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Une lutte à entreprendre

Contre le gaspillage du bois

Dans notre article d’octobre-novembre 1946, nous faisions ressortir, vu la pénurie du matériau « bois » (pénurie qui existe aussi d’ailleurs pour beaucoup d’autres matériaux : métaux, houille, pétrole), qu’il importait d’augmenter la production et de diminuer la consommation.

Augmenter la production ne signifie pas qu’on doive piller la forêt française et la saigner à blanc. En aucun cas il ne faut exploiter un volume de bois supérieur à l’accroissement annuel des forêts, sous peine d’appauvrir le capital générateur de bois et, par conséquent, la production ultérieure de bois sur pied. Il faut seulement savoir tirer parti de la totalité des surfaces forestières et éviter le gaspillage des produits forestiers. Dans deux précédents articles, nous avons étudié le premier aspect du problème et rapidement exposé la question de la modernisation et de la mécanisation des exploitations forestières et des transports, modernisation et mécanisation susceptibles de permettre de tirer parti des produits de forêts jusque-là inexploitées ou irrégulièrement exploitées, pour des raisons de manque de main-d’œuvre et de voie d’accès, ou à cause des frais prohibitifs que leur exploitation aurait entraînés.

Voyons maintenant le second aspect du problème, celui de la lutte contre le gaspillage des produits forestiers.

Si on réfléchit à la quantité énorme de bois qui est perdue soit parce qu’elle pourrit ou devient la proie d’insectes en forêt et hors forêt, soit parce qu’elle est brisée par les exploitations et la vidange, soit parce qu’elle disparaît sous forme de dosses, de délignures, de sciures ou de chutes de toutes sortes, on comprend l’importance de cette lutte.

Le gaspillage des bois a lieu en forêt et hors forêt, avant débit et après débit. Il y a lieu d’examiner successivement les différentes causes du gaspillage et les remèdes à y apporter.

Gaspillage de bois sur pied.

— Très souvent les arbres sur pied deviennent la proie d’insectes ou de champignons. Les causes en sont multiples. Quelquefois l’homme n’en est pas responsable, souvent il se trouve impuissant. Dans certains cas, il peut restreindre les pertes de bois sur pied en pratiquant l’hygiène de la forêt : enlèvement des arbres avant qu’ils ne soient surannés, exploitation des arbres malades, destruction des agents de propagation des maladies, choix pour les reboisements d’essences bien appropriées au sol et au climat, maintien du sol en bon état par mélange d’essences, drainages, respect de la couverture morte, etc.

Cette très importante question fera l’objet d’articles spéciaux.

Une autre cause d’appauvrissement des forêts qu’il y a lieu de noter au passage est la destruction de semis et de jeunes pousses par certains gibiers. Il ne faut pas dégrader les chasses en y laissant pulluler le lapin, gros ravageur de l’avenir des forêts dans pas mal de régions.

Nous devons signaler aussi, ce qui peut-être nous vaudra des reproches, que le touriste, quelquefois malfaisant, a une certaine part dans l’appauvrissement des forêts. Son éducation forestière est nécessaire et quelquefois suffisante pour remédier à cet état de choses.

Enfin, une formidable cause de gaspillage de bois sur pied dont l’homme est responsable directement ou non est la destruction par le feu et par la guerre. Le problème de la lutte contre les incendies mérite lui aussi une étude spéciale.

Gaspillage sur la coupe.

— La raréfaction des bûcherons professionnels a introduit en forêt une main-d’œuvre occasionnelle qui souvent est cause de dégâts. Les fentes de grumes au cours de l’abatage amènent des pertes considérables de bois d’œuvre. Elles ont diverses causes : entailles d’abatage trop profondes pratiquées sur des arbres qui penchent, gros arbres branchus ou fourchus jetés à terre sans ébranchage préalable ; grumes abattues vers le bas de la pente, en montagne, et qui arrivent au sol avec une trop grande force vive, billes qui tombent sur un rocher ou sur une autre bille et se cassent. Beaucoup de ces accidents peuvent-être évités par un contrôle sérieux des bûcherons et l’organisation de leur instruction professionnelle (il y a en Suisse des écoles de bûcherons où on apprend à ceux-ci à connaître la forêt et le métier du forestier, à manier les outils traditionnels et nouveaux, à entretenir ces outils, à donner aux bois une destination correcte, etc.). Enfin, le chaînage ou le cerclage des pieds des grumes, avant abatage, rarement pratiqué chez nous, donne d’excellents résultats.

Le façonnage des bois est trop souvent aussi la cause de gaspillages. Nous ne voulons pas parler des considérations économiques qui ont pu pousser parfois certains exploitants forestiers à façonner un produit plutôt qu’un autre. On a quelquefois, par exemple, fait du chauffage avec des bois qui auraient pu donner des étais de mine, dans les endroits et au temps où le chauffage payait mieux. Indépendamment de cela, il se commet trop souvent des erreurs de destination parce que celui qui exploite les arbres, qui marque les découpes des grumes, ne connaît pas les besoins en bois des industries locales. Tel chêne noueux, brogneux, tordu, qu’on méprise et avec lequel on fait du médiocre chauffage, n’aurait-il pas pu satisfaire un constructeur de chalutiers ? Tel petit frêne ou petit chêne étrangement courbé n’aurait-il pas pu convenir au charron, plutôt que d’en faire des piquets de parc ? Tel érable à bois ondé qui n’enthousiasme pas l’ébéniste est indispensable au luthier. Il est nécessaire de tenir informés à cet égard les exploitants forestiers. Ceci doit être le rôle de la presse forestière.

Après façonnage, le bois peut encore subir de graves dommages au cours du débardage. En montagne, le lançage sur les pentes (qui est malheureusement souvent la seule solution) non seulement ravage les jeunes semis et détériore les bois restés sur pied, mais fait éclater et esquiller les grumes ainsi débardées. Le rendement en scierie s’en trouve considérablement réduit. De plus, ces billes (ainsi d’ailleurs que celles qui sont simplement traînées sur le sol) s’incrustent de graviers qui posent au scieur des problèmes de brossage avant sciage et d’affûtage ultérieur des lames. La construction de routes, l’emploi de câbles peuvent porter remède à cela.

Dans une prochaine causerie, nous étudierons les moyens de réduire le gaspillage pendant le transport, en scierie et au moment de son utilisation en usine : cette dernière question est celle de l’emploi rationnel des bois dans les diverses industries.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 127