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Causerie juridique

Le droit de chasse

en cas de vente de la propriété

Récemment, à la demande d’un correspondant, nous avons été appelé à examiner un point de droit, en matière de chasse, qui, par l’intérêt qu’il présente, nous paraît mériter de faire l’objet d’une de nos causeries. Cet intérêt n’est pas seulement théorique et doctrinal, mais aussi suffisamment pratique pour trouver sa place dans une publication ne s’adressant pas aux juristes, mais à un public très large.

Il s’agissait, dans le cas qui nous était soumis, de savoir s’il est permis au propriétaire qui entend vendre une propriété d’y conserver ou de se réserver le droit de chasse.

Il existe, en matière de droit de chasse, une théorie qui conduirait à répondre négativement à la question ci-dessus ; c’est la théorie suivant laquelle le droit de chasse, accessoire du droit de propriété, ne peut en être séparé. Mais cette théorie, prise à la lettre et considérée comme posant une règle absolue, n’est plus aujourd’hui admise par personne. Il est, en effet, incontestable qu’un propriétaire peut valablement transférer à un tiers son droit de chasse tout en conservant la propriété de l’immeuble. C’est ce qui se produit lorsque le propriétaire passe un bail de chasse comportant pour lui interdiction de chasser ou d’autoriser des tiers à chasser. Dans cette hypothèse, le droit de chasse et le droit de propriété sont nettement séparés.

S’il en est ainsi, on peut être porté à estimer qu’un propriétaire peut, en vendant un domaine, se réserver le droit de chasse sur les terres vendues. Théoriquement, c’est admissible, mais, dans le domaine de la pratique, il est au moins nécessaire de faire des distinctions, et il y a bien des limitations à appliquer au principe qui vient d’être énoncé.

Tout d’abord, il y a lieu de tenir compte des modalités du contrat. Il est des cas où le principe doit certainement être écarté. Il en est ainsi notamment lorsque la réserve est formulée sans limitation de durée. Bien que quelques décisions de justice ne l’aient pas admis, on considère le plus souvent que la concession du droit de chasse ne peut valablement être faite à titre perpétuel. La jurisprudence et la plupart des auteurs décident, en effet, que la concession du droit de chasse sur une propriété faite au profit des propriétaires successifs d’une autre propriété à titre perpétuel, ou au profit d’une ou plusieurs personnes, ainsi qu’à leurs successeurs, est nulle comme constituant une servitude personnelle, dont la loi française interdit la création. (En ce sens, Dalloz, Répertoire pratique, v° Chasse, n° 524 et suivants, et les autorités qui y sont citées.)

Dans l’affaire sur laquelle notre avis a été demandé, le vendeur était une société immobilière, laquelle, dans ses statuts comme dans les actes de vente qu’elle passait, se réservait le droit de chasse. Cela rendait particulièrement contestable la validité de la clause. Une société n’étant pas une personne physique et ne pouvant, par suite, bénéficier elle-même du droit de chasse réservé, on était amené à se demander qui devait profiter de la réserve du droit de chasse et pendant combien de temps les acquéreurs des lots grevés de cette réserve auraient à en supporter les conséquences.

On remarquera, en outre, qu’une société immobilière constituée pour la création d’un lotissement et la vente des terrains lotis est, par son objet, destinée à disparaître dès que l’objet en vue duquel elle s’est formée aura été atteint, c’est-à-dire dès qu’elle aura vendu la totalité des lots constitués sur le territoire qui lui a été concédé. De là résulte qu’il est normal de formuler, au sujet de la validité de la clause en question, les plus grandes réserves.

En dehors même de cette hypothèse, il est à remarquer que la stipulation suivant laquelle le vendeur d’une propriété se réserve, dans l’acte de vente, le droit de chasse sur les lots vendus est susceptible de deux interprétations différentes. En se réservant le droit de chasse, le vendeur, s’il s’agit d’une personne physique, peut entendre seulement conserver à son profit sur les terres vendues le droit de chasser, sans pour cela vouloir priver l’acquéreur du même droit, en d’autres termes, sans exclure le droit de chasse de l’aliénation qu’il réalise. Et, à notre avis, à moins qu’il ne résulte des termes de la clause qui nous occupe que l’intention du vendeur était de priver l’acquéreur du droit de chasser, c’est dans le sens indiqué ci-dessus que la clause devrait être interprétée. Cette stipulation, ainsi comprise, pourrait en général être estimée valable, surtout si elle comporte une limitation expresse quant à la durée de son application.

Si, au contraire, il apparaît que le vendeur a entendu conserver pour lui le droit de chasse et ne pas le faire entrer dans l’aliénation qu’il fait, on doit se montrer beaucoup plus réservé sur la solution à donner. La nullité de la clause devrait, selon nous, être admise chaque fois qu’une durée limitée ne serait pas prévue, parce que, à défaut d’une telle limitation, ce serait une sorte de servitude dont serait grevée la propriété vendue, servitude dont le caractère n’entre pas dans les prévisions de la loi française en la matière.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’appel de Paris.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 147