Dans la période de pénurie actuelle, la méthode du
« débrouillage » est toujours de rigueur dès qu’il s’agit de trouver
des matériaux rares. Les bois destinés à la construction des embarcations
n’échappent pas à cette règle.
Quand l’amateur constructeur est en possession de ses plans,
qui comprennent presque toujours un devis des bois, il doit s’adresser aux
scieries et aux marchands de bois en gros de la région. Il en relève les
adresses dans un annuaire, et, en frappant à de nombreuses portes, il doit
réussir avec un peu de persévérance à rassembler, en prenant un peu chez l’un
et un peu chez l’autre, les matériaux nécessaires.
Quand certaines essences sont introuvables, il faut
envisager une essence de remplacement. Mais, dans ce cas, il est prudent de
consulter l’architecte auteur des plans, car, suivant la qualité de cette
nouvelle essence, il faudra peut-être modifier l’échantillonnage pour que la
résistance calculée ne soit pas altérée.
Indiquons aux débrouillards une piste à suivre : les
chantiers de démolition. Si vous connaissez des entrepreneurs, demandez-leur de
vous réserver les poutres des maisons condamnées. Nous connaissons des
bricoleurs qui ont ainsi trouvé dans des madriers en bon vieux chêne bien sec
un bois parfait pour la quille et certaines pièces rigides. Nous rappelons
également que les propriétaires de quelques monotypes en vogue se sont groupés
en associations et s’efforcent, dans un but de propagande désintéressé, d’aider
les débutants qui veulent construire leurs bateaux, en groupant les commandes,
ce qui permet d’obtenir la majeure partie des éléments préfabriqués à des prix
très avantageux. L’achat des bois est, dans ce cas, grandement simplifié. Des
professionnels s’engagent actuellement sur cette voie pour pallier à la mévente
due aux prix élevés de la main-d’œuvre, et ils annoncent la vente de
yachts ... en pièces détachées. La série des sea-birds, par exemple, va
être débitée en éléments préfabriqués, et vous pourrez construire un
confortable yacht de croisière à 50 p. 100 meilleur marché qu’en
l’achetant chez un constructeur, barre en main.
Il est cependant indispensable de connaître les caractères
des bois les plus couramment employés. Ceux-ci peuvent être classés en trois
catégories :
— les bois durs, tels que le chêne, le hêtre, l’orme, le frêne et l’acacia ;
— les bois résineux, comprenant le pitchpin, le sapin et le pin rouge ;
— les bois exotiques, dont les principaux sont les tecks, les acajous et les okoumés.
Le chêne est le bois dur par excellence. Il convient
pour les pièces rigides, la charpente, les parties immergées. Le chêne de
Slavonie, en particulier, est d’une qualité supérieure. Quand le choix est
possible, il faut éliminer les bois trop jeunes ou trop vieux. Submergé pendant
deux ou trois ans, il perd sa sève et prend, après dessiccation, un grain très
dur. Mais le tanin du chêne attaque le fer, ce qui implique des clouage et
chevillage en cuivre, bronze ou fer galvanisé. On ne l’emploie guère pour les
accastillages des yachts, car il noircit au contact de l’air s’il n’est pas
parfaitement isolé par la peinture ou le vernis.
Le hêtre est moins résistant que le chêne. Il a une
élasticité minime et casse net. Il a tendance à se fendre et à se déformer en
séchant. Plus léger que le chêne, il convient pour les avirons des pêcheurs et
les charpentes des embarcations légères. Incorruptible sous l’eau, il pourrit à
l’air, aux alternances de sécheresse et d’humidité. Il se coupe bien dans tous
les sens et, dans certains pays, on creuse dans son tronc un bateau d’une seule
pièce.
L’orme est un bois ferme, liant, très fort, dur,
compact, pesant. Il a une meilleure cohésion que le chêne et n’est pas sujet
comme lui à éclater. Il résiste mieux aux alternances de sécheresse et
d’humidité. Il n’attaque pas le fer, mais il a l’inconvénient de pourrir en eau
douce, ce qui le fait écarter pour les embarcations appelées à séjourner dans
les eaux intérieures.
Le frêne se plie assez bien, mais il casse net aux
courbes brusques. On le choisit pour les pièces cintrées. Mais il se fend
facilement et se défend mal contre les vers. On l’utilise aussi pour les
travaux de menuiserie, où il donne un bois d’une belle couleur claire.
L’acacia est très dur. Il convient pour les
membrures, mais il se fend facilement, ce qui exige la préparation des trous à
la drille. On l’utilise surtout pour les pièces cintrées, de format
réduit : courbes, guirlandes, équerres, car on ne le trouve dans le
commerce qu’en faibles dimensions. Il est plus solide que le frêne et résiste
mieux aux vers, mais il noircit comme le chêne au contact prolongé de l’air
humide.
Le pitchpin, qui vient des pays nordiques, garde,
même après séchage, une forte proportion de résine. Il convient, comme tous les
résineux, aux travaux où la résistance passe après l’élasticité : bordés,
ponts, mâtures. Il n’attaque pas le fer, mais ne résiste pas à l’eau douce.
Le pin d’Orégon est aussi un bon bois pour les
bordés. C’est un pitchpin de dureté moindre, et il le remplace pour des raisons
d’économie.
Le sapin rouge, ou pin du Nord, est moins lourd et
moins résistant que le pitchpin. Son prix seul le fait préférer au pitchpin
pour les ponts et les mâtures des petites embarcations. Son grain supporte la
peinture, mais pas le vernis.
Le sapin du pays est moins résineux que le sapin
rouge. Il est d’une grande élasticité, blanc, tendre, léger, homogène. On
l’utilise surtout pour les cloisons, les travaux intérieurs et les ponts
destinés à être entoilés. C’est un bois peu recommandable à cause de sa faible
résistance.
La qualité du teck dépend de son origine. Le teck de
Siam, très dur, est supérieur au chêne. Il résiste, en général, aux vers, mais
son prix le fait réserver aux constructions de luxe.
Le teck de Guyane a une belle couleur rouge foncé ; il
est très solide, très lourd, mais difficile à travailler.
Le teck d’Afrique est très cassant, aussi est-il peu employé
en dehors des accastillages.
Les acajous sont, comme les tecks, de qualités
variables. L’acajou des Philippines est un bois foncé, compact et souple, qui
fait de très beaux bordés. Il rappelle le teck de Siam, mais il résiste moins
bien à la pourriture.
L’acajou d’Afrique, ou grand-bassam, est un bois très
résistant, facile à travailler, d’un bel aspect rouge clair qui convient à tous
les emplois sur les petites unités.
Le spruce a de grandes qualités, mais il est peu
utilisé. On le réserve pour les mâtures, et il donne des ponts d’une blancheur
impeccable.
L’avodiré, très proche du spruce, est cependant moins
lourd et plus dur. On le destine presque exclusivement aux bordés de pont.
L’okoumé manque d’élasticité. Peu résistant, très
putrescible, difficile à travailler (être très prudent au ployage et le gratter
au verre au lieu de le raboter), il donne de beaux bois de bordés et
d’accastillage. Mais il faut le vernir, car il noircit à l’air. Il convient
tout particulièrement pour des embarcations de sport comme le canoé, qui
séjournent plus souvent au sec qu’à l’eau.
Nous mentionnerons, pour terminer cette énumération, un
matériau relativement récent, le bois contreplaqué. Il n’est, en effet, employé
dans la construction navale que depuis certains progrès réalisés pendant la
dernière guerre, par les industries anglo-saxonnes, qui ont obtenu des
résultats remarquables dans le façonnage à chaud du contreplaqué sous pression,
avec une gomme résine synthétique imperméable. Des constructeurs qui ont essayé
ces contreplaqués pour les bordés et les ponts en sont, paraît-il, très
satisfaits, mais le contreplaqué ne se trouve actuellement — en France du
moins — qu’en panneaux de faible longueur. Enfin, et c’est là le gros
inconvénient de ce matériau, les réparations sont à peu près impossibles.
Quant aux bois imprégnés que nous devrions trouver sur le
marché français, ce sont des bois traités à l’autoclave par un procédé
essentiellement chimique qui transforme, dit-on, le bois tendre du peuplier en
un bois plus dur que le chêne, imputrescible et indéformable. Si tout le bien
qu’on en dit est vrai, nous les appelons de tous nos vœux, car, en utilisant
nos bois tendres indigènes de croissance rapide et de faible valeur marchande,
on devrait pouvoir abaisser sensiblement les prix de la construction navale.
A. PIERRE.
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