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Chasses d’Amérique latine

Les « bolas »

Les « bolas » sont, par excellence, l’arme des Indiens. Certains gauchos sont également de très habiles « boleadores ».

Cette arme est aussi simple que difficilement utilisable par celui qui n’en a pas une très longue pratique. Elle est constituée par trois boules fixées solidement à trois cordes égales, en cuir cru. Les autres extrémités de ces trois cordes sont attachées à un même point qui devient le centre du système.

Suivant les types et les contrées, chaque corde a une longueur variant de 1 mètre à 1m,20. Les boules sont de la grosseur d’une orange moyenne. En réalité, il n’y a que deux boules ; la troisième, qui se tient à la main et porte le nom de « manea », est de même poids que les deux autres, mais de forme un peu plus allongée.

Ces boules, d’un poids unitaire d’une livre à une livre et demie, sont formées soit d’argile pétrie et séchée, soit de bois dur (quebracho Colorado, dont la densité est de 1,3). Elles sont enrobées et cousues dans une enveloppe de cuir cru provenant d’un animal récemment abattu. C’est cette enveloppe très résistante qui sera liée solidement à l’extrémité de la corde correspondante.

Voyons maintenant comment sont utilisées les « bolas ». Étant donnée la longueur du système lorsqu’on le tient par la manea (2 mètres à 2m,50), il n’est guère possible de s’en servir qu’à cheval, et, dans la pratique, c’est à cheval et à l’allure de course, sur un objectif filant à toute vitesse, que le boleador opère.

Si, de sa main gauche, celui-ci tient les rênes de sa monture, de la main droite, au-dessus de sa tête, il imprime à l’engin, tenu de la manea, un mouvement giratoire qui s’accélère. La force centrifuge maintient l’ensemble dans un plan à peu près parallèle au sol. Lorsque l’opérateur jugera ce mouvement giratoire suffisamment accéléré, il lancera horizontalement les « bolas » dans la direction du but. L’engin conservera son mouvement giratoire dans sa translation.

Les trois boules étant de même poids et les trois cordes de même longueur, il prendra la position en étoile aux extrémités, les trois boules restant équidistantes.

Si, à cet instant, un obstacle vertical, le cou d’un animal par exemple, se présente devant l’une des cordes, l’extrémité de celle-ci, entraînée par la boule, va se lier autour de l’obstacle. Les deux autres boules, brutalement arrêtées et lancées comme des pierres par une fronde, vont battre les pattes antérieures de l’animal, peut-être les lui rompre, et presque toujours les ligoter. La bête, en pleine course, se trouvera, dans l’espace d’une seconde, avoir les pattes de devant attachées au cou. Elle tombera.

S’il se traite d’un gibier, il faudra être rapidement dessus pour le saigner ; s’il s’agit d’un cheval à l’état sauvage, pour le maîtriser.

Les « bolas » se portent commodément à la ceinture, les trois boules passant dans la boucle formée par les cordes près du centre d’attache. Les chasseurs, les Indiens en emportent généralement plusieurs paires. Il arrive en effet fréquemment que, le système s’étant accroché par le cou de l’animal, les deux autres boules traînent non devant, mais sur les côtés. Dans ce cas, l’animal peut fuir en emportant l’engin qu’il sèmera dans sa course. Je répète qu’il n’est pas à la portée du premier venu de devenir un boleador correct. Il faut d’abord être un excellent cavalier. Ensuite, il faut l’adresse et la force nécessaires pour faire tourner au-dessus de sa tête, puis lancer avec précision un engin relativement lourd et encombrant par sa longueur.

Ajoutons à cela que certaines chasses auxquelles j’ai participé, dans les parties vierges du Chaco, se déroulaient à toute vitesse sur un sol semé de grosses touffes d’herbe drue, d’arbustes épineux et, ce qui est plus sérieux, de trous de tatous où les chevaux risquaient de mettre le pied, ce qui occasionnait des chutes graves.

Lorsqu’un débutant commence à faire girer les « bolas », bien souvent c’est sur la tête de sa propre monture que la première volée se précise. Les conséquences sont alors tout autres que celles prévues, j’ai passé autrefois par ces déceptions, et finalement j’ai dû renoncer à me produire comme boleador devant mes hommes. Mais, si je n’ai pas réussi dans le sport magnifique que constitue ce genre de chasse à courre, j’avais tout de même une petite revanche : c’était ma carabine Winchester, dont je crois ne pas m’être trop mal servi.

Léon VUILLAME.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 104