La curiosité d’obtenir par le croisement de végétaux d’une
même famille de nouvelles variétés est fort ancienne. Pour la vigne, elle
remonte à la fin de la Restauration.
La crise phylloxérique en a fait une nécessité absolue, il a
fallu obtenir d’abord et rapidement des porte-greffes, puis ensuite des
producteurs directs.
Notons, en passant, que les hybrides de la vigne sont
indéfiniment féconds.
Avant de donner un aperçu des méthodes de croisement, voyons
d’abord comment est constituée la fleur, organe de la reproduction ;
prenons par exemple le lis.
En examinant attentivement sa fleur, nous constatons une
partie en forme d’entonnoir, de couleur blanche : c’est la corolle,
composée de trois pétales. Au fond de celle-ci, nous apercevons un objet verdâtre,
ovoïde, surmonté d’une tige : c’est l’ovaire. La tige qui le
surmonte s’appelle le pistil, terminé lui-même à son sommet par une
partie épanouie et renflée appelée stigmate.
Si on coupe l’ovaire par le travers, on constate qu’il
comprend trois loges contenant chacune de petits corps ronds : ce sont les
ovules.
La même opération faite au pistil nous montre qu’il possède
un canal central assurant la communication du stigmate avec l’ovaire.
Cet ensemble forme la partie femelle de la fleur.
Autour de l’ovaire, on voit se dresser six petites tiges
portant à leur sommet un petit fuseau jaune : ce sont les étamines
ou partie mâle de la fleur.
À maturité, les six petits fuseaux s’ouvriront et laisseront
échapper une poussière très fine : le pollen. Celui-ci est composé
de corps très petits, dont un certain nombre iront se déposer sur le stigmate
et, à la faveur d’un mucus sécrété par ce dernier, se gonfleront et émettront
chacun un filament microscopique qui, suivant le canal central du pistil, ira
féconder une ovule.
La fécondation terminée, la fleur se flétrira.
Le lis fait partie de la famille des Liliacées.
Si on examine la fleur de la vigne, on constate que la
disposition de ses organes est tout à fait différente. Nous voyons, à l’aide
d’une loupe, au moment de la floraison, une petite boule verte surmontée d’un
capuchon ; ce dernier, composé des pétales, doit normalement se détacher
par la suite, laissant apparaître un ovaire en forme de poire surmonté d’un
pistil très court, et les étamines au nombre de cinq qui se retournent d’un
demi-cercle, c’est-à-dire vers l’extérieur au moment de la floraison.
L’ovaire, qui formera le grain de raisin, possède deux loges
comprenant chacune deux ovules. Normalement, le grain doit contenir quatre
pépins.
La vigne fait partie de la famille des Ampélidées.
L’hybridation se fait en juin après avoir déterminé d’avance
les pieds mâles et femelles.
Lorsque les fleurs des pieds femelles ne sont pas encore
épanouies, on choisit parmi elles les plus belles grappes et on les ciselle en
laissant seulement vingt à trente fleurs par grappe. À l’aide d’une pince, on
fait sauter le capuchon et, avec une paire de ciseaux très fins, on supprime
les étamines qui ont pu rester après le décapuchonnage. Cette opération se fait
au début de la floraison ; de plus, on s’assure, au moyen d’une loupe,
qu’aucun grain de pollen n’est resté sur l’ovaire.
Ensuite on secoue les fleurs mâles au-dessus des fleurs
femelles ainsi préparées, puis on enveloppe ces dernières avec un sac de papier
transparent qu’on enlève lorsque l’hybrideur le juge utile.
Les mêmes grappes seront de nouveau enfermées après la
véraison.
Voilà, résumée succinctement la technique de l’hybridation.
Dans la pratique, les choses ne sont pas aussi simples, nous passons les
détails sous silence, faute de place.
Les pépins recueillis seront mis en stratification, puis
semés au printemps.
C’est là que commencent les difficultés. En effet, lorsqu’on
sème une variété de carotte, on est sûr de récolter la même variété, et ce même
si on produit soi-même sa semence.
Il en est tout autrement pour les sujets provenant des
pépins. Ceux-ci présenteront des caractères différents, soit du côté du plant
mâle, soit de celui du plant femelle, soit des deux à la fois, et ce à des
degrés plus ou moins accentués.
C’est là que la pratique de l’hybrideur intervient pour
s’efforcer, avec le temps et beaucoup de patience, d’obtenir des plantes
donnant des produits de qualité.
La question des porte-greffes est résolue depuis longtemps,
celle des producteurs directs est en constante amélioration.
Nous avons, dans ce domaine, de nombreuses et sérieuses
maisons qui mettent sur le marché de bons plants.
Nous estimons que celui qui veut réencépager aurait intérêt,
en cas d’hésitation, à envoyer à l’une de ces maisons l’analyse physique
du sol et du sous-sol, l’altitude et l’orientation du terrain, le régime des
eaux et des vents. Ladite maison lui proposerait un cépage adapté à son sol et
au climat.
Est-ce à dire que l’on doit planter partout des producteurs
directs et abandonner les greffés ? Certainement non. Les esprits sages
disent et écrivent que ceux-ci doivent être surtout réservés aux pays de
polyculture et là où la main-d’œuvre fait défaut ; et encore pas toujours,
car il y a de nombreuses exceptions. En voici une à titre d’exemple.
Nous avons assisté, la saison dernière, aux vendanges d’un
vignoble d’une ferme de polyculture, constitué par trois parcelles orientées
respectivement : est, sud, ouest. Le sol, composé d’un terrain
argilo-calcaire, extrêmement caillouteux, surmonte une assise de calcaire
fissuré du crétacé supérieur. Altitude moyenne 200 mètres, situation
dominante assez ventée qui permet une assez bonne fécondation. Pluies 5 à 600 millimètres
par an, orages fréquents.
L’encépagement est fait en rouge greffé sur Rupestris du
Lot, avec des plants portant des noms locaux, dont un peu de Côte Rouge.
Quelques hybrides végétant mal et devant être greffés pour donner leur
rendement normal, le propriétaire y songe. Ce dernier, qui a comme aide son
jeune fils, a planté, il y a deux ans, un nombre considérable de greffés, dont
beaucoup, par suite de la sécheresse, n’ont pas pris ; toutefois les
porte-greffes sont en place et seront regreffés à la saison prochaine.
À notre avis, c’est un vignoble d’avenir ; il est, en
outre, remarquable que, dans la région immédiate, on ne trouve que des greffés.
À quelques kilomètres de là, dans la plaine, le producteur
direct greffé sur Rupestris du Lot donne toute satisfaction.
Nous voyons, par cet exemple qui n’est pas unique, qu’il est
assez difficile d’établir un programme d’encépagement lorsqu’on n’a pas étudié
sérieusement toutes les données du problème.
Nous terminerons par ce que nous disait, il y a quelques
années, un vieux vigneron réputé pour faire du bon vin :
« J’ai des greffés, j’ai des producteurs directs ;
lorsque, par suite des intempéries, l’un ne me donne rien, l’autre m’assure ma
récolte. »
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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