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Le mécanisme du sommeil

Le prophète Job parlait ainsi : « Je dis en me couchant : quand la nuit sera-t-elle passée ? quand me lèverai-je ? et je suis agité jusqu’à l’aube. » De tout temps, le manque de sommeil fut un grave souci pour les hommes. On fit, dès la plus haute antiquité, appel à l’opium pour combattre l’insomnie due à la douleur ou à l’angoisse. Galien, pour s’endormir, prenait du suc de laitue. De nos jours, la découverte du chloral, du véronal, du gardénal, a donné à l’homme un moyen facile de se donner une torpeur artificielle, de retrouver le sommeil, cette mort tranquille de la vie de chaque jour dont parle Macbeth.

Quand au mécanisme du sommeil, il resta longtemps imprécis : les anciens s’en tenaient aux hypothèses qu’Aristote avait exprimées dans son livre De somno et vigilia, Hésiode faisait naître le Sommeil de la Nuit, fille du Chaos. Homère faisait du sommeil un frère de la Mort. Ce fut aussi, quelques siècles plus tard, l’opinion de Montaigne. Héraclite pensait que l’assoupissement du feu intérieur était dû à l’obscurité de la nuit. Alcméon de Cos attribuait le sommeil au retrait du sang dans les veines.

Ce n’est que de nos jours qu’est apparue un peu de clarté dans le mécanisme si complexe qui préside à l’apparition du sommeil. Le sommeil n’est pas un phénomène passif. On peut lui commander dans une importante mesure, soit pour le provoquer, soit, au contraire, pour l’empêcher. En réalité, le sommeil est un phénomène actif qui dépend de deux facteurs : il existe tout d’abord un centre régulateur du sommeil. De nombreuses observations faites sur l’homme et sur l’animal ont permis de préciser avec exactitude la position du centre du sommeil à la base du cerveau, dans la partie ventrale du troisième ventricule. De ce centre part une incitation nerveuse qui provoque le sommeil. Lorsque ce centre est atteint chez l’homme par une maladie, comme il advient dans l’encéphalite léthargique, le malade est pris d’un invincible besoin de dormir. Par ailleurs, au cours d’opérations sur le cerveau, Clovis Vincent a pu constater qu’il suffisait de toucher avec un stylet le centre du sommeil pour voir le patient éprouver des bâillements et s’endormir.

Mais l’onde venue du centre du sommeil ne peut provoquer ce dernier que si elle s’étend à toute l’écorce cérébrale pour en supprimer l’activité. C’est ce qui explique que le sommeil ne se produise que très difficilement, même chez une personne recrue de fatigue, si cette personne a des soucis ou des préoccupations importantes qui occupent son activité cérébrale. Bergson disait, avec raison, qu’il fallait, pour s’endormir, se désintéresser du monde extérieur.

Qu’advient-il si le sommeil n’arrive pas à se produire ? Le sommeil est absolument nécessaire à l’organisme. L’insomnie peut à la longue retentir sur l’état général et mental de l’individu. De jeunes chiens privés de tout sommeil ne survivent pas plus de quelques jours. L’animal meurt après des convulsions violentes. Mais, même au début de ce stade, il est encore possible de le sauver en le laissant s’endormir profondément pendant plusieurs heures. Chez l’homme, il est évidemment difficile de se livrer à des expériences analogues. On rapporte le cas d’un marchand chinois qui fut condamné pour vol à mourir d’insomnie. Il mourut au bout de dix-sept jours dans des souffrances atroces. Chez l’homme sain, une veille se prolongeant pendant quatre jours est possible. Les troubles apparaissent au quatrième jour. Il suffit de douze heures de sommeil pour les faire disparaître.

Chez les grands insomniaques, il se produit une altération spéciale du caractère qui les rend nerveux et irritables. Les malades passent par des périodes d’excitation et de dépression qui rendent leur sort peu enviable.

Henri HOUGAN.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 94