Reconnaître, à certains indices seuls connus des initiés,
que les gros poissons fouilleurs sont sur le coup ; entrer en
communication directe avec eux par l’intermédiaire d’un fil ténu ; savoir
apprécier, au tact, les préliminaires de l’attaque ; sentir la touche et y
répondre à bon escient ; lutter avec l’assaillant dans un combat toujours
incertain ; enfin, remporter la victoire : telles sont les émotions
successives et captivantes réservées au pêcheur à la petite pelote à soutenir.
Et, bien que les prises soient le plus souvent moins nombreuses qu’à la pêche à
la coulée, celui qui a tâté de la première la préfère à n’importe quelle autre.
Exposons-la brièvement pour mieux la faire connaître.
Chacun sait que les poissons fouilleurs : barbeaux,
brèmes, carpes, etc., mangent de préférence sur le fond et sont attirés par le
brouillage de l’eau produit par la dissémination des particules terreuses qui
composent les pelotes. Celles-ci ne sont autre chose que de petits blocs de
terre grasse dans lesquels ont été incorporés des appâts appréciés par ces
poissons. L’asticot, qu’ils recherchent tous en belle saison, est la plus
employée de toutes les amorces et sert également à escher les hameçons.
La pêche à la pelote a le grand avantage de pouvoir être
pratiquée sur des fonds inégaux et même tourmentés, impossibles à pêcher à la
coulée. En effet, à cause de son poids, la pelote reste à l’endroit même où le
pêcheur a réussi à la poser et ne risque pas d’être entraînée dans les
obstacles dangereux pour les lignes, à moins d’être placée en courant violent,
ce qui est à éviter.
Il s’agit de bien choisir le lieu propice à son immersion et
à y attirer le poisson par l’amorçage préalable, ce qui se fait à l’aide de
pelotes semblables à celle qui sera fixée au bout de la ligne.
Les pelotes d’amorce seront assez consistantes pour tenir de
vingt minutes à une demi-heure sans fondre complètement.
En se délitant lentement, elles libèrent les substances
nutritives qui y sont contenues, lesquelles, entraînées par le courant, s’en vont
en aval à la dérive, en une longue traînée englobée dans un nuage de terre, qui
fait remonter le poisson et l’attire sur le lieu même où se tient le pêcheur.
La pelote pêchante est composée avec plus de soin que celles
d’amorce. La terre, grasse, onctueuse, à consistance de beurre un peu ferme, ne
doit contenir ni sable, ni petits cailloux, ni nodosités et parcelles dures
quelconques. Les appâts animés n’y sont incorporés qu’au dernier moment, par
malaxage, afin de rester vivants le plus longtemps possible.
La canne, courte pour la pêche en bateau, sera longue, mais
légère, pour la pêche de bord. Le scion doit être fin du bout, assez flexible
pour permettre d’apprécier à la main les attaques du poisson.
La ligne est composée de soie tressée, dite « à lancer »,
sans apprêt et la plus fine possible ; pas de bas de ligne en
florence ; l’hameçon est rattaché directement à l’extrémité de cette soie
et une chevrotine de 7 millimètres fixée à 5 centimètres au-dessus.
Pas de flotteur, mais un petit bout de plume de 3 centimètres, placé en
affleurement de la surface de l’eau. Hameçon de taille moyenne, rond, à hampe
courte et très piquant. L’usage du moulinet est discuté ; beaucoup n’en
veulent pas, prétextant qu’on ferre mieux sans lui.
La pelote pêchante a la forme et le volume d’un petit œuf de
poule ; elle est bien farcie d’asticots dans toute sa masse. On place la
chevrotine au centre, et la soie est ployée entre celle-ci et l’hameçon
copieusement garni ; on recouvre de terre, de façon à cacher le tout, sauf
l’extrémité du crochet, qui dépasse légèrement à l’un des bouts.
La pelote ainsi préparée est balancée doucement au bout du
fil et, après avoir touché l’eau, accompagnée au fond par un soutien léger,
puis la ligne est tendue, sans excès, juste ce qu’il faut pour bien ressentir
les attaques, pas assez pour couper la terre molle.
Bientôt, la terre s’imbibe de liquide, elle va se dissoudre
lentement.
Un filon terreux descend vers l’aval, en même temps que les
asticots progressivement libérés. Le poisson, déjà attiré par l’amorçage,
cherche l’origine de ce nouveau nuage ; il s’en approche et attaque la
pelote pour gober les bestioles à mesure de leur sortie. Le scion tremblote et
s’agite ; la main qui tient la canne, fil tendu, ressent toute une série de
petits chocs auxquels il faut bien se garder de répondre. Enfin, voici la
pelote brisée ; le fil se détend légèrement et le fragment de plume
remonte de quelques centimètres. L’hameçon, copieusement garni d’asticots
choisis, apparaît, retenu sur le fond par la chevrotine. Le poisson l’aperçoit,
s’en empare et fuit avec lui ; le petit flotteur plonge vivement et le
scion se courbe.
Le pêcheur, après un court relâché, ferre sans raideur.
La pièce bien accrochée, c’est la lutte qui commence, combat
sans merci et d’autant plus passionnant que le poisson est plus gros et les
engins plus fins. Mais la soie tressée est solide, elle n’a ni défauts ni
nœuds. Si le pêcheur sait bien manœuvrer, il se rend maître de sa proie en peu
de temps. D’ailleurs, épuisette ou gaffe sont là pour aider à la solution.
Ne jouons pas trop longtemps, par dilettantisme, avec les
belles pièces, nous pourrions avoir à nous en repentir.
Il arrive assez souvent que la touche initiale se fasse un
peu trop désirer, mais on peut ensuite en voir d’autres lui succéder à d’assez
courts intervalles. C’est ainsi qu’il est arrivé à votre serviteur de capturer
à la pelote, entre seize et dix-neuf heures, près de Rivas (Loire), quatre
brèmes, trois carpes et deux chevesnes, du poids total de 28 livres.
Et ne croyez point que ce soit là un record ; je
n’ignore pas que de nombreux confrères ont fait encore beaucoup mieux ; je
n’en suis pas jaloux et, au contraire, les en félicite.
R. PORTIER.
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