C’est sous le signe de la gaieté, donc de l’optimisme, que
sont nées les collections de printemps.
Dès que parurent les tissus nouveaux, nous pûmes
prévoir leur grâce joyeuse, leur fraîcheur.
Les tailleurs, les ensembles trotteurs, les robes-manteaux,
les manteaux eux-mêmes, tous les pimpants paletots, sortes d’en-cas destinés
aux baisses inopinées de température, prévisibles même durant les beaux jours,
sont faits dans des lainages clairs, naturels, beiges ou gris très pâle, ou de
tons pastels que dominent les jaunes de toutes les gammes, les mauves, les
verts très doux ; chaque lainage uni est prévu avec une ou deux
fantaisies, ce sont alors des jeux inouïs de pied-de-poule, de prince de
Galles, de carreaux, de damiers, d’écossais et de quadrillés, des rayures, des
pékinés, des chevrons de tous calibres, presque toujours en camaïeu ; s’il
y a opposition de ton, c’est dans des harmonies très douces, atténuées. Il est
malgré tout prévu des teintes un peu plus soutenues : c’est alors toute la
gamme des écailles tabac et brun roux, des verts éteints, des gris ardoisés,
qui nous est offerte ; de temps en temps, dans une collection, éclatent
des notes vibrantes de couleur : mandarine, tango ou pistache dure.
Et le bleu marine, me direz-vous, cette teinte
spécifiquement « printemps » ? Quoique moins en vogue qu’au
printemps 47, elle existe et restera la teinte d’élection des élégances
classiques ; nous la retrouvons en lainages légers garnie de blanc, mais
particulièrement dans les soieries, les tweeds et foulards imprimés, les surahs
façonnés, les soieries réversibles pour tailleurs, tout comme nous retrouvons
le noir et blanc, mais les bleus les plus nombreux en tissus imprimés sont les
bleu-lavande, pervenche, porcelaine et roy. Il est un ton nouveau qui va
connaître une grande vogue, c’est le rose-framboise ; il existe chez les
soyeux en crêpe à dessins blancs, il existe en toiles et en cotonnades :
il est charmant.
Les chapeaux sont, eux aussi, tributaires de cette consigne
de gaieté ! Ils sont en pailles fines ou en paillasson de tons clairs, que
domine le rose ; certaines modistes les garnissent à profusion de fleurs
ravissantes (on se demande parfois si ce sont des chapeaux ou des
bouquets !) ; d’autres de plumes, de couteaux, d’oiseaux de toutes couleurs
et de tous plumages ; d’autres encore de fruits ; nombreux sont les
chapeaux qui sont faits de tissu drapé uni ou fantaisie, tous sont enveloppés
de voilettes qui, elles aussi, sont de teintes claires. Un grand fabricant de
tulle a lancé une voilette dont les pois de chenille sont remplacés par des
perles fines et nacrées ton sur ton, c’est infiniment poétique ;
d’ailleurs les chapeaux sont inspirés des époques les plus raffinées de notre
histoire : XVIIIe siècle, romantisme, Restauration, second
Empire et 1900. Presque tous sont sans fond, travaillés en toits, en plateaux,
ou en cabriolets, tous dégagent la nuque, y compris les amusants petits
canotiers posés tout droits sur une frange.
En couture, le fourreau a très nettement cédé la place à
l’ampleur ; seuls les tailleurs classiques gardent leurs jupes droites,
souvent assouplies de plis ou de croisages en « portefeuille », mais
les autres, que nous nommerons plutôt ensembles que tailleurs, ont des jupes en
corolles sous la basque courte et à godets ; toutes les jupes des robes,
de la robe-manteau à la robe d’après-midi, sont mouvantes sous la taille mince,
très mince, uniformément guêpée. Tous les ensembles se combinent avec des
manteaux, toutes les petites robes avec des paletots, c’est là qu’interviennent
alors les « ensembles tissus » unis ou fantaisie assortie.
Les robes d’après-midi, dont les corsages sont de plus en
plus moulants, font le buste exact, la poitrine accentuée, les épaules douces,
mais à partir de la taille toutes les fantaisies sont permises qui accusent et
enveloppent les hanches en même temps : plis et plissés, volants, basques
et godets, paniers et vertugadins, il y a là une question de mesure et de goût
personnel, certains écueils aussi, qu’une femme de goût saura toujours éviter.
G.-P. DE ROUVILLE.
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