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Pour le repeuplement des chasses

Programme de printemps

Le renouveau, s’il marque la fin d’une saison de chasse, ne doit nullement mettre un terme à l’activité des dirigeants des Sociétés de chasseurs. C’est même l’époque des efforts soutenus pour la réalisation d’un programme qui conditionne le succès ou l’échec du repeuplement naturel en gibier de pays : perdrix et lièvres.

Ce programme est simple ; on l’a souvent détaillé, mais il n’est pas inutile d’y revenir. Il se résume en trois objectifs : empêcher la divagation des chiens ; intensifier la destruction des animaux nuisibles ; protéger les couvées et portées de gibier lors des fauchaisons.

Certes, le braconnage, et spécialement le colletage, sera toujours à réprimer ; un garde sérieux ne doit pas relâcher sa surveillance à l’égard des écumeurs de la plaine et des bois, des fervents de la chanterelle, des colporteurs d’œufs de perdrix. Qu’il veille aussi, et de près, sur les chiens en rupture d’attache ; leurs méfaits dépassent ce que l’on croit communément. Pour n’en citer qu’un exemple, j’apprenais au printemps dernier que, sur un domaine d’une trentaine d’hectares, trois couvées de perdrix avaient été mises à mal par le même chien mâtin, galopeur effréné, que son maître négligeait de surveiller dans la période critique où les petits perdreaux sont à la traîne ; le résultat fut que les compagnies se trouvèrent réduites à deux ou trois oiseaux chacune. Les mêmes dommages peuvent être subis par les lièvres dès qu’un chien s’acharne à leur recherche, et certains ont cette spécialité dans les campagnes. Il n’est pas rare que deux corniauds prennent l’habitude — funeste pour le gibier — de chasser de compagnie, de s’entr’aider dans la poursuite du gibier à poils, de battre taillis, friches et boqueteaux. C’est une des causes les plus fréquentes du dépeuplement des chasses mal surveillées.

Je note aussi que les chats en maraude deviennent vite les pires ennemis des couvées de perdrix et de cailles. Le chat est l’un des hôtes de nos logis qui reprend le plus facilement, hors des villes, l’instinct de sauvagerie : rôdeur s’attaquant mieux encore aux oiselets qu’aux mulots. Je me souviens d’avoir vu dans les dunes littorales une chatte, très douée en apparence, dont le talent de braconnière s’exerçait sur les cailles lors des passages : elle surprenait les grasses oiselles exténuées par le vol nocturne, les tuait sur place et, chose curieuse que je n’aurais pas soupçonnée si je ne l’avais constatée par hasard, les apportait, bien alignées, devant le seuil d’une maison blottie à l’orée des pins.

Chats maraudeurs, chiens errants sont la pire engeance. Gardes et chasseurs ont une tâche urgente à remplir pour leur barrer le chemin. Tâche ingrate, qui vous expose à de nombreuses récriminations, mais dont on vient à bout avec persévérance, avec fermeté, sans vexations inutiles.

Ce ne sont pas des plaintes, ce sont des éloges que vaudront aux piégeurs les tableaux de capture de renards, de petits fauves, les destructions de corneilles, de pies, d’oiseaux de proie, dont l’autour et l’épervier sont bien les plus nuisibles.

Une active surveillance de printemps ne saurait laisser indemnes les portées de renardeaux. Celles-ci ne sont nullement cantonnées dans les seuls massifs boisés ; il s’en établit aussi dans les talus des haies, en pleins champs, dans l’abri d’un ancien terrier de lapins ; un garde vigilant ne se laissera pas duper à ce propos par la malice de Mme Goupil. Belettières et boîtes à putois lui donneront l’occasion de préserver maints levrauts, bouquins et hases, de l’attaque sournoise des petits fauves que les zones giboyeuses attirent forcément. Une réserve non piégée serait vite improductive.

Il appartient aux présidents de sociétés de stimuler le zèle du piégeur par des primes d’autant plus élevées que l’époque est moins propice à la vente des fourrures. Il ne faudra pas lésiner non plus sur les primes de destruction au fusil des pies et des corneilles au moment des nids de ces indésirables, qui s’attaquent sans répit aux poussins dans les fermes comme au jeune gibier parmi les champs. Rien n’échappe à la vue perçante d’un couple de pies ou de corneilles à bec noir : toute nichée, toute portée repérées sont vouées au pillage.

Est-ce trop demander que, dans un groupement de chasseurs disciplinés, une équipe s’attelle à la recherche des nids de rapaces, de corneilles et de pies et au tir de leurs couveuses ? La plupart des arrêtés préfectoraux préviennent ces utiles destructions, qui gagnent à être pratiquées par quelques tireurs bien encadrés.

Et, comme tout se tient en matière de chasse organisée, le programme printanier se complétera par la surveillance des couvées et des portées de gibier. À commencer par celles situées dans les réserves où l’on devrait, dès la pousse des prairies, reconnaître les places de nidification, contrôler le comportement des pariades, leur éviter, au moment opportun, la perte sous la faucheuse.

Ce n’est certes pas le travail le plus facile que ce sauvetage, ni les essais consécutifs d’élevage des perdreaux. Cela exige beaucoup de soins, sans nécessiter toutefois d’installations compliquées : les élevages les plus modestes sont souvent les meilleurs. J’en ai relevé bien des preuves sur des points variés de nos chasses communales et particulières : en Bresse, en Touraine, en Saintonge, en Poitou, sans parler des élevages de Sologne, de la région parisienne et du Nord, et en citant seulement les essais pleins d’intérêt de repeuplement en perdrix rouges de la Provence et du Languedoc.

Là encore, l’impulsion à donner par les dirigeants est prépondérante. De larges récompenses doivent encourager les cultivateurs qui réussissent à préserver une couvée de perdrix, à sauver des levrauts. L’émulation aidant, on obtient parfois des résultats inespérés, surtout dans les régions bocagères où la place de sauvetage est moins exposée que dans une plaine sans abris. Il va de soi qu’un contrôle attentif sera exercé jusqu’à parfaite réussite de la couvée ; c’est le rôle d’un bon garde d’y veiller, d’y consacrer tout le temps, tous les soins nécessaires.

Ainsi, pour les chasseurs et pour leurs auxiliaires, le labeur du printemps sera le gage des succès d’automne. Le travail accompli, jour par jour, d’avril à juin, doit porter ses fruits à l’ouverture de septembre, si de soudaines intempéries ne viennent pas contrarier l’œuvre de la nature. Et, même dans ce cas, la bonne graine semée ne se perdra jamais en entier.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 50