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Côte d'Ivoire et Haute Volta

La Côte-d’Ivoire ne possède pas de port au sens habituel du mot ; des wharfs constituent encore ses seuls moyens portuaires.

L’usage des wharfs est rendu indispensable par la longue houle provenant du large, qui se gonfle au voisinage de la côte et donne, à cent ou deux cents mètres du rivage, une véritable muraille d’eau déferlante que l’on nomme la « barre ». Cette barre charrie une quantité considérable de sable. Ce sable, se déplaçant le long du rivage, voue à un ensablement irrémédiable toute construction d’un port classique avec ses dignes de protection et ses quais.

Un wharf se compose d’une passerelle supportée par des pieux en acier, terminés par de grosses vis à larges filets que l’on visse dans le sable pour l’y assujettir.

À l’extrémité de la passerelle du wharf, à environ trois cents mètres du rivage, se trouve une plate-forme plus large dont le pourtour est garni de grues tournantes.

La barre se produit sous la passerelle et le sable se déplace librement entre les pieux. Cette importante masse de sable brassée par la barre provoque une certaine usure des pieux ; il faut prévoir leur remplacement périodique. Il faut, en outre, les protéger contre le choc des billes de bois vagabondes ; à cet effet, deux rideaux de protection, constitués de pieux vissés dans le sable et réunis par un filet, sont disposés de part et d’autre de la passerelle.

Une flottille de chaloupes de remorquage d’environ 50 CV chacune et de baleinières de charge pouvant porter de 10 à 15 tonnes de marchandises est mise à l’eau tous les matins, par les grues et remontée sur le wharf tous les soirs.

Cette flottille assure la navette entre le wharf et les navires au mouillage à plusieurs centaines de mètres au large.

Les passagers et les marchandises sont descendus par les grues dans les baleinières, qui les mènent le long des navires, où ils sont hissés par les mâts de charge du bord.

Le wharf porte des voies de chemin de fer parcourues par des wagons mus par des tracteurs. Celles du wharf de Port-Bouet sont reliées au chemin de fer Abidjan-Niger.

En 1938, on pouvait manipuler, tant à l’embarquement qu’au débarquement, 800 tonnes par jour. Par suite d’avaries au matériel, la puissance de trafic était tombée à 300 tonnes en 1945. Des réparations furent faites, du matériel commandé dès la Libération, et, pour la fin de 1947, on est sensiblement revenu au trafic d’autrefois.

Le wharf de Grand-Bassani, plus ancien, moins bien équipé, n’a qu’un débit moitié moindre que celui de Port-Bouet.

Pour décharger l’exploitation des wharfs de l’embarquement des bois, la Direction des Travaux publics fait préparer un système permettant d’amener aux navires les bois pouvant sortir en grumes flottables.

Mais le déblocage de la Côte-d’Ivoire n’est possible que par l’établissement d’un port accessible aux navires de haute mer.

Étudiée depuis longtemps en observant les résultats obtenus par les Anglais à Takoradi, en Gold Coast, la décision de créer un port fut prise en 1930. Abidjan, tête de ligne du chemin de fer, située sur la lagune Ébrié, fut choisi. Les travaux étant entièrement à la charge de la colonie, l’adjudication ne put être effectuée qu’en 1936. Les travaux commencèrent en 1937, ils devaient se terminer en 1943. La guerre les retarda. Leur état d’avancement permet, sauf imprévu, de penser qu’à la fin de 1943 les premiers navires entreront en lagune.

Ces travaux consistent à percer le cordon littoral séparant de la mer la lagune Ébrié, profonde de vingt mètres et plus. Cette coupure ne peut se faire que près de Port-Bouet, devant le « Trou sans fond », ravin sous-marin creusé dans le plateau littoral, car là seulement le courant provenant du débit des fleuves se jetant dans la lagune et du jeu des marées sera assez puissant pour maintenir en état le canal large de 300 mètres et long de 3 kilomètres, dont l’embouchure se rétrécit entre deux jetées courbes. Les sables sont rejetés dans le Trou sans fond.

Pour éviter que la violence du courant dessableur ne dégrade les berges des jetées, elles seront protégées par des fascinages et des enrochements suivant les procédés mis au point et utilisés par les Hollandais. Le dernier travail prévu est l’enlèvement par une puissante drague suceuse du bouchon de sable occupant la place du futur goulet, permettant l’accès de la lagune aux navires de mer, pour la fin de 1948.

Le port d’Abidjan, débouché du chemin de fer allant vers le Niger, exploité sur 798 kilomètres, jusqu’à Bobo-Diou-lasso, en construction jusqu’à Ouagadougou, plein cœur du pays Mossi, recevra tout le trafic drainé par 6.000 kilomètres de route de l’intérieur et de la Haute-Volta, pays le plus peuplé de l’A. O. F.

En 1908, dès la répression de l’anthropophagie, la culture du cacao fut introduite dans les villages de la basse Côte-d’Ivoire, et arrive maintenant à près de 50.000 tonnes dans les bonnes années (consommation annuelle de la métropole : 36.000 tonnes). Le café, introduit depuis peu, atteint plusieurs milliers de tonnes. La banane, récemment cultivée avant guerre promettait de beaux succès ; elle les tiendra après l’ouverture du port.

Les bois d’ébénisterie et d’œuvre, les amandes et l’huile de palme, déjà dans les gros tonnages, croîtront encore, de même pour les noix et le beurre de karité, les textiles et produits divers. Les marchandises d’importation, elles aussi, progresseront en donnant la réplique.

Avant la guerre, le tonnage dépassait déjà 110.000 tonnes pour les deux wharfs de Port-Bouet et Grand-Bassam ; il croîtra rapidement, la commodité des manipulations portuaires entraînant l’augmentation du commerce.

Un enseignement public en pleine croissance forme des élèves pour les cours agricoles, professionnels, supérieurs et spéciaux.

Enfin, un service sanitaire, dirigé par des médecins européens et africains et comportant les établissements sanitaires indispensables, se développe de jour en jour, au fur et à mesure de ses ressources.

La Côte-d’Ivoire et la Haute-Volta sont les plus riches colonies de l’A. O. F. ; elles entendent continuer à augmenter leur prospérité. Leurs richesses et leurs populations le leur permettent, malgré la possibilité de crises de croissance provenant de l’évolution trop rapide des populations.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 91