La photographie nous permet d’obtenir toute la gamme des
impressions des ombres et des lumières, et, désormais, grâce aux émulsions en
couleurs, nous pouvons même réaliser une représentation des couleurs exactes de
la nature.
La photographie intégrale consisterait dans la
photographie en relief obtenue sans l’intermédiaire de la stéréoscopie
ordinaire, avec possibilité d’observation directe de l’image en relief, sans
lunette optique quelconque. Ce serait ainsi la reproduction presque
« intégrale », comme l’indique son nom, de la nature. De nombreux
chercheurs ont étudié ce problème ; il n’est pas encore à la portée des
amateurs, mais des résultats pratiques ont déjà été réalisés. Le sujet
photographié peut apparaître maintenant sans aucun artifice, et même, pour
plusieurs observateurs, avec son relief naturel, comme si on l’examinait, en
quelque sorte, à travers une fenêtre.
La perception du relief est, en réalité, une
opération complexe, et qui exige même un certain apprentissage. Le nouveau-né
tend la main vers tous les objets qu’il aperçoit, qu’il s’agisse aussi bien de
son biberon que de la lune ; seule l’expérience lui apprend à discerner
les distances.
Pour de courtes distances, d’ailleurs, la mise au point des
images exige un effort d’« accommodation », c’est-à-dire de mise au
point plus ou moins accentuée, dont nous avons une conscience diffuse, et tous
ces renseignements interprétés d’une façon réflexe constituent ce qu’on peut
appeler la « sensation de relief du borgne », puisqu’il peut nous
être fourni par un seul œil. C’est ce que peut nous fournir, bien
souvent, sous une forme plus ou moins accentuée, une bonne photographie bien
modelée et bien contrastée, et, plus encore, une image cinématographique très
lumineuse.
Pour accentuer d’une façon efficace cette sensation, la
vision à l’aide de nos deux yeux est absolument nécessaire ; elle
seule nous assure une appréciation précise des distances et du relief des
objets.
Lorsque nous observons des objets éloignés, nos yeux sont
dirigés dans des directions parallèles, et les images produites sur les deux
rétines sont identiques. Lorsque nous regardons, au contraire, un objet plus ou
moins rapproché, les axes des yeux convergent, et les images formées sur les
rétines ne sont plus rigoureusement identiques. Nos yeux font alors des efforts
nombreux de convergence et de divergence, et, au cours de ce travail, se dégage
pour nous, de façon absolument réflexe, la sensation du relief binoculaire.
Le procédé stéréoscopique est basé sur ce phénomène.
Il consiste à photographier un même objet de deux points de vue différents,
avec un appareil à deux objectifs écartés de la distance normale des yeux. On
obtient finalement deux images positives placées côte à côte, et on examine
chacune d’elles avec un œil, à l’aide de deux lentilles grossissantes écartées
de la même distance. L’observateur ressent une impression visuelle unique, avec
une sensation de relief.
Pour éviter l’emploi d’une lunette à deux oculaires, on a
proposé de séparer les deux images élémentaires, destinées l’une à l’œil droit,
l’autre à l’œil gauche, en employant des couleurs différentes complémentaires,
et c’est là le procédé des anaglyphes. On a également proposé de les
séparer à l’aide de lumière polarisée ; l’emploi pratique est plus facile,
mais les inconvénients demeurent les mêmes ; l’observation n’est possible
que pour un seul spectateur, et dans une position bien déterminée.
Louis Lumière, l’inventeur du cinématographe, a proposé, il
y a déjà longtemps, une méthode photographique d’apparence plus rationnelle,
consistant à prendre des négatifs photographiques d’une série de plans
parallèles d’un objet, et à superposer ensuite les positifs transparents
obtenus correspondants, de façon à reconstituer ainsi dans l’espace l’apparence
même de l’objet à photographier.
Ce procédé, appelé « photo-stéréo-synthèse », a
permis, pour la première fois, la vision du relief photographique, sans
l’aide d’aucun appareil spécial d’observation.
Des chercheurs français ont montré la possibilité d’aller encore
plus loin et d’établir une photographie réellement intégrale contenant
un très grand nombre d’images élémentaires d’un même sujet. L’observation de
ces images élémentaires à travers le système avant servi à les enregistrer
assure la reproduction d’une image unique en grandeur naturelle, et avec une
sensation de relief parfaite. L’observateur se déplace devant l’épreuve et
aperçoit à chaque déplacement des parties nouvelles du sujet, comme s’il se
déplaçait réellement autour du sujet lui-même.
Le seul procédé pratique employé aujourd’hui pour obtenir ce
résultat est celui des réseaux.
Chacun de nous a eu l’occasion de voir, à la devanture des
opticiens, des panneaux de publicité curieux, présentant une série de bandes
parallèles verticales. Suivant sa position à droite et à gauche du panneau,
l’observateur aperçoit deux images différentes. En réalité, le panneau contient
bien deux images différentes, mais découpées en bandes verticales, et, devant
lui, on place une sorte de « grille » dont les barreaux verticaux
permettent d’apercevoir, suivant la position, soit l’une, soit l’autre des
séries de bandes. L’observateur voit donc tantôt les bandes d’une image, tantôt
celles de l’autre.
On a là, ainsi, un moyen de séparer les deux images
distinctes permettant la vision du relief, mais l’inconvénient du procédé
consiste dans la nécessité d’une observation à une distance définie, et dans
une direction définie.
Pour obtenir une image en relief intégral, visible à une
distance quelconque, et dans une direction quelconque, il ne faut plus
considérer seulement deux images, mais un assez grand nombre d’images
distinctes, réalisées avec un appareil photographique prenant les images à
partir d’un certain nombre de points de vue, et l’observation doit être faite à
travers une grille à fentes très étroites.
C’est là la méthode utilisée désormais pour établir de
véritables portraits en relief, que l’on peut admirer, par exemple, dans
des salles d’expositions parisiennes. L’image en relief est observée par
transparence, à travers un réseau translucide, peu gênant pour l’observateur,
comportant une série de barreaux verticaux semi-cylindriques. L’image positive
est formée de bandes très nombreuses verticales accolées ; les
photographies sont obtenues à l’aide d’un seul appareil mobile, ou d’un
appareil complexe à plusieurs objectifs.
La photographie en relief est donc entrée dans une phase
industrielle, et aucune raison technique ne s’oppose à sa diffusion.
P. HÉMARDINQUER.
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