L’extrême puissance et la souplesse du moteur à essence se
paie malheureusement — fort cher — par un danger continu d’explosion
et d’incendie. Dès que survient une catastrophe aérienne, on est à peu près
certain que l’avion, percutant au sol, aura pris feu et que les occupants
auront été carbonisés. Tel fut le sort du regretté général Leclerc et de ses
compagnons ; tel aussi celui de ces malheureux enfermés dans un avion qui
capota à la lisière de l’aérodrome de La Guardia, et que l’on voyait
appeler au secours, à travers les micas, au milieu des flammes.
Le diesel, pour la traction routière aussi bien qu’à bord
des autorails et même des avions, apporte une solution imparfaite ; il est
lourd, mécaniquement « brutal », et ne possède pas la souplesse du
moteur à essence.
À plusieurs reprises, les inventeurs ont proposé des
procédés permettant de supprimer, partiellement ou en totalité, le danger de
l’essence. On n’a pas oublié le célèbre « carburant Makhonine », dont
les démonstrations furent convaincantes ; un avion, arrosé avec le
carburant, refusait de prendre feu ! Quelles obstructions, justifiées ou
non, s’opposèrent au développement de cette intéressante idée technique, et qui
parle aujourd’hui du carburant Makhonine ?
Voici l’essence solidifiée !
— Un inventeur français, M. Pathus-Latour,
vient de trouver le moyen de transformer l’essence en grains solides,
ininflammables et non susceptibles de s’évaporer. Ces grains peuvent être
agglomérés en pains, qui peuvent être conservés sans précautions spéciales dans
des sacs, ou même jetés dans un bassin plein d’eau !
Dans un tamis, sur la table du laboratoire, voici
quelques-uns de ces grains. Jetez-y une allumette : celle-ci s’éteint
normalement au bout de quelques secondes. Prenez quelques-uns de ces grains entre
deux doigts, écrasez-les ; l’essence — ô surprise ! — fuse
comme d’une éponge ! Sitôt libérée, elle reprend toute sa dangereuse
inflammabilité.
Une matière étrangère, dont la composition est tenue
secrète, est incorporée à l’essence « naturelle » pour donner
l’essence en grains. En guise d’ornement, des objets en essence sculptée sont
posés sur les tablettes du laboratoire de M. Pathus-Latour, et aucune
odeur ne se dégage cependant dans la pièce.
Sécurité aérienne.
— Avant tout, cette curieuse invention doit amener un
progrès considérable dans la sécurité aérienne. Non seulement le danger
d’incendie sera moindre à bord des avions, mais le transport sera plus facile
et moins cher. Finis les pétroliers, dont la structure pose des problèmes
difficiles aux ingénieurs des constructions navales, et dont la rigidité, à la
mer, n’est pas toujours impeccable. N’importe quel navire pourra charger
l’essence en grains, sans que des précautions spéciales soient nécessaires. Il
reviendra avec une cargaison de légumes ou de céréales, alors que les
« tankers » pétroliers, spécialisés dans le transport de l’essence,
font leur voyage de retour obligatoirement à vide.
On considère même, dans les sphères du War Department
américain, que l’invention de M. Pathus-Latour neutralise en partie la
menace de la bombe atomique. On a remarqué en effet, à Bikini, que l’essence,
jusqu’à une distance assez considérable du point de l’explosion, est
complètement volatilisée au moment de l’éclatement de la bombe. Cette
volatilisation ne se produit plus avec l’essence solide, d’où une réduction
considérable des effets de la bombe sur les avions situés dans les limites du
rayon d’action.
Des « îles flottantes » d’essence !
— Finies également les immenses citernes, surveillées
jour et nuit par des gardiens armés, attentifs à la moindre lueur de
cigarette ! Flottant à la surface de la mer ou d’un étang, entreposées
sous un vulgaire hangar, des masses énormes de grains d’essence solide
attendront paisiblement leur utilisation. Assis sur les sacs ou sur les tas, le
gardien pourra fumer tranquillement sa cigarette et jeter son allumette allumée
sans risquer de périr dans une immédiate Apocalypse !
Ces résultats favorables n’ont pas été obtenus du premier
coup. Découverte en 1938, l’essence solide n’intéressa nullement le
gouvernement français. Les Allemands, au cours de l’occupation, s’y
intéressèrent au contraire ... trop vivement ; le petit laboratoire
de la rue Bourdaloue, où fonctionnait déjà un poste clandestin, fut envahi par
la Gestapo. Détail pittoresque : camouflé en porte-manteau, l’appareil
générateur d’essence solide servit de support aux pèlerines ennemies et ne fut
jamais découvert ; mais le savant, qui refusait de dévoiler son secret,
fut emmené à Berlin et n’échappa au poteau que grâce à une intervention
personnelle du maréchal Goering, qui fit remarquer que « l’Allemagne,
vainqueur évident de la guerre, aurait, tôt ou tard, cette invention en sa
possession » !
La mise au point de l’essence solide, en l’état où se trouve
actuellement l’invention, nécessitera plusieurs centaines de millions. Ces
millions, que le savant n’a pu trouver en France, il semble que l’Amérique soit
disposée à les fournir ; si l’on doit s’en féliciter sur le plan
scientifique, au point de vue national on ne peut que le regretter.
Pierre DEVAUX.
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