Nombreux sont ceux qui, comme moi, ont pu contempler les
photographies évocatrices d’un couvoir américain, lors d’une éclosion ;
éclosion géante, véritable fourmilière de poussins robustes et pleins de vie,
nés dans un de ces incubateurs « Mammouth » dont de nombreuses firmes
américaines de construction avicole vantent les avantages, quant à leur qualité
et contenance. Nous autres, Français, réalisons souvent assez mal la réalité de
ces incubations qui nous paraissent anormales ; notre défiance répand bien
vite le doute en notre esprit : certains parleront de réclame nationale et
publicitaire, de « bluff », en disant : « L’Amérique est
bien loin de nous ; qui peut vérifier ? » Et il faut bien
convenir que, souvent, il nous est difficile de distinguer ce qui est vrai de
ce qui est surfait, ce qui est réel de ce qui n’est que spéculation théorique,
ou, tout simplement, mensonge. Certaines expériences dont nous avons été les
victimes sont l’excuse d’une telle attitude. Mais l’un de mes amis, comme moi
passionné d’aviculture, et d’une probité au-dessus de tout soupçon, revient des
États-Unis ; il a regardé, constaté, étudié et, comme il se doit, beaucoup
retenu. J’ai pu ainsi vérifier les données que je possédais déjà sur ce
passionnant problème ; il m’a été possible de reconnaître et d’apprécier
combien la construction des incubateurs, leur utilisation, la pratique des
incubations constituent, outre-Atlantique, une véritable industrie. Ce n’est
d’ailleurs là qu’un des nombreux aspects de la spécialisation industrielle de
l’aviculture américaine, bien différente, par ses buts, sa technique, ses
résultats, de notre aviculture française, demeurée presque essentiellement
fermière.
Les fabricants de matériel avicole apportent le plus grand
soin à la construction de leurs appareils ; les incubateurs, étant des
instruments à la fois volumineux et de construction délicate, donc d’un prix
élevé, doivent donner aux acheteurs toutes garanties et satisfactions ;
d’où l’aspect irréprochable et le fonctionnement parfait. Un incubateur doit
être de belle présentation et donner une impression de netteté, de
propreté ; les parois sont presque toujours en bois verni ou enduit d’une
peinture claire ; très souvent, en vue de faciliter un meilleur nettoyage
après chaque éclosion, tout l’appareil est aisément démontable par l’accouveur
lui-même. Mais l’« habit ne fait pas le moine », et, dans un
incubateur, les divers appareils qui en sont pour ainsi dire le cœur, d’une
précision extrême, demandent que leur construction et leur mise au point
fassent l’objet des plus grands soins des industriels et des techniciens qui
les livrent au public. Ce sont ces appareils qui dispensent dans le corps de la
géante couveuse l’air, la chaleur, l’humidité nécessaires, avec constance et
précision. Un hydromètre maintient le degré d’humidification au point
voulu ; un ou plusieurs thermostats et des thermomètres permettent
d’obtenir une précision calorifique à un dixième de degré ; des
ventilateurs brassent l’air afin d’éviter la stagnation d’un air trop ou insuffisamment
chauffé ; en outre, ils permettent à ce dernier de passer sur des plateaux
recouverts d’eau, pour qu’il s’humidifie régulièrement à leur contact. Les
plateaux à œufs sont en métal léger, et leur retournement peut être effectué de
l’extérieur, sans entraîner l’obligation néfaste d’ouvrir les portes de
l’appareil. Certains incubateurs ont même la possibilité de tourner autour de
leur axe horizontal, économisant ainsi de la fatigue, du temps, de la
main-d’œuvre. Tous les appareils de précision cités ci-dessus sont généralement
groupés : on peut alors facilement vérifier, de l’extérieur, par des
regards vitrés, la température, le degré d’humidification, l’aération, la
ventilation ; il suffit de consulter, sur les différents cadrans et thermomètres,
les indications données. Un incubateur de très grande contenance n’est, la
plupart du temps, que la réunion de plusieurs « éléments » ou
compartiments d’éclosion ; chacun de ces derniers est branché sur les
appareils générateurs des conditions physiques recherchées et sur les
instruments de précision ; cette disposition « en série » permet
ainsi d’échelonner les incubations, où de les réduire, si besoin est ; il
suffit de débrancher un des éléments pour que s’arrête son fonctionnement :
la dépense d’énergie est ainsi limitée aux besoins, et la surveillance
proportionnée aux nombre d’œufs mis à incuber ; cette possibilité de
réduire ou d’augmenter la capacité des incubateurs les a, pour cette raison,
fait dénommer « incubateurs accordéons ». Le mode de chauffage le
plus souvent utilisé est l’électricité, avec un dispositif en cas de
panne ; mais certains appareils utilisent le charbon, le mazout, le
pétrole ; vers le dix-huitième jour de l’incubation, les œufs sont presque
toujours transportés dans des incubateurs spéciaux, les « éclosoirs »,
pouvant former sécheuses après l’éclosion ; de cette manière, les
conditions requises pour un plus grand rendement peuvent être appliquées
pendant ces trois derniers jours, sans porter préjudice aux autres œufs moins
avancés en incubation qui se trouveraient dans l’incubateur principal ;
humidification, aération, chauffage sont donc réglés selon des normes dont
l’établissement est la conséquence d’études et d’observations très précises.
Les diverses contenances des incubateurs industriels varient de 1.500 à
plusieurs centaines de milliers d’œufs : leur qualificatif de
« Mammouth » est bien mérité. Un constructeur américain d’incubateur
se vante même d’avoir monté une installation permettant une éclosion de cinq
millions de poussins ...
Mais les résultats, c’est-à-dire le pourcentage des
éclosions par rapport à la quantité des œufs fécondés mis en incubation,
sont-ils en fonction de l’importance et de la perfection des moyens
utilisés ? On peut répondre par l’affirmative ; la technique des
constructeurs, les connaissances approfondies des spécialistes employés par les
usines productrices, la qualité des matériaux utilisés, le sens pratique des
Américains ont permis d’obtenir des pourcentages d’éclosions jusqu’ici
imbattables ; qu’il s’agisse d’œufs de poules, de canes, d’oies, d’oiseaux
de parc, de faisanderie, le pourcentage est presque toujours plus que
satisfaisant ; à la naissance, les plateaux des éclosoirs sont
littéralement recouverts d’une masse duveteuse et mouvante, formée par
l’ensemble de tous ces petits êtres nullement étonnés de ne pas se retrouver
sous les ailes de leur mère.
Il est fort regrettable, en France, de n’être pas encore
arrivés à cette conception de l’incubation artificielle intensive ; il ne
s’agit pas de mésestimer notre production nationale en ce domaine, ni les
efforts de nos constructeurs, efforts du reste entravés par les difficultés
actuelles ; il est simplement indiqué de remarquer que, pour le moment,
nous ne pouvons pas livrer des appareils réunissant une perfection et une
qualité comparables à ceux que vendent les Américains. En conclusion,
reconnaissons que, l’aviculture pouvant être une de nos richesses nationales,
nous avons tout à gagner en étudiant les progrès de l’incubation artificielle
aux États-Unis ; ne négligeons pas, là comme ailleurs, des enseignements
qui ont fait leurs preuves ; un nationalisme outrancièrement déplacé ne
pourrait qu’être préjudiciable à notre avenir avicole.
J. DE LA CHESNAYE.
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