Depuis quelques années, les législateurs ont cherché à
améliorer la situation et à augmenter les droits des fermiers de biens ruraux.
Des lois des 4 septembre 1943 et 25 avril 1944 avaient apporté à la
législation en la matière d’importantes innovations. Elles ont été abrogées et
remplacées par une ordonnance du 17 octobre 1945, qui, d’ailleurs,
reprenait à son compte un certain nombre de leurs dispositions ; cette
ordonnance a elle-même été modifiée et complétée par une loi du 13 avril
1946 et une loi du 9 avril 1947. Sans pouvoir entreprendre ici l’étude de
cette législation nouvelle, nous nous bornerons à énumérer les plus importants
des droits nouveaux qui en résultent pour les fermiers de biens ruraux,
c’est-à-dire :
1° le droit de préemption dans le cas d’aliénation à titre
onéreux d’un fonds de terre ou d’un bien rural affermé ;
2° le droit d’obtenir le renouvellement du bail arrivant à
expiration ;
3° le droit à une indemnité en fin de bail pour les
améliorations apportées au fonds par le fermier ;
4° le droit de faire convertir les baux à colonat partiaire
en baux à ferme, et, d’une manière générale, de faire modifier les clauses des
baux en cours pour les mettre en harmonie avec les contrats types élaborés par
les commissions consultatives des baux ruraux ;
5° l’attribution de compétence à des tribunaux paritaires,
dans lesquels les fermiers et métayers sont admis, pour les litiges
susceptibles de naître à l’occasion du statut du fermage.
Et l’on peut mentionner encore un certain nombre
d’innovations comme celles relatives à l’amélioration de l’habitat rural, aux
conditions d’exercice du droit à la résiliation du bail, à la limitation des
obligations des métayers, etc.
De tous les avantages ainsi accordés aux fermiers ou
métayers, aucune part ne profite aux locataires de chasse ; l’article 47
de l’ordonnance du 17 octobre 1945, modifié par la loi du 13 avril
1946, en effet, soustrait expressément les baux de chasse et de pêche à
l’application des dispositions résultant de la législation nouvelle. Ainsi, les
conditions d’exercice du droit de chasse dont jouissent les bénéficiaires d’un
bail de chasse ne sont, en aucun point, modifiées par cette législation. À
titre d’exemple, lorsque le bail de chasse arrive à expiration, le locataire ne
bénéficie pas d’un droit à son renouvellement. Le propriétaire, encore
actuellement, est entièrement libre de refuser ce renouvellement.
Au contraire, le droit de chasse accordé aux titulaires de
baux à ferme par l’article 42 bis ajouté à l’ordonnance du
17 octobre 1945 par la loi du 13 avril 1946 va se trouver affecté
dans une certaine mesure par les innovations que nous venons de signaler.
Dans plusieurs causeries insérées dans cette revue, nous
avons cherché à préciser la portée de cette importante disposition et à déterminer
l’étendue des droits qui en résultent pour les fermiers. Nous ne nous proposons
pas de revenir, pour le moment, sur cette question. Nous voulons seulement
signaler quelques situations dans lesquelles le droit de chasse que le fermier
tient de l’article 42 bis de l’ordonnance de 1945 peut se trouver
affecté par les autres dispositions de la même ordonnance.
Lorsque le fermier obtient le renouvellement du bail de
culture, il conserve le droit de chasse sous le régime du bail renouvelé. S’il
use du droit de préemption, son droit de chasse ne réside plus dans sa qualité
de fermier ; c’est alors en qualité de propriétaire qu’il exploite, et son
droit de chasser est celui dont jouissent les propriétaires sur leurs terres.
Ce changement de qualité peut, par suite des circonstances, amener la perte du
droit de chasser ; le cas s’est produit par suite des circonstances
suivantes à l’occasion desquelles nous avons été appelé à donner notre
avis :
Avant la promulgation de la loi du 13 avril 1946, un
propriétaire avait consenti à une association as chasseurs un bail de chasse
pour une durée de quinze ans, et, par ce bail, il s’était interdit de chasser
personnellement et d’autoriser les tiers à chasser. La propriété ayant été mise
en vente, le fermier avait exercé le droit de préemption et acquis la
propriété ; il se trouvait ainsi substitué au précédent propriétaire dans
tous ses droits et toutes ses obligations, et, spécialement, la clause par
laquelle ce dernier s’était interdit de chasser lui était devenue applicable.
Ainsi, par l’effet de l’acquisition de la propriété, l’ancien fermier perdait
le droit de chasser dont il bénéficiait antérieurement en sa qualité de
fermier.
Lorsque le fermier jouit du droit de chasser par application
de l’article 42 bis de l’ordonnance de 1945, les litiges
susceptibles de s’élever à l’occasion de l’exercice de ce droit sont, par
application de l’article 50 de la même ordonnance, soumis à la juridiction
des tribunaux paritaires. Cette règle n’est d’ailleurs applicable que dans le
cas où le litige relève des juridictions civiles. S’il s’agissait d’une
poursuite pénale, ce seraient les tribunaux répressifs de droit commun qui
devraient être saisis. Cette dernière règle peut donner lieu à des
difficultés ; voici notamment un cas qui nous a été soumis :
Un propriétaire ayant trouvé l’ouvrier de son fermier en
action de chasse sur les terres louées à colonat partiaire fit dresser contre
cet ouvrier un procès-verbal pour chasse sur le terrain d’autrui et saisit le
tribunal correctionnel. Devant cette juridiction, le prévenu prétendit qu’il
chassait avec l’autorisation du fermier, qu’il n’était donc pas en délit. À
quoi le propriétaire répondait que, si le fermier avait le droit de chasser par
application de l’article 42 bis de l’ordonnance de 1945, il n’avait
pas le pouvoir d’autoriser un tiers, même un de ses préposés, à chasser en son
lieu et place. Le litige portait ainsi sur l’interprétation de la disposition
de l’article 42 bis. Devait-on le porter devant le tribunal
paritaire ? Non, assurément : le tribunal correctionnel avait été
saisi à bon droit et devait se prononcer sur le moyen opposé par le prévenu. Il
est, en effet, admis par la jurisprudence que le tribunal correctionnel saisi
d’une poursuite pour délit de chasse est compétent pour statuer sur les moyens
de défense opposés par le prévenu, par exemple sur ceux tirés de l’existence ou
de la validité d’un bail, ou de l’interprétation de ses clauses. C’est
seulement quand le moyen invoqué porte sur la propriété du fonds sur lequel le
délit aurait été commis que le tribunal correctionnel est obligé de surseoir à
statuer jusqu’après solution donnée à la question de propriété par le tribunal
civil, et encore faut-il pour cela que la contestation soulevée paraisse
sérieuse.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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