Sans peine et sans remords, on néglige de se donner de
l’exercice parce que l’on estime que les muscles seuls en bénéficient, et que,
si on en acquiert, peut-être, des biceps et des pectoraux avantageux, le reste
du corps, et particulièrement le cerveau et l’esprit, n’en retirent aucun
bénéfice, tout en y risquant grande fatigue ; de telle sorte qu’à l’âge
adulte on peut s’en abstenir, afin de consacrer toute son activité à sa
profession.
Ce sont là de déplorables préjugés. Nous avons dit que les
muscles ne servent pas uniquement à être forts, mais bien à dresser et
maintenir notre corps dans sa forme normale, forme indispensable au bon
fonctionnement de nos organes. Tous ces organes pâtissent de l’inaction
physique, même relative. Après les muscles, ce sont les articulations qui en
souffrent le plus directement. Car ces articulations sont de structure très
délicate, et leur vitalité ne s’entretient que par le mouvement. Comme on sait,
elles sont constituées par des surfaces ostéo-cartilagineuses, élastiques et
lisses, qui viennent en contact deux à deux pour glisser et rouler l’une sur
l’autre, de façon que les deux os qu’elles réunissent bout à bout peuvent
s’étendre, fléchir et tourner sur cette sorte de charnière pour réaliser nos
divers gestes et mouvements. La cohésion entre les surfaces articulaires est
assurée par les ligaments qui relient leurs pourtours ; la lubrification
se fait par la synovie, liquide onctueux sécrété par la membrane qui tapisse
l’intérieur de l’articulation.
L’amplitude du jeu articulaire est variable. Elle est très
étendue dans certaines articulations, l’épaule et la hanche ; encore
considérable dans le coude, le poignet, la main, la jambe, la cheville ;
plus limitée entre les vertèbres, les côtes et le sternum. Mais ce qu’il est essentiel
de remarquer, c’est que ces diverses articulations perdent aisément leur jeu
normal, s’enraidissent, dès qu’elles ne sont plus régulièrement soumises à des
mouvements qui les font travailler dans toute l’amplitude de ce jeu.
Voyons, par exemple, ce qui se passe dans la plus mobile de
toutes, l’épaule. Normalement, le bras étendu peut décrire un grand cercle qui
le porte successivement devant le corps en croisant le thorax, droit au-dessus
de la tête, puis directement en arrière et enfin en bas. Ce grand cercle
devrait se décrire tout entier dans le même plan ; mais, en général, sa
partie postérieure ne peut se faire qu’en ramenant sensiblement le bras en
avant. C’est que la plupart de nos mouvements usuels se font en portant les
bras en avant ; il n’en est pour ainsi dire aucun qui nous oblige à les
ramener fortement en arrière. Aussi, chez la plupart des gens, même jeunes, les
épaules, au lieu d’être bien dégagées en arrière, sont fixées en avant,
creusant plus ou moins la poitrine et arrondissant le dos. Cette attitude se
stabilise, déterminant une conformation vicieuse, par enraidissement de
l’articulation. Celle-ci, en effet, ne peut plus jouer sur toute l’étendue de
ses surfaces articulaires, dont certaines parties, ne servant à aucun mouvement,
ont perdu leur poli, se sont encroûtées et ne peuvent plus, par conséquent, glisser
l’une sur l’autre. D’autre part, les ligaments, n’ayant pas été contraints à se
distendre fréquemment dans la limite de leur élasticité naturelle, ont perdu
beaucoup de cette élasticité ; tout mouvement un peu étendu et forcé
détermine en eux une réaction douloureuse.
Néanmoins, l’épaule, mise à grande contribution par nos
gestes habituels, se défend contre l’enraidissement progressif mieux que la
hanche, dont les mouvements se trouvent très réduits en étendue quand on se
borne, comme la plupart des gens, à ne s’en servir que pour marcher assez peu,
et seulement à petits pas. Normalement, elle permet de dresser la jambe tendue
droit devant le corps, de faire presque le grand écart, de porter en dehors la
cuisse à angle droit sur le bassin, tous gestes qui paraissent de nature
acrobatique à la plupart des adultes, alors que les enfants les exécutent sans
peine, tant que l’exercice et les jeux leur ont conservé leur souplesse naturelle.
Les articulations de la colonne vertébrale sont celles que
l’enraidissement et même l’ankylose — c’est-à-dire la soudure
— atteignent le plus fréquemment. Personne même n’échappe complètement à
cet enraidissement, qui va s’aggravant à mesure que l’on avance en âge ;
mais, chez certains, il prend figure de catastrophe, aboutissant à de
véritables infirmités parfois douloureuses.
Les vertèbres n’ont les unes sur les autres qu’un faible
mouvement de flexion et de rotation ; c’est l’ensemble de ces petits
mouvements assurés par vingt-quatre articulations étagées de haut en bas qui
nous permet de fléchir et tourner la tête et le tronc. Mais on s’abstient
aisément de pousser à fond ces mouvements ; et, quand on les étrique, une
douzaine d’articulations vertébrales suffisent à les réaliser. Les autres,
toujours immobilisées, surtout dans les régions dorsale et lombaire,
s’encroûtent, se soudent et se déforment.
Toutes ces dégénérescences articulaires se combinent plus ou
moins chez les inactifs physiques. Tous leurs gestes en deviennent étriqués et
maladroits. S’accroupir sur leurs jarrets, toucher la pointe de leurs pieds en
maintenant les jambes droites leur devient impossible. Tout mouvement étendu
s’accompagne de craquements et de douleurs.
C’est en effet sur des articulations inutilisées et
enraidies que se greffent toutes ces douleurs, dites rhumatismales ou
arthritiques, qui empoisonnent la vie de tant d’hommes et de femmes.
Voilà donc bien des raisons de soigner ses articulations, de
leur accorder tout le mouvement qui est nécessaire à l’entretien de leur
souplesse, de les « roder » quotidiennement par des exercices qui
mettent à contribution toute l’amplitude de leur jeu.
Remarquons, d’ailleurs, qu’il n’est pas de travail
professionnel ni de pratique sportive qui sollicitent à fond toutes les
articulations ; il en est toujours quelques-unes qui se trouvent négligées
ou même maintenues en mauvaise position. La gymnastique articulaire, pour avoir
pleine efficacité, doit être méthodique.
La gymnastique fondamentale, que nous avons exposée ici,
accorde précisément une grande importance à l’assouplissement et à l’entretien
des articulations. Il n’en est aucune ; épaule, coude, poignet, cuisse,
jambe et pied, qui ne soit sollicitée dans toute l’étendue de son jeu ;
mais particulièrement la colonne vertébrale est largement mobilisée, dans tous
ses segments, par les grands mouvements, la pioche, la hache, le
déployé, la roue, le tourné, le fauché, etc., qui,
successivement, étendent, fléchissent et font tourner le rachis dans toutes les
directions.
Sous cette forme, l’exercice ne s’impose-t-il pas comme le
meilleur traitement des raideurs et douleurs articulaires ?
Dr RUFFIER.
|