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Trop chargés, toujours …

On a payé fort cher une machine magnifique qui accuse, toute équipée pour le grand tourisme : 12 kilos. Vive la légèreté. Nous avons des ailes ! Oui, mais ...

« J’emporterai le moins possible », jure-t-on ; et voilà que l’on est déjà épouvanté par le nombre d’objets de première nécessité pour un voyage de huit jours seulement.

D’abord l’outillage. Pas grand’chose, évidemment, mais la pompe, la clef, la pince, le tournevis, le nécessaire de réparation, tout cela fait déjà, si l’on y ajoute la chambre à air de rechange, un câble de dérailleur et les minuscules objets prévus par un cyclotouriste chevronné ... mettons 1 kilo. Passons, cela n’est rien. Mais tout ce que je vais citer, non plus, n’est rien. Que pèsent deux chemises, un gilet cellular, une paire de bas, quelques mouchoirs, cartes routières, objets de toilette (peigne, brosses, savonnettes, rasoir, éponge) ? Que pèse cette merveille d’appareil de photo qui permet de prendre quarante-huit vues format timbre-poste ? Et cet imperméable qu’on n’a tout de même pas choisi en papier de soie, car il faut, que diable ! qu’il soit solide et durable et ne risque pas d’être déchiré par la moindre épine ?

C’est entendu, c’est entendu, mais pesez le tout et ajoutez-y le poids de deux grandes sacoches, et vous ne serez pas loin, déjà, des 5 ou 6 kilos. Maintenant, attention ! Êtes-vous campeurs ? Non, n’est-ce pas ? Car, alors, le poids de vos bagages bondirait de 5 à 15 ou 20 kilos, et vous pratiqueriez un sport à part qui ne peut plus s’appeler du cyclotourisme, qui est du cyclocamping et exige même de traîner une remorque. N’en parlons pas !

Vous êtes de ceux dont les étapes moyennes sont de 100 kilomètres et qui prennent leurs repas, en principe, dans les hôtels.

En principe ... hum ! C’est cher, l’hôtel ; et puis on n’en trouve pas toujours et à toute heure un là, juste à l’endroit et au moment où l’on a faim, très faim, comminatoirement faim ou soif. Il est sage, il est prudent de ne jamais partir sans avoir prévu la subite fringale. On emportera ... oh ! rien, ou peu de chose : 500 grammes de pain, du saucisson ou du pâté, quelques œufs. Mais, saprelotte ! on ne va pas ensuite crever de soif. La frontignan s’impose. On la fera remplir aux étapes. Est-ce tout ?

Pour le moment, oui ; mais, si l’on a trop chaud, on enlèvera sa veste et on la roulera sur le porte-bagages. Bon ! nous allions partir en oubliant la serviette de toilette, le léger chandail qui met à l’abri du refroidissement, les lunettes, le bout de ficelle, les étiquettes et quelques journaux, ainsi que l’indicateur au cas où l’on prendrait le train.

Et maintenant, messieurs, prenez délicatement le vélo par le porte-bagages d’une main, par le guidon de l’autre, et faites l’effort de le soulever ou, mieux encore, placez-le sur une balance à bagages. Si l’aiguille ne marque pas au moins 22 kilos, c’est que la balance est détraquée. Elle en marquera plutôt 25. Vous avez doublé le poids de votre randonneuse ultra-légère, et cela sans faire nullement de folies, sans emporter un appareil de cinéma, un tub, des romans, un smoking et des escarpins, ni votre gosse à califourchon sur les sacoches.

C’est alors que vous commencez à vous arracher les cheveux qui vous restent, car, avant chaque départ, vous vous en enlevez quelques pincées.

« Que puis-je laisser chez moi, puisque tout ce qui est là m’est indispensable ? »

Et le plus fort, c’est que vous avez raison.

Voyons tout de même si, l’héroïsme aidant, vous ne pouvez pas vous défaire de quelques impedimenta !

Réfléchissez d’abord que la guerre est finie et que l’on trouve de tout partout, sauf du lait, du beurre et du pain blanc. Donc, affirmez-vous stoïques en supprimant les victuailles, et surtout la bouteille, dont le transport sacro-saint vous donne l’air d’un cantonnier à roulettes. N’emportez que 200 grammes de pain et un morceau de saucisson ou de fromage, de façon à parer à la fringale et au « coup de pompe » de la défaillance. Mettez-les dans un sac à dos, avec le linge et les objets de toilette. Pour ma part, j’ai adopté le sac à dos, qui ne gêne et ne tient chaud que s’il est vraiment chargé. On peut très bien y mettre pour 2 kilos d’objets divers, et même la veste que l’on quitte s’il fait chaud, sans se sentir embarrassé.

Quant au reste, que vous dirais-je ? Grattez 100 grammes par-ci, 300 par-là. Vous devez arriver à 4 kilos environ sur la machine, sacoches comprises. Répartissez le poids. Chargez l’avant au moins autant que l’arrière. Faites un équipement harmonieux ... et l’harmonie se transmettra même à votre moral.

Le désordre est le pire des vices. Pas de fourre-tout ! Pas de pyjama, de pantoufles, de souliers de rechange. Et pas de bottes de lilas pour rendre hommage au printemps. Pas de n’importe quoi n’importe où. La bicyclette doit ignorer le superflu et même la commodité. Ou alors ... ajoutez un moteur. Mais, dans ce cas, ayez le courage de votre opinion et classez-vous parmi les paresseux.

Comment font les grands touristes, ceux qui vont en Tyrol, en Suisse, en Italie, qui voyagent plusieurs semaines loin de leurs bases ? Évidemment, ils achètent en route.

Au temps de l’abondance et du dérisoire bon marché, j’en ai connu un qui « oubliait » son linge sale dans les hôtels. C’est ainsi qu’il « sema », sur un très long parcours, vingt mouchoirs et six chemises, sans compter les chaussettes. Par correspondance, ensuite, il parvint à en récupérer une partie. C’était l’époque où l’expédition de petits objets ne coûtait pour ainsi dire rien. Il « oublia » même son appareil 9 X 12, ne rapportant que les plaques, qui seules l’intéressaient. Il y perdit 325 francs, car on ne lui renvoya pas le pesant appareil. Il maintint ainsi le poids de son équipement à 8 kilos. Il est vrai que la bicyclette, nue, en pesait déjà 17. C’était un sage. Il ne s’attachait pas aux moindres choses et ne tenait qu’à s’enrichir de souvenirs. Mais il poussait trop loin le principe.

Plus tard, il se maria, voyagea avec sa femme et l’« oublia » parce qu’elle l’encombrait trop. On ne la lui renvoya jamais.

Elle avait la manie d’emporter des draps de lit sur sa bicyclette. J’espère qu’aucun de vous n’en est là.

Henry DE LA TOMBELLE.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 117