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Sur nos côtes

Les avrillots

Les avrillots sont des oiseaux de grève dont la plus grande migration a lieu au mois d’avril et surtout au mois de mai. Les périodes de grandes marées sont les meilleures pour réussir à la chasse. Depuis trente ans, j’ai chassé tous les ans (sauf pendant les périodes de guerre) les avrillots au moment de leurs passages de mai, car j’aime beaucoup le tir de ces oiseaux, qui maintient le fusil à l’épaule pendant la période de fermeture. Nous connaissons l’origine du nom de ces oiseaux, qui passent un peu en avril et beaucoup plus en mai. Mais quels sont ces oiseaux ? D’espèces très variées, quoique tous aient le même goût pour les petits mollusques et les petits vers que laisse la mer en se retirant.

Le grand courlis, le courlis glorio ou livergin, les pluviers divers, les barges communes et rousses, le tourne-pierre, le sanderling des sables, le phalarope platyrhynque, oiseau assez rare dont j’ai tué un exemplaire à Seesable. Enfin l’alouette de mer, dont les vols argentés et rapides ont si belle allure, improprement appelée ainsi, car l’alouette de mer n’a de commun avec sa sœur des champs que la couleur du plumage. Elle est bien différente quant à ses mœurs. C’est là un gibier très commun.

Comment chasse-t-on les avrillots ? Cela dépend de la nature des côtes. En bateau dans beaucoup de coins de Bretagne où les bords de mer sont truffés de rochers qui permettent des surprises productives.

En Normandie, en particulier à Salenelles, j’ai bien réussi en bateau sur les rochers de la petite baie.

Au hutteau, sur les grandes plages, avec des formes en bois imitant bien les allures élancées du courlis ou celles plus petites des pluviers ou des chevaliers, on arrive à faire poser des quantités de vols. D’où hécatombes. Aussi bien je donne le conseil au chasseur sportif de tirer ces oiseaux au vol. J’ai assisté à de très grosses passées d’avrillots en baie d’Authie, au golfe du Morbihan, à Pennevins, à Seesable. J’ai vu sur la côte d’Hossegor, vers Cap-Breton, des quantités de pieds rouges revenir au sifflet après le coup de feu comme des pluviers dorés.

Lorsque vous placez vos appelants en bois, placez-les toujours bec au vent ; sans cette précaution, vous n’aurez pas de poses de ces oiseaux. Ils n’ont que des cervelles d’oiseaux, dit-on ; ils ont en cette petite tête des instincts de vision de pose normale ou d’habitude si vous voulez. Lorsqu’ils trouvent cette pose anormale, ils se méfient. Tous ces oiseaux viennent au sifflet, même le grand courlis.

J’avais en Brière un très bon pilote, Frédéric Simier. Je l’ai vu les deux doigts dans la bouche siffler des courlis de très loin (200 à 300 mètres). Dociles, ils arrivaient, les ailes courbes au milieu des formes. Les hésitations de l’oiseau au premier coup de sifflet qu’il perçoit, ses hésitations pour découvrir le courlis frère qu’il recherche, sa découverte, la courbe de son haut vol, l’atterrissage. Moments passionnants.

Bien dans la note, infailliblement, à moins que vous ne restiez debout dans votre hutteau, le coup de sifflet indiquera de la compagnie, et la pose aura lieu.

Si vous ne savez pas siffler, abstenez-vous. Il ne faut pas envoyer de fausse note dans l’oreille très sensible des avrillots, qui s’éloigneront à tire-d’ailes au lieu de se rapprocher. Alors laissez les formes muettes remplir leur rôle, elles y réussiront bien souvent parce que les avrillots recherchent la compagnie.

Toutefois j’ai sifflé sur les grèves des oiseaux inconnus à la manière du chevalier plaintif dont le cri désespéré doit toucher le cœur de bien d’autres oiseaux. J’ai souvent bien réussi avec ce coup de sifflet nostalgique.

Je me souviens d’une passée d’avrillots à Saint-Colombie, au golfe du Morbihan ; les oiseaux arrivaient de Pennevins, grande côte non loin du château de Suscinio, et, par le jeu de la marée, ils changeaient de coin à grande allure. Je m’étais placé à quelques mètres de la côte du golfe, bien à l’abri des vues, lorsque la passée commença et dura vingt minutes environ. Je ne cessai de tirer sur ces oiseaux qui volaient assez haut pour être de très amusants objectifs. Je fis un très beau tableau d’une variété très grande, du courlis, le plus gros de tous, aux petites alouettes de mer, en passant par les barges rousses. Sans doute la plupart de ces petits gibiers étaient comestibles, mais ils devaient être consommés sur place. J’en fis une large distribution aux habitants de Sarzeau et me contentai pour mon dîner du soir, qui fut ainsi excellent, de deux courlis glorios et de deux barges tendres. Je me souviens aussi du cadre féerique du golfe du Morbihan entouré d’une ceinture de genêts et d’ajoncs auxquels le soleil donnait une tonalité ardente. C’est une des plus belles visions de mes lieux de chasse.

Sans doute faut-il apprécier la chasse pour elle-même, mais il faut savoir s’émouvoir parfois devant la nature qui, c’est certain, est l’artiste le plus complet que l’on puisse imaginer.

Jean de WITT.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 149