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La pasteurisation des vins

On peut écrire, sans risque de se tromper, que le souci de certains hommes a été, aux temps préhistoriques, la conservation de leurs aliments.

Il est vraisemblable de penser que le fruit et le poisson, séchés à l’air, ont été les premières denrées conservées, surtout dans les régions ensoleillées.

Nous savons par leurs écrivains que, dans l’Italie et la Grèce antiques, on chauffait le vin pour le conserver. Les Romains, gens ingénieux, employaient de véritables étuves.

Les Gaulois ne connaissaient pas la vigne ; ce furent leurs conquérants romains qui l’importèrent d’abord en Provence, puis dans la Narbonnaise, d’où elle s’étendit à presque tout le pays.

Sautant plusieurs siècles, nous trouvons, il y a environ cent ans, les travaux du Français F. Appert, qui mettent au point la conservation par la chaleur et en vase clos des denrées périssables, liquides et solides.

De ces travaux date l’industrie de la conserve, qui est devenue par la suite un revenu national.

Appert a ainsi conservé le vin, mais nous devons à Pasteur d’avoir repris et étudié à fond cette question, à la demande, du reste, du gouvernement du second Empire, et d’avoir, dans un magistral rapport, indiqué les causes pour lesquelles la chaleur tue ou endort les germes parasites du vin. « Il suffirait, écrit-il, de porter [le vin] pendant quelques instants à la température de 50° à 60°. »

Pasteur a donc donné son nom au procédé de conservation par chauffage, non seulement du vin, mais, en général, de tous les liquides périssables.

Les travaux sur le chauffage des vins et sa mise en pratique ont ensuite été poursuivis par différentes personnes, dont M. le professeur Gayon, de Bordeaux. Il est intéressant de rappeler ce qu’il communiquait, comme conclusion, il y a quarante-cinq ans, au Congrès des Sociétés savantes de cette ville :

« Contrairement à une opinion encore assez répandue, le chauffage appliqué quelques mois seulement après la récolte n’immobilise pas le vin ; celui-ci, au contraire, évolue d’une façon régulière, se clarifie, se dépouille, se développe et vieillit normalement.

» Cette pratique présente l’avantage de réduire et de simplifier les manipulations qui précèdent la mise en bouteilles, d’éviter les soutirages fréquents et les pertes de volume qui en résultent, d’augmenter, par suite, les rendements, tout en diminuant les frais, et enfin d’assurer la parfaite conservation du vin. »

Les températures auxquelles on doit soumettre les vins varient un peu, aussi croyons-nous utile de les indiquer. Les chiffres ci-dessous sont empruntés à M. Malvezin.

    Au dessus de 9°
Au dessous de 9°
Vins altérés de tourne (mildiousés) 58° 60°
piqués 60° 62°
amers 60° 63°
ayant la graisse 62° 65°
mannités 65° 70°
nouveaux (non atteints de casse) 68° 70°
susceptibles de casse 85° 100°
en fermentation 95° 100°

Nous devons préciser que la pasteurisation est surtout un moyen préventif, qu’il faut chauffer davantage les vins légers et peu acides, et que les levures ne sont pas tuées.

La pasteurisation n’altère pas ce que nous appelons les qualités organoleptiques du vin et n’entrave nullement son vieillissement ; au contraire, il a été remarqué que, dans un vin de même récolte, dans la partie pasteurisée au préalable, le vin était plus fruité, plus moelleux, plus fin.

La pasteurisation est plus complète en bouteilles bouchées qu’en cercles, ce qui se comprend aisément ; il a, du reste, été constaté, à ce sujet, que l’opération en bouteilles était complète à 60° ; par contre, elle était incomplète en cercles à 65°.

Enfin, la pasteurisation a permis l’ensemencement des moûts de raisin, au moyen de levures sélectionnées.

Les travaux d’Appert, d’une part, et de Pasteur, d’autre part, ont fait naître deux industries, celles de la conserve, comme nous l’écrivions au début, et celle des pasteurisateurs.

Que doit-on demander à ces derniers appareils ? La matière qui les constitue doit être inattaquable aux acides du vin ; leur température doit être réglable et leur marche continue, l’échange de température bien compris ; bien calorifugés ; étanches, robustes, simples de fonctionnement et facilement démontables.

Depuis le début de ce siècle, la pasteurisation a fait naître une industrie nouvelle : celle du jus de fruits en général et du moût de raisin en particulier.

C’est ce dernier qui, d’abord, a paru sur le marché, en Suisse, puis en Provence, enfin en Bourgogne, où MM. H. Challand et P. Pacottet mirent tout à fait au point cette fabrication, à partir de l’année 1900.

Pour donner une idée, la production du moût de raisin a atteint, en 1942, 200.000 hectolitres.

La conservation des jus de fruits ne peut se faire qu’en les chauffant théoriquement à 70° pendant quinze à vingt minutes. Évidemment, chaque jus de fruit a sa technique particulière ; comme dans toute transformation, il y a des trucs de fabrication.

La pasteurisation va-t-elle continuer à assurer la conservation des liquides périssables ? Il est à prévoir que non.

Grâce aux progrès incessants de la physique, plusieurs procédés tendent à remplacer la chaleur.

Tout d’abord, les rayons ultra-violets (au delà du spectre solaire visible) ont été utilisés avec succès.

Ensuite le froid et la filtration résistante (genre de bougie en porcelaine poreuse, type Chamberland), ainsi que d’autres moyens plus ou moins compliqués.

Enfin, les derniers venus sont les rayons infra-rouges (en deçà du spectre solaire visible) et les ultra-sons (au delà de la gamme musicale), que notre oreille ne perçoit pas, mais qui sont audibles par certains animaux. Les savants pensent que ces derniers rayons résoudront tous les problèmes de la stérilisation des liquides.

Souhaitons-le.

Nous ne voulons pas terminer cette rapide étude sans conseiller aux vignerons qui s’intéressent à la question des moûts de raisin de planter des cépages spéciaux pour la production des moûts, c’est-à-dire à grain très pulpeux.

La crise du vin se fera sans doute malheureusement un jour dans un autre sens : la mévente. Si le vin ne se vend pas, l’industrie du jus de raisin absorbera l’excédent de récoltes.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 128