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Chasse à courre

Les signes précurseurs de l'hallali

Le veneur, nous l’avons dit et nous le répétons, est un convaincu, un croyant. Dans une sorte d’état bénéfique, issu de l’enthousiasme, du savoir, de l’expérience et de l’espoir toujours vivace en son cœur, malgré les retraites manquées ou les buissons creux, il est tout disposé à percevoir ces signes mystérieux qui, pour un profane ou un indifférent, sont aussi fugaces et éphémères qu’un souffle de brise sur l’onde d’un étang.

Car ce sont des signes précurseurs de la prise dont nous voulons parler. Après les péripéties du rapprocher, les difficultés du lancer, les enivrements de la poursuite, l’inquiétude ressentie pendant les défauts ou les balancers, quand et comment peut-on discerner que l’animal est sur ses fins ?

D’abord, la voix des chiens fait présager la prise prochaine ou possible. Cette meute, cette partie de nous-mêmes, se rend compte mieux que les hommes de l’état de la voie et de la condition de l’animal de chasse. Brusquement, les clameurs redoublent dans des relancers — si relancers il y a, — des récris endiablés, et puis des chiens de queue, on ne sait comment, rallient mystérieusement et augmentent le volume de la fanfare de mort ; les vétérans, qui, à court d’haleine, traînaient aux allées, chargent comme les jeunes ; tout le monde sent la cuisine, et même certains chevaux, qui pesaient à la main, retrouvent leurs jambes, leur vigueur, leur jeunesse, et pointent l’oreille au bruit de la meute.

Voici donc des signes, si l’on peut dire, psychologiques, mais il en est d’autres plus tangibles et plus près de nous, ceux que l’on peut lire sur le sol et qui viennent apporter une quasi-certitude à l’homme de chasse averti et connaisseur.

Ce sont les allures, les modifications de la forme du pied de la bête de meute qui viennent nous fournir des indications précieuses. Un animal fatigué ne marque pas comme un animal frais ; sa démarche, lorsqu’il est fini, devient incertaine et pesante. Ses ongles s’écartent sous le poids de la fatigue, ses pinces s’enfoncent plus profondément dans le sol. Il est « sur les genoux », ainsi qu’un cheval fourbu, et s’en va titubant comme un homme ivre, chancelant, en animal que la mort va saisir, avant de s’écrouler ou de se faire porter bas par les chiens.

J’ai choisi à dessein un cas extrêmement typique ; dans la réalité, la disparition de ses forces n’est pas si soudaine, ni si complète. De toute façon, il ne mène plus sa chasse en animal sûr de sa vigueur ; finies les longues refuites, les pointes en avant, exécutées à plein train ; ses randonnées, maintenant, se raccourcissent, il se fait battre dans de petites enceintes, se tapant, se faisant relancer, essayant, par ces ultimes manœuvres, de sauver sa peau.

Là encore, il est évident que les fins d’un lièvre ne sont point les mêmes que celles d’un grand cerf ou d’un sanglier, et qu’il ne s’agit que de généralités, celles que l’on rencontre le plus souvent à la chasse.

Maintenant nous allons parler des signes les plus trompeurs, c’est-à-dire l’aspect général de l’animal ; certains paraissent sûrs : c’est le lièvre qui porte la hotte ; le renard, au poil noir et collé par la sueur, dont la queue balaie lamentablement le sol ; le cerf qui chancelle ; le sanglier qui semble hébété et hagard, et qui trottine comme un lapin devant les chiens du vautrait.

Mais souvent aussi des animaux, pourtant bien finis, peuvent tromper leur monde, en trouvant encore comme un semblant de force pour franchir une allée, traverser une futaie.

De ces signes précurseurs — mais combien incertains, — les chiens sont donc encore les meilleurs juges. J’ai reçu tant de faux renseignements dans ma vie que je me méfie de l’appréciation des hommes, qui ont des yeux quand il ne faudrait pas voir, et pas d’oreilles quand il faudrait entendre. Les plus connaisseurs se gardent bien de donner un avis ; les autres — sûrs d’eux-mêmes comme tous les ignorants — portent des jugements dont il faut se garder et dont on a peine à faire fi dans l’ardeur de la poursuite et le désir de prendre.

Les veneurs bien équilibrés, c’est-à-dire ceux qui conservent assez de sang-froid et de jugement intact, tout en menant leur chasse comme il le faut, à plein train, sont rares. Ce sont ces êtres prédestinés, ces vrais enfants de saint Hubert, qui possèdent les meutes dont les succès répétés semblent un vivant défi aux difficultés que l’on peut rencontrer.

Êtres bien équilibrés, aussi bien doués au moral qu’au physique, ils sonnent hallali sur hallali. Car il ne suffit pas, en effet, d’être observateur, connaisseur, de bon jugement, il faut encore les forces nécessaires pour pouvoir piquer vigoureusement et supporter sans fatigues excessives les plus longues journées.

Dans ces derniers instants qui sont, avec un joli rapprocher ou un forlonger après un bat-l’eau, les plus belles minutes que peut vivre un veneur, c’est donc, comme toujours, les chiens qui nous guideront.

Quoi de plus émotionnant que ces voix qui s’enflent, augmentent de volume, de ces récris enragés qui présagent un à-vue ou le dernier relancer ?

Les années peuvent s’écouler, les prises s’ajouter aux prises, j’attends que le plus favorisé de nous tous avoue qu’il y demeure insensible pour confesser que je suis blasé moi aussi ...

La conduite d’une meute est faite d’impondérables ; c’est affaire de doigté, d’intuition ; et les hommes à principes immuables feront bien de n’en conserver qu’un : se tenir dans une prudente réserve.

Sur le terrain, les plus belles théories sont vaines. Aussi, plutôt que par des interventions maladroites qui trompent les chiens, vaut-il mieux encore les laisser agir selon leur instinct, qui, pour des chiens en curée, les mène à la prise.

J’ai connu cependant des hommes de chasse vraiment inspirés, pour qui tout semble facile, menant des laisser-courre d’une allure de course, galvanisant la meute et de leurs cris, et de la trompe, piquant et appuyant avec un réel bonheur. Je dois avouer qu’ils ont et mes préférences, et mon admiration, en conduisant ainsi une chasse à plein train du lancer à la prise.

Cela nécessite de très bons chiens — mais, avec de semblables maîtres, les chiens s’accordent vite — et un pays un peu spécial. C’est aussi du grand art.

Les veneurs plus froids, et qui pourraient paraître, a priori, plus savants, n’ont pourtant pas le brio ni le don de ces hommes extraordinaires dont les noms— et les hauts faits— sont légendaires dans l’histoire de la vénerie française.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 53