J’ai chassé le lièvre avec des faucons, à cheval,
dans la commune de Djelfa, dans les grandes étendues d’alfa où la vue porte
loin, où les lièvres peuvent courir et les chevaux aussi.
Si vous demandez à un non-initié le nom du faucon en arabe,
il vous répondra probablement : elbaz. C’est un non-initié.
Le chasseur au faucon dit qu’il chasse aux thiour
(pluriel de their), c’est-à-dire qu’il chasse avec des oiseaux, le
faucon étant considéré comme l’oiseau par excellence.
Les initiés vont encore plus loin dans la spécialisation du
langage. Le mâle de faucon s’appelle terchoun, il est plus petit que la
femelle qu’on appelle mguerness.
Le fauconnier, debiez, a, à sa main gauche, un gueffez,
gant à crispin sur lequel les faucons peuvent s’agripper sans le blesser, et,
quand les faucons ne chassent pas, il les coiffe d’un kenbil qui les
aveugle momentanément, le kenbil étant un casque recouvrant la tête et
les yeux, laissant seulement passer le bec.
Je me rappelle avoir lu le récit d’une chasse aux faucons par
un de nos grands auteurs ; il décrivait avec une maestria que je n’ai pas
les attaques concertées, simultanées, successives des oiseaux sur le lièvre.
Autant que je m’en souvienne, son récit consistait dans la relation de ces
attaques uniquement. Elles sont, en effet, très spectaculaires, mais ne sont
pas toute la chasse pour des chasseurs.
On chasse avec les faucons de deux façons :
La première consiste à se faire véhiculer en un point où on
a vue sur les lieux de chasse. On est le plus souvent assez loin, et l’on ne
voit pas grand’chose, sinon les évolutions des oiseaux.
La seconde consiste à monter à cheval, à être avec le
fauconnier, au besoin tenir soi-même un oiseau et à suivre au cul du lièvre dès
qu’il s’en lève un. Entendons-nous, il faut être à dix mètres derrière pour
laisser toute liberté d’évolution aux oiseaux, mais il ne faut pas se laisser
distancer, sous peine de risquer de perdre le lièvre.
On ne peut pas chasser aux faucons n’importe où : le
voisinage d’un bois, d’une forêt, ou simplement d’arbres assez nombreux, est
néfaste. Si un aigle ou un autre gros oiseau de proie est dans les parages, les
faucons ne chassent pas. Ils chasseront mal si le temps est trop calme, trop
chaud, ou par trop grand vent. Le temps idéal est un temps clair avec petite
brise.
Le terrain idéal doit être plat, l’alfa ne doit être ni trop
haut, ni trop fourni, et des clairs doivent exister qui permettent des
laisser-courre à vue et des hallalis rapides, lorsque le gibier est sur ses
fins.
Une bonne chasse se fait avec quatre à six cavaliers,
fauconniers compris, tous cavaliers décidés, perçants, montant chevaux au pied
sûr ; nécessaire lorsqu’on se lance au galop de charge dans l’alfa où les
trous et les bosses sont nombreux.
Donc, quatre à six cavaliers. En ligne ou formant un
croissant, les pointes en avant. Il faut d’abord lever un lièvre. Généralement,
c’est chose assez rapide, le lièvre étant une manne abondamment répandue dans
les plaines d’alfa ; quelquefois c’est plus long, et cette recherche a
quelque chose de fastidieux.
Enfin un lièvre détale ... Le cavalier qui l’a vu le
signale d’un : « Tayaut ! ... » s’il est Français,
d’un « Youye ! ... » s’il est indigène ... et
immédiatement fonce au galop derrière lui. Le fauconnier ou un porteur
d’oiseaux libère de son casque un faucon, puis deux, puis trois, parfois
davantage (nous chassions avec sept faucons), et leur donne l’essor.
Le faucon lâché monte vers le ciel dans le vent, prend de la
hauteur, puis, ramant à grands battements d’ailes, suit de haut le cavalier qui
galope. Le lièvre sur pied n’échappe pas à sa vue. Dès qu’il le voit, le faucon
tombe sur lui, tel un avion en piqué sur son objectif : c’est l’image la
plus exacte qu’on puisse donner. Et toujours, tel un avion qui a lâché sa bombe
sur l’objectif, il reprend de la hauteur après avoir porté un coup au lièvre.
Ce qu’il faut voir alors c’est, lorsque plusieurs faucons
sont lâchés, les attaques répétées qui harcèlent le lièvre. Tantôt elles se
suivent et alors notre lièvre n’est pas remis de la première que la deuxième et
la troisième le secouent ; tantôt elles arrivent ensemble de côtés
opposés. Le lièvre ne sait comment se garer. Parfois aussi le lièvre esquive,
le faucon manque son but. Il ne se lasse pas, reprend de la hauteur, attaque de
nouveau. Sur un crochet, un hourvari qui le fait traverser chevaux et partir en
sens contraire si l’alfa est assez dense, le lièvre se remet dans une touffe,
caché aux vues. Il faut le faire remettre sur pied. Il est parfois perdu.
De là la nécessité de cavaliers qui suivent, de chevaux au
pied sûr qui, à toute allure, puissent changer de direction (à nous les
changements de pied au galop !) et ne pas ralentir dans les ravins ou les
lits d’oued. Une bonne équipe de quatre cavaliers ne perd pas un lièvre sur
pied. J’en ai perdu quatre en un après-midi où je chassais avec des mazettes.
Les lièvres se suivent et ne se ressemblent pas. Tel se
donne aux faucons aux premières attaques ; tel autre refuse la fuite et
cherche à se gîter sous les pieds des chevaux, obligeant parfois le chasseur à
descendre pour le mettre sur pied ; tel autre encore, avec beaucoup de
vaillance, fuit, esquive, couvert de sang, blessé se défend encore et ne
succombe qu’après plusieurs kilomètres. Ce sont ces vaillants qui donnent les
plus belles chasses.
Comment le faucon tue-t-il le lièvre ? À coups de
bec ? À coups d’ailes ? À coups de serres ? Avec tous ces moyens
ensemble ou successivement ? J’ai entendu affirmer bien des choses, j’ai,
quant à moi, une opinion bien arrêtée, car, du lancer à l’hallali, je ne quitte
guère les bêtes et je vois le travail des oiseaux.
Au lancer et tant que le lièvre est frais, le faucon
n’emploie pas les serres. Il ne pourrait se libérer s’il accrochait la fourrure
du capucin. Coups d’ailes ? Non. Le faucon est trop ménager de ses moyens
pour s’abîmer une aile inconsidérément. Cela arrive cependant quand le but est
manqué. L’oiseau peut toucher le sol et briser quelques rémiges. Il est alors
inapte pour quelque temps. Reste le bec. Le faucon s’en sert et s’en sert bien.
À une allure vertigineuse, il plonge de très haut. Pan ! c’est un œil qui
est crevé. Pan ! un coup derrière la tête. Pan ! l’oreille abîmée
pend lamentablement. Pan sur les reins, pan à la queue, pan, pan ...
partout, jusqu’à ce que, fatigué, amoindri, le lièvre, sans ressort, ait
ralenti sa course.
Alors, surtout si c’est dans un clair, le faucon n’hésite
pas à planter ses serres dans le râble et attaque la tête.
Le lièvre couine, se met en boule, cache sa tête. Un
cavalier met pied à terre et met fin à la scène.
On rappelle les faucons ... Si la chasse est terminée,
on fait curée chaude. Le lièvre est dépouillé et leur est abandonné.
On fait retraite, comme toujours, en devisant des mérites de
tel lièvre chassé, de tel faucon, du pied des chevaux dans l’alfa, des
incidents de la chasse et ... des futures sorties.
SAINT-LIZIER.
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