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Le point de vue du terrien

sur les « étrangers »

Médecin militaire, mais fils de viticulteur et moi-même propriétaire terrien, profondément attaché à mon pays natal et issu de nombreuses générations de chasseurs, j’ai lu avec plaisir l’article de M. A. Roche, mais je me fais un devoir de discuter quelques points qui me paraissent exagérés.

Je précise tout de suite que je parlerai plutôt du Languedoc que de la Provence, et très exactement des rives de l’étang de Thau et des régions avoisinantes. Je n’apprendrai rien à personne en disant que le seul gibier sédentaire digne de ce nom est, chez nous, le lapin et le perdreau rouge. Le lièvre est accidentel. À quel genre de chasseurs a-t-il affaire ? Aux deux tiers des hommes du pays, ouvriers agricoles ou petits exploitants pour la plupart.

Nous voici à la fin août, peu avant les vendanges ; demain, c’est l’ouverture. Les lapins sont assez nombreux, le perdreau rouge abonde. Depuis quelque temps, il est spécialement protégé ; la surveillance des piégeurs, des chiens errants, des battues, ces terribles battues à trente ou quarante où l’on massacrait à coups de bâtons jusqu’à trois cents perdreaux, nous ont permis de voir en janvier des groupes de vingt ou trente perdreaux. Ceux-ci ont eu la chance de rencontrer un été propice et, demain soir, deux inséparables de ma connaissance, aux longues jambes et à l’œil sûr, auront dépassé la douzaine chacun.

Que vont faire nos « étrangers » sur ce terrain, presque tout vignoble, dont chacune des parcelles appartient à un membre de la société, ne l’oublions pas ?

Ils arrivent en voitures, en camionnettes, avec de nombreux chiens, et se divisent en groupes de cinq, qui commencent aussitôt la battue marchante. Vous voyez ce que cela peut donner, la battue marchante à cinq sur des perdreaux d’août-septembre ? D’autant plus que les divers groupes manœuvrent de telle façon qu’ils collent l’un à l’autre et en réalité n’en forment qu’un, unique, de vingt-cinq ou trente, qui pousse tout devant lui.

La plupart des étrangers tirent mal, très mal même, et c’est heureux, mais les chiens n’en font que plus de dégâts.

Les citadins ne respectent pas les fermes, rasent leurs murs et tirent froidement — je l’ai vu cent fois — sur toute volaille isolée. Ils rentrent dans les vignes non vendangées, chipent les raisins de table, les fruits ou les melons. Protestez-vous, vous êtes menacés, insultés, et vous entendez souvent de curieuses allusions politiques.

M. A. Roche dit ; « Au fond de ces faits, même légèrement enflés (et je vous prie de croire que ceux que je vous cite ne le sont pas), il y a l’égoïste jalousie, compréhensible si ... »

Mais oui, les locaux sont propriétaires du gibier qui vit sur leurs terres et, si beaucoup comprendraient que les citadins viennent chasser, honnêtement, aucun n’acceptera qu’ils viennent massacrer, ou détruire stupidement (lorsque par mistral les perdreaux poussés sont jetés à la mer), des animaux que l’on a vus grandir toute l’année, des perdreaux qui, étaient à la moisson gros comme des alouettes ou encore en leurs œufs ; auxquels parfois lorsque juillet a été trop sec on a porté de l’eau placée dans de vieux seaux enterrés à ras bords.

Que les syndicats communaux acceptent plus de citadins et abaissent leurs cotisations ? Il faudrait, pour cela, multiplier les gardes, empêcher les chasseurs d’être plus de deux ensemble et surtout reculer l’ouverture à octobre. Le perdreau alors est réservé aux vrais tireurs, c’est-à-dire aux seuls chasseurs dignes de ce nom.

Vous parlez des restrictions qui touchent tellement les citadins ? Mais, dans ces pays de monoculture, c’est tout le monde sans exception qui est touché. Pourquoi, partant de ce principe, ne pas obliger les grandes chasses bien gardées, à actionnaires peu nombreux et fort giboyeuses, à accepter aussi des chasseurs citadins à prix réduit ?

Voulez-vous, en conclusion, que je vous donne un avis strictement personnel sur l’abondance relative du gibier dans le Midi ?

Elle est due à la maladresse de la majorité des chasseurs. Dans un village où l’on délivre deux cents permis, les tireurs de perdreaux se comptent sur les doigts, et les spécialistes de la bécassine n’atteignent peut-être pas trois.

Voilà pourquoi feu mon père, qui totalisait cinquante-huit permis, disait toujours en parlant du Midi : « S’il n’y avait que les fusils, le gibier rendrait toute culture impossible. » Et il avait raison, on l’a bien vu en 1944 lorsque la région a été minée.

H. G …

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 104