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Sélection des carpes d'élevage

Nous avons, la dernière fois, examiné la série d’opérations culturales à exécuter sur les étangs. Nous allons examiner maintenant les espèces de poissons à utiliser, le nombre et la taille des poissons à ensemencer.

Les espèces de poissons à cultiver dans les étangs se composent :

    — d’une espèce principale, la carpe ;
    — d’une espèce secondaire, la tanche ;
    et, dans certains cas, de deux espèces accessoires et complémentaires, si l’on peut dire : le gardon et le brochet. L’espèce de base demeure la carpe.

Il n’est pas question, en pisciculture d’étang, d’élever la banale carpe écailleuse de nos rivières ; de goût médiocre, pleine d’arêtes, de croissance lente, elle ne saurait se comparer avec les magnifiques races de carpes miroir et cuir, dont la chair est autrement savoureuse, que les Tchèques, les Allemands, les Polonais et, après 1920, les Français sont arrivés à sélectionner.

Un propriétaire qui ne mettrait pas dans ses étangs des alevins de carpe sélectionnée serait comme un éleveur de porcs qui nourrirait des marcassins, ou un arboriculteur qui planterait des sauvageons sans les greffer.

La sélection dans les pays d’Europe centrale, maîtres es carpiculture, s’est faite en se basant à la fois :

    — sur le caractère d’absence totale d’écailles (carpe cuir), ou de présence de quelques grosses écailles, le reste de la peau étant nu ;

    — sur l’obtention de carpes très trapues, où l’indice (rapport de la longueur sur la hauteur) est inférieur à 2,8 et peut atteindre jusqu’à 2,2 ;

    — sur l’obtention d’individus à tête petite, dont le volume soit très faible par rapport au volume de la chair comestible, et à arêtes fines.

Les principales races d’Europe centrale sont :

    — en carpe miroir : la race de Galicie ;
    — en carpe cuir : la carpe de Franconie et la carpe d’Aischgrund, qui est peut-être la plus belle race.

Depuis 1920, et grâce à des croisements et des sélections continues, nos éleveurs français sont arrivés à constituer une race de carpe miroir qui soutient fort bien la comparaison avec les plus belles races d’Europe centrale : c’est la fameuse carpe royale. Mais le maintien de cette race avec ses qualités extérieures ne peut se faire que dans des piscicultures spécialisées où l’on pratique la sélection des reproducteurs, en ne gardant comme futures reproducteurs que les plus beaux, les plus conformes au type original, c’est-à-dire ceux dont l’indice L/H est inférieur à 2,4 ou 2,5.

En deux ou trois générations, si la sélection n’est pas maintenue, la carpe s’allonge, s’écaille et perd totalement son type.

Aussi s’est-il créé, en France, une Commission de Contrôle de la Carpe qui groupe les producteurs autorisés à vendre l’alevin de carpe contrôlée. Ces alevins sont issus de reproducteurs sélectionnés et vendus avec un certificat d’origine.

Je ne puis que conseiller très fortement aux propriétaires d’étangs de n’acheter que des alevins de carpe contrôlée, dont la croissance est plus rapide, et dont la valeur marchande est toujours beaucoup plus élevée chez le marchand de poissons.

Le prix d’un alevin d’un été de carpe contrôlée, pesant environ 30 à 35 grammes, est actuellement d’environ 6 à 8 francs, et il faut compter — nous le verrons dans un prochain article — 200 à 250 alevins de carpe pour peupler rationnellement un hectare d’eau et obtenir, l’automne suivant, 180 à 200 carpes d’une livre et demie à deux livres.

Mieux vaut avoir 1.500 francs de semence, 1.500 francs de faucardage et 1.000 francs d’engrais à l’hectare, et obtenir, chaque année, 150 à 200 kilogrammes de poisson d’excellente qualité, d’une valeur totale de 15 à 20.000 francs (à raison de 90 à 100 francs le kilogramme à la chaussée d’étang), que de lésiner sur la race d’étang, le faucardage et l’engrais, et obtenir 50 kilogrammes de mauvaise carpe dont on ne vous donnera pas 50 francs le kilogramme, soit 2.500 francs en tout.

Mais assurez-vous bien de la qualité de producteur d’alevin de carpe contrôlée de votre fournisseur. J’ajoute que l’administration des Eaux et Forêts vient, cette année, d’introduire dans ses étangs domaniaux du Der (Haute-Marne) et de Courville (Marne) la méthode d’élevage de l’alevin de carpe en frayères Dubisch et bassins de grossissement, utilisés en Tchécoslovaquie et en Allemagne, et qui permet l’obtention de nombreux alevins bien calibrés, à partir d’un seul couple de reproducteurs soigneusement choisis, et qui donne toute sécurité quant à la race des alevins.

Cette méthode tend à s’introduire en France auprès des éleveurs de carpe contrôlée, et il faut s’en féliciter, car elle donnera toute garantie aux acheteurs qui pourront connaître le père et la mère des alevins qu’ils veulent acquérir, ce qui est impossible en dehors de l’emploi de cette méthode.

Un mot pour terminer sur la tanche, le gardon et le brochet.

Tous les efforts des sélectionneurs sur ces trois espèces, dans tous les pays du monde, se sont traduits par des échecs. Il n’y a donc pas de races sélectionnées de tanches, de gardons et de brochets.

Soyez très sévères pour choisir des alevins de carpe de belle race et de bel indice, mais moquez-vous des marchands de tanches, de gardons et brochets de soi-disant race sélectionnée.

DE LAPRADE.

Le Chasseur Français N°618 Février 1948 Page 18