Avant le premier conflit mondial, on parlait relativement
peu de caoutchouc synthétique, cela pour deux raisons : d’abord, le
naturel suffisait aux diverses branches de l’industrie, et, ensuite, la chimie
du caoutchouc était encore vacillante. Ce n’est qu’autour de 1930-1935 qu’on
commençait à entrevoir la complexion de la chaîne moléculaire du caoutchouc
naturel. Depuis, les progrès se sont multipliés et on sait exactement ce que
sont « chimiquement » le caoutchouc vulcanisé et l’ébonite ;
mieux, on est arrivé à mettre sur pied toute une série de dérivés synthétiques
aux noms variables (butadiène, styrolène, néoprène, igélite).
On en était là lorsque les besoins des nations belligérantes
devinrent considérables, et d’autant plus que les marchés de production se
trouvèrent fermés. Du même coup, un prodigieux développement des usines du
caoutchouc synthétique en fit lever rapidement une cinquantaine, et la
production passait de 2.500 à 900.000 tonnes : chaux et charbon, pétrole
et alcool, gaz naturels, telles étaient les matières premières employées.
Inutile de dire que le produit obtenu, même le meilleur, rivalise difficilement
comme qualité et comme prix de revient avec le caoutchouc naturel, de sorte
qu’on se trouve irrémédiablement obligé (dans l’état actuel de nos
connaissances là-dessus) de l’enrichir par addition de caoutchouc vrai, fourni
essentiellement par l’Hevea brasiliensis.
C’est en effet cette euphorbiacée qui donne essentiellement
un produit d’extraction (latex) qui, travaillé, donnera à son tour le
caoutchouc naturel type. Par suite de sa nécessité et de ses qualités
indétrônables, des stations d’essais furent précisément créées en Californie,
et, de 1930 à 1940, les travaux expérimentaux et théoriques y furent poussés
avec un zèle intensif en vue d’augmenter non seulement la qualité, mais la
quantité du latex ; en même temps, donner au végétal une croissance plus
rapide et une plus grande résistance aux maladies : les résultats furent,
comme on le devine pour un arbre qui croît très lentement, assez longs, mais
les savants ne perdirent pas patience et leurs efforts diligents autant que
précis ont été couronnés de succès. Non seulement ils travaillèrent sur
l’hévéa, mais simultanément sur d’autres végétaux à latex dont la richesse et la
variété sont là-bas infinies : Castillonna, Elastica, Funtumia,
Landolphia, et surtout la Vigne à caoutchouc, originaire de Madagascar ;
de sorte qu’ils se trouvèrent en possession de résultats variés, entraînant des
techniques également variées qui avaient l’heureux avantage de se compléter les
unes et les autres : ainsi de nouvelles plantations riches et pleines
d’avenir ont été créées un peu partout.
Je passe sous silence le détail de ces travaux culturaux,
longs et délicats, mais qui ont apporté de tels perfectionnements que le
saignage, incisions faites pour l’écoulement du latex, est devenu très précoce,
que le rendement passe de ce fait à neuf fois celui d’autrefois, la qualité
restant toujours égale.
Pour être complet sur la question du caoutchouc naturel,
disons qu’en Russie (Turkestan), au cours de la dernière guerre, les Allemands
découvrirent des milliers d’hectares d’une plante composée dite :
Kak-Saghjz, excrétant un latex à caoutchouc de rendement certes inférieur à
celui de l’hévéa, mais tout de même intéressant par sa qualité et surtout par
le fait que, sous climat tempéré, c’est la première et la seule plante à
caoutchouc connue, et qu’elle modifiera certainement le marché économique de la
Russie pour cette matière première.
Ainsi se présente le problème des caoutchoucs naturels et
synthétiques, sous un double aspect, suivant qu’on le considère en temps de
paix ou en temps de guerre.
Il n’en reste pas moins vrai que les cinquante et quelques
usines nées en Amérique des besoins pressants de la guerre resteront, comme on
l’a déjà dit, « un volant de sécurité » marchant au ralenti jusqu’à
nouvel ordre.
Les plantations américaines et autres, à la suite des
recherches et des progrès considérables obtenus, prendront le pas sans aucun
doute sur l’industrie du synthétique, ce dernier inférieur et trop coûteux.
Mais reconnaissons-lui néanmoins quelques points à son avantage : il a
résolu pendant la guerre — tant bien que mal — la rupture du marché
d’Extrême-Orient (rôle qu’il ne jouerait probablement pas dans un nouveau
conflit). Enfin il a permis de connaître la complexion chimique des caoutchoucs
et, de là, la préparation des matières premières, de seconde importance, mais
ayant tout de même leur intérêt. Je ne citerai que le Phafolium, pellicule fine,
souple et transparente, incolore ou teintée, dont la mode féminine usa et use
encore pour la confection de capuches, pèlerines, parapluies.
P. LAGUZET.
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