Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°620 Juin 1948  > Page 99 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Causerie juridique

Le nouveau statut du fermage et la chasse

Depuis quelques années, les législateurs ont cherché à améliorer la situation et à augmenter les droits des fermiers de biens ruraux. Des lois des 4 septembre 1943 et 25 avril 1944 avaient apporté à la législation en la matière d’importantes innovations. Elles ont été abrogées et remplacées par une ordonnance du 17 octobre 1945, qui, d’ailleurs, reprenait à son compte un certain nombre de leurs dispositions ; cette ordonnance a elle-même été modifiée et complétée par une loi du 13 avril 1946 et une loi du 9 avril 1947. Sans pouvoir entreprendre ici l’étude de cette législation nouvelle, nous nous bornerons à énumérer les plus importants des droits nouveaux qui en résultent pour les fermiers de biens ruraux, c’est-à-dire :

    1° le droit de préemption dans le cas d’aliénation à titre onéreux d’un fonds de terre ou d’un bien rural affermé ;

    2° le droit d’obtenir le renouvellement du bail arrivant à expiration ;

    3° le droit à une indemnité en fin de bail pour les améliorations apportées au fonds par le fermier ;

    4° le droit de faire convertir les baux à colonat partiaire en baux à ferme, et, d’une manière générale, de faire modifier les clauses des baux en cours pour les mettre en harmonie avec les contrats types élaborés par les commissions consultatives des baux ruraux ;

    5° l’attribution de compétence à des tribunaux paritaires, dans lesquels les fermiers et métayers sont admis, pour les litiges susceptibles de naître à l’occasion du statut du fermage.

Et l’on peut mentionner encore un certain nombre d’innovations comme celles relatives à l’amélioration de l’habitat rural, aux conditions d’exercice du droit à la résiliation du bail, à la limitation des obligations des métayers, etc.

De tous les avantages ainsi accordés aux fermiers ou métayers, aucune part ne profite aux locataires de chasse ; l’article 47 de l’ordonnance du 17 octobre 1945, modifié par la loi du 13 avril 1946, en effet, soustrait expressément les baux de chasse et de pêche à l’application des dispositions résultant de la législation nouvelle. Ainsi, les conditions d’exercice du droit de chasse dont jouissent les bénéficiaires d’un bail de chasse ne sont, en aucun point, modifiées par cette législation. À titre d’exemple, lorsque le bail de chasse arrive à expiration, le locataire ne bénéficie pas d’un droit à son renouvellement. Le propriétaire, encore actuellement, est entièrement libre de refuser ce renouvellement.

Au contraire, le droit de chasse accordé aux titulaires de baux à ferme par l’article 42 bis ajouté à l’ordonnance du 17 octobre 1945 par la loi du 13 avril 1946 va se trouver affecté dans une certaine mesure par les innovations que nous venons de signaler.

Dans plusieurs causeries insérées dans cette revue, nous avons cherché à préciser la portée de cette importante disposition et à déterminer l’étendue des droits qui en résultent pour les fermiers. Nous ne nous proposons pas de revenir, pour le moment, sur cette question. Nous voulons seulement signaler quelques situations dans lesquelles le droit de chasse que le fermier tient de l’article 42 bis de l’ordonnance de 1945 peut se trouver affecté par les autres dispositions de la même ordonnance.

Lorsque le fermier obtient le renouvellement du bail de culture, il conserve le droit de chasse sous le régime du bail renouvelé. S’il use du droit de préemption, son droit de chasse ne réside plus dans sa qualité de fermier ; c’est alors en qualité de propriétaire qu’il exploite, et son droit de chasser est celui dont jouissent les propriétaires sur leurs terres. Ce changement de qualité peut, par suite des circonstances, amener la perte du droit de chasser ; le cas s’est produit par suite des circonstances suivantes à l’occasion desquelles nous avons été appelé à donner notre avis :

Avant la promulgation de la loi du 13 avril 1946, un propriétaire avait consenti à une association as chasseurs un bail de chasse pour une durée de quinze ans, et, par ce bail, il s’était interdit de chasser personnellement et d’autoriser les tiers à chasser. La propriété ayant été mise en vente, le fermier avait exercé le droit de préemption et acquis la propriété ; il se trouvait ainsi substitué au précédent propriétaire dans tous ses droits et toutes ses obligations, et, spécialement, la clause par laquelle ce dernier s’était interdit de chasser lui était devenue applicable. Ainsi, par l’effet de l’acquisition de la propriété, l’ancien fermier perdait le droit de chasser dont il bénéficiait antérieurement en sa qualité de fermier.

Lorsque le fermier jouit du droit de chasser par application de l’article 42 bis de l’ordonnance de 1945, les litiges susceptibles de s’élever à l’occasion de l’exercice de ce droit sont, par application de l’article 50 de la même ordonnance, soumis à la juridiction des tribunaux paritaires. Cette règle n’est d’ailleurs applicable que dans le cas où le litige relève des juridictions civiles. S’il s’agissait d’une poursuite pénale, ce seraient les tribunaux répressifs de droit commun qui devraient être saisis. Cette dernière règle peut donner lieu à des difficultés ; voici notamment un cas qui nous a été soumis :

Un propriétaire ayant trouvé l’ouvrier de son fermier en action de chasse sur les terres louées à colonat partiaire fit dresser contre cet ouvrier un procès-verbal pour chasse sur le terrain d’autrui et saisit le tribunal correctionnel. Devant cette juridiction, le prévenu prétendit qu’il chassait avec l’autorisation du fermier, qu’il n’était donc pas en délit. À quoi le propriétaire répondait que, si le fermier avait le droit de chasser par application de l’article 42 bis de l’ordonnance de 1945, il n’avait pas le pouvoir d’autoriser un tiers, même un de ses préposés, à chasser en son lieu et place. Le litige portait ainsi sur l’interprétation de la disposition de l’article 42 bis. Devait-on le porter devant le tribunal paritaire ? Non, assurément : le tribunal correctionnel avait été saisi à bon droit et devait se prononcer sur le moyen opposé par le prévenu. Il est, en effet, admis par la jurisprudence que le tribunal correctionnel saisi d’une poursuite pour délit de chasse est compétent pour statuer sur les moyens de défense opposés par le prévenu, par exemple sur ceux tirés de l’existence ou de la validité d’un bail, ou de l’interprétation de ses clauses. C’est seulement quand le moyen invoqué porte sur la propriété du fonds sur lequel le délit aurait été commis que le tribunal correctionnel est obligé de surseoir à statuer jusqu’après solution donnée à la question de propriété par le tribunal civil, et encore faut-il pour cela que la contestation soulevée paraisse sérieuse.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’appel de Paris.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 99