Le numéro du Chasseur Français du mois de juin 1936
(comme c’est loin déjà !) avait accueilli un de mes articles
intitulé : Saint Hubert, envoyez-nous un dictateur !
Un dictateur ! Foin de politique, bien entendu, car la
politique ne saurait trouver place ici, mais un dictateur cynégétique, qui
aurait remis un peu d’ordre dans un fatras d’arrêtés discordants, souvent
contradictoires, et jeté une indispensable clarté sur la confusion au milieu de
laquelle se débattait la chasse française.
Douze ans ont passé, et sur notre malheureux pays se sont
abattues les calamités que l’on aurait pu espérer devoir apporter en tout
domaine sagesse et réflexion.
Il n’en est rien, et les erreurs contre lesquelles je
m’élevais alors subsistent entières. C’est à croire que tous ceux qui ont à
charge de veiller sur l’avenir du sport qui nous est cher se sont bornés à
exhumer de leur poussière les affiches d’antan et d’en reproduire les textes
fondamentaux.
Oyez plutôt ! Cette année, dans ce beau département des
Alpes-Maritimes, la chasse de printemps dite « à la repasse » a été
de nouveau autorisée par arrêté préfectoral, sans doute parce que nul ne
saurait pouvoir porter atteinte à une coutume qui fait partie de l’héritage
ancestral !
Comme jadis, la destruction des grives a été permise
jusqu’au 31 mars dans les oliveraies, au poste seulement et dans leurs
abords immédiats.
Je dis bien la destruction des grives !
Pauvres grives qui êtes mises sur le pied de tous les
brigands ailés, buses, éperviers, grands-ducs ou faucons pèlerins, parce que
vous dévorez les olives !
Peu importe qu’en ce temps de pénurie oléagineuse, et depuis
Noël, il n’y ait plus une olive sur les oliviers et que les paysans aient
préféré porter en toute hâte au moulin la totalité de leur récolte plutôt que
de la laisser en pâture aux grives. Pour justifier sa destruction, peut-être
verrons-nous la grive décrétée d’accusation parce qu’elle s’attaque aux
feuilles et à l’écorce des arbres.
Quant aux abords immédiats des oliveraies, il suffisait
d’entendre tirailler, sur des coteaux où ne pousse nul olivier, pour se
convaincre qu’il est fort difficile de préciser jusqu’où s’étend l’espace vital
des grives.
La chasse à la bécasse a été permise jusqu’au 15 mars !
dans les bois ayant un minimum de cinq hectares — ce qui attribuait
évidemment à tout chasseur de bécasse les facultés d’un arpenteur, — chasse
au chien d’arrêt seulement, celui-ci muni d’un grelot, eh oui ! d’un
grelot, probablement pour que, mis en éveil par ce joyeux petit carillon,
Jeannot ait le temps de regagner son terrier et maître Goupil de prendre ses
pattes à son cou, à plus d’un kilomètre à la ronde.
La chasse au gibier d’eau est restée ouverte jusqu’au
31 mars, sauf pour le colvert, dont la chasse a été close le 15 février,
discrimination bien illusoire, d’ailleurs, et sans véritable souci d’intérêt
général, car, si quelques couples de colverts nichent chez nous, on ne saurait
admettre que vanneaux, bécassines, sarcelles, pilets, souchets, milouins et
tadornes ne se hâtent eux aussi, à la même époque, vers les grands marais
septentrionaux, pour n’en pas revenir à l’automne prochain, accompagnés de la
nombreuse famille qu’ils y auront élevée.
Toutes ces tolérances semblent se généraliser, et c’est
ainsi que, dans un département qui, en fait de marécages, ne compte guère que
les galets de torrents de montagne, la chassa a été autorisée jusqu’au 31 mars
le long des cours d’eau, à moins de 30 mètres des rives et, par surcroît,
avec le consentement préalable du propriétaire du fonds riverain. Là aussi, jusqu’en
mars, a été autorisée la prise des grives à l’aide des « lèques »,
ces petits assommoirs qui, pour n’être pas taxés « engins prohibés »,
doivent mesurer 20 centimètres sur 30, condition qui implique aux gardes-chasse
de se promener dans la campagne avec un double décimètre en poche.
Et maintenant, vous sera-t-il difficile de conclure avec moi
que, dans un pays où la conscience est si élastique, tant de dérogations à la
loi pure et simple laissent la porte ouverte à ce que l’on veut si farouchement
proscrire, le braconnage ; celui-ci, protégé par des mesures légales, peut
continuer ainsi ses méfaits même au sein des sociétés les mieux intentionnées.
Et voilà pourquoi, comme il y a douze ans, je demande à
saint Hubert de nous envoyer un — je n’oser plus prononcer le mot
— une autorité qui ait le cran nécessaire pour imposer une seule date
d’ouverture, en septembre, et une seule fermeture ; au 1er janvier,
mais celle-ci totale, unique pour tous nos gibiers, autorité qui abolisse tant
d’arrêtés contre nature et qui, étouffant toute vaine criaillerie, fasse enfin
admettre par tous que le printemps est l’époque sacrée des nids et des mères.
EL CAZADOR.
|