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Curiosité historique

La crise du logement

était-elle connue de nos pères ?

’HISTOIRE, a-t-on coutume de dire, est un perpétuel recommencement. C’est une vérité que les érudits constatent tous les jours en fouillant les archives et les vieux livres. Si, en l’an de disgrâce 1948, la recherche d’un logis est une chose malaisée, à plusieurs reprises nos ancêtres connurent, eux aussi, les mêmes ennuis, eux aussi durent arpenter Paris, levant le nez en l’air dans l’espoir de rencontrer un écriteau annonçant que céans était un appartement vacant.

Déjà, sous la Régence, Nemeitz, dans son guide, écrit que les chambres garnies sont rares et difficiles à trouver dans le quartier Saint-Germain, du côté du Luxembourg. Un peu plus tard, sous le règne de Louis XVI, Louis-Sébastien Mercier trace une sombre peinture de la vie du candidat locataire. Les petits loyers étaient déjà très difficiles à découvrir, mais écoutons ce que dit l’auteur du Tableau de Paris : « Depuis trente ans, on a bâti dix mille maisons nouvelles, et il y a plus de huit mille appartements qui sont vides. Eh bien ! quand vous voulez vous loger, vous êtes fort embarrassé, à cause des convenances, pour vous loger aussi grandement qu’autrefois ... Les petits locations ont infiniment plus de concurrents que les autres. Il y aura cent personnes qui se présenteront pour une chambre de cinquante écus ... Proportion gardée, le pauvre paye plus cher son appartement que le riche. » Mais ce fut surtout quelques années plus tard, sous la Révolution, que la crise du logement connut son apogée.

M. Jean de La Monneraye, le distingué conservateur de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, a écrit sur ce sujet brûlant d’actualité quelques pages documentées qui nous serviront de guide. La police exerçait sur les logeurs de chambres garnies une surveillance draconienne qui se traduisait par des visites domiciliaires, des enquêtes sur les locataires, l’affichage de leurs noms, etc.

Dès 1794, la capitale allait connaître un afflux important de nouveaux locataires : fonctionnaires de plus en plus nombreux, ouvriers attirés par les usines de guerre, affamés de province venant quérir à Paris une carte de pain permettant de manger, tous ces provinciaux allaient automatiquement faire une concurrence aux Parisiens, aussi bien chez le boulanger que chez le concierge ! La hausse du coût de la vie oblige les propriétaires à résilier les baux pour en faire signer d’autres plus avantageux, du moins pour eux. Les logements deviennent alors introuvables.

En 1795, au mois de novembre, le citoyen Lequinio, député aux Cinq Cents, écrit aux Directeurs pour leur faire savoir qu’il a cherché un gîte en vain dans tout Paris. Les hôtels eux-mêmes refusent des clients à cause des draps ! À la fin de cette année 1795, un député dénonçait à la tribune l’attitude des propriétaires qui aimaient mieux ne pas louer que de passer un bail payable en assignats — dénués de toute valeur — et qui n’affichaient pas les locaux vacants, afin de mieux exploiter les prétendants locataires. Comme l’écrit M. de La Monneraye, les malheureux qui déambulaient dans Paris, le nez en l’air, devaient regretter le temps où les écriteaux pendus à l’aide d’une ficelle menaçaient à chaque pas de leur tomber sur la tête. On dénonce des propriétaires enrichis par de louches combinaisons — le marché noir existait déjà — et qui ont plusieurs appartements ou châteaux. Le Directoire ordonna un recensement général des locaux ; les appartements vacants devaient être frappés d’un impôt forcé payé par le gérant — ou principal locataire — ou par le vautour lui-même. La mesure fut peu efficace. Les juges de paix ne savaient plus où donner de la tête, les dossiers s’amassaient sur leurs bureaux.

Les propriétaires se plaignent d’être payés en assignats, ils ne touchent pas grand’chose, et ce qu’ils touchent ne peut guère leur servir. Le gouvernement hésite, propose un moratorium, des indemnités. Vers 1800 seulement, la crise du logement était enrayée à Paris, la vie redevenait normale. Au cours du XIXe siècle, nos ancêtres allaient encore connaître cependant les angoisses de la chasse aux écriteaux — titre d’une pièce de Th. Coigniard et Hippolyte Leroux, jouée aux Variétés, le 3 novembre 1856. Cette comédie sans prétention — et assez plate — nous montre un jeune homme cherchant un « logement d’artiste commode et pas cher », et un grand appartement pour une tante de province, et s’exclamant : « Deux appartements à trouver ... comme c’est amusant ! » Une scène nous apprend que le portier était déjà un personnage redoutable, avec qui il fallait compter. Enfin, le finale du premier acte se terminait sur ce chœur des passants en quête d’un logis :

Appartement (bis) !
Place !
C’est la chasse !
Appartement,
J’en veux pourtant
N’importe comment !

Ce charmant rondeau, bien d’actualité, se chantait sur l’air des Puritains.

Passons sur une pièce de Varner, La chasse aux Vautours, que nous initie aux exigences des propriétaires, et arrivons-en au décret du 18 janvier 1871, signé Jules Ferry, dont le dernier article semble dater d’hier. Il y est dit, en effet, que « réquisition est faite au nom de la ville de Paris des logements des personnes absentes. Ces locaux seront mis à la disposition de la mairie centrale et de la mairie d’arrondissement ».

Aux approches de l’Exposition de 1900, les Parisiens allaient encore une fois avoir de la peine à trouver un logement. C’est du moins ce que nous affirme deux « revuistes », Henri Boucherat et Gaston Habrekorn, dans Paris en Revue, joué sur la scène du Divan Japonais, 75, rue des Martyrs, amusante petite boîte qu’Yvette Guilbert — elle y chanta — nous décrit dans ses Mémoires. L’acte II de cette revue — bien peu spirituelle — nous offre des couplets chantés par des artistes bien oubliés — entre autres par une certaine Cyclamen d’Aix, dont le nom était vraiment tout un programme. Ces couplets se chantaient sur l’air de Panurge :

Notre déveine est sans égale.
Ainsi que de vrais juifs errants
Nous arpentons la capitale
Pour y trouver des logements.
Quelle est la mauvaise fortune
Qui nous a fait déménager ?
C’est comm’ si l’on cherchait la lune
On n’trouv’ plus moyen de s’loger !
Pristi, c’est agaçant,
C’est fatigant,
C’est éreintant.

Après quelques réflexions — qui étaient peut-être drôles à cette époque, — Chapelard chantait les vers suivants :

J’ai vu des log’ments excentriques,
Vu des punaises, des souris,
J’ai vu des log’ments magnifiques,
Mais qu’étaient vraiment hors de prix,
Ils avaient l’ascenseur qui monte,
Dans la cage des escaliers,
Mais l’ascenseur, c’est une honte,
Fait surtout monter les loyers !

Et puis ce fut la guerre — l’autre — suivie par une nouvelle crise du logement. Mais ceci est une histoire trop récente que nos lecteurs, hélas ! connaissent ...

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°618 Février 1948 Page 48