, y jouent « à la Côte
d’Azur » et font le bonheur des valets de limiers, dont ils simplifient le
travail.
L’animal le plus difficile à rembucher est le
sanglier ; non qu’il faille y apporter beaucoup de finesse et de science,
mais bien à cause des parcours énormes que font habituellement les bêtes noires
du crépuscule à l’aube.
Le chevreuil, animal léger et qui marque peu, se détourne,
par contre, très facilement. Il fait généralement une très petite nuit, se
cantonne dans des enceintes d’où il ne sort guère. Peu méfiant, on peut le
serrer de près.
J’ai eu quelques limiers très sages avec qui je faisais le
bois en liberté. Entre autres, une ravissante chienne blanche et orange qui
travaillait devant moi avec la souplesse d’un chien d’arrêt bien mis. J’avais
pris l’habitude de la suivre, quand le bois n’était pas impraticable, et la
laissais lancer. Ainsi, je pouvais facilement voir s’il s’agissait d’un
brocart, d’une chèvre ou de plusieurs animaux. Au premier :
« Arrête », la chienne me revenait dans les jambes et je me retirais,
en prenant le contre et en brisant. Mis debout, à la muette, un chevreuil ne va
jamais loin et c’est un jeu de l’attaquer par la suite. Cela me permettait de
faire des rapports fort circonstanciés et précis, qui me faisaient passer pour
un valet de limier bien plus savant que je ne l’étais alors ...
Mais il ne faudrait pas, pour un sanglier, agir avec la même
désinvolture, car vous auriez bien peu de chances de l’attaquer, même avec de
très bons rapprocheurs, en tout cas trop tard pour le chasser utilement.
C’est pour cela que je disais que faire le bois en quêtant
un sanglier est le plus ingrat travail que puisse faire un valet de limier.
Cherchant un animal erratique, dont le fond semble inépuisable, qui se
décantonne à plaisir, fait des parcours insensés et imprévisibles, tout en
demeurant méfiant en diable, n’est pas délassement de petit-maître, mais œuvre
d’homme de chasse, bon marcheur et très connaisseur. Un sanglier ne se rembuche
jamais facilement en grande forêt, à moins d’un coup de chance. Cet animal,
admirablement équilibré, prend les précautions nécessaires afin de trouver une
bauge qui lui laissera la quiétude souhaitable pour y passer en paix les heures
de jour.
Aussi, dans les derniers parcours de sa longue nuit, va-t-il
multiplier les allées et venues, qui brouilleront sa piste, avant de gagner
l’enceinte où il se remettra. Allées et venues qui mettront le veneur dans
l’embarras.
Après des recherches plus ou moins longues, le valet de
limier se trouve devant une enceinte, vierge sur trois faces, mais où, sur la
quatrième, il rencontre plusieurs voies.
Il faut donc qu’il les compte. Si le revoir est bon, c’est
facile. Quatre voies rentrantes, trois sortantes, l’animal est donc dans
l’enceinte. Mais, si le sol est dur, si, au lieu d’un animal isolé, c’est une
compagnie qu’il travaille, il a peine à s’y retrouver et les plus savants
peuvent se tromper comme un conscrit.
C’est pour cela que nos devanciers, bien plus connaisseurs
que nous, avaient coutume de faire toujours leur rapport sous une forme
dubitative, laissant ainsi une large part à l’inconnu.
Le plus gros écueil pour le valet de limier qui connaît trop
bien son terrain est de se laisser aller à situer à l’avance l’endroit où
devrait se rembucher l’animal qu’il travaille. C’est un peu comme le mauvais
veneur qui chasse « au parti ». La bête fait tête vers telle enceinte,
admirable refuge des sangliers, c’est là où je vais la trouver.
C’est une méthode détestable, génératrice de buissons creux,
rien n’est plus trompeur ; disciple de saint Thomas, le valet de limier ne
doit croire que ce qu’il voit. Dans le début de sa quête, sa
connaissance des bois lui permettra peut-être d’éviter des démarches inutiles,
en se dirigeant vers les refuites connues des animaux, mais c’est tout. Je sais
bien que c’est plus facile à dire qu’à faire, la cote d’amour jouant sans que
l’on s’en doute ...
Et, pour terminer, je vais entonner un refrain qui m’est
cher : c’est le limier qui doit nous conduire.
Le chien courant, de bonne espèce, demeure la base de la
chasse à courre. Il n’a été créé, sélectionné et ne subsiste que pour cela.
Héritier de qualités ancestrales, il étonne et plonge dans l’admiration le
veneur observateur par son intelligence, la sûreté de son odorat, la sagesse de
son jugement. J’ai vu certain limier, portant au vent, me dire que l’animal
était dans l’enceinte sans aucun doute, aussi sûrement que s’il me l’avait fait
voir.
Regardons donc le sol, mais observons nos chiens ; je
suis un limier comme je chasse avec mes pointers, ayant toujours l’œil sur eux,
et je m’aperçois tous les jours qu’ils en savent beaucoup plus long que moi.
Guy HUBLOT.
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